Plus que jamais cette année, l’enjeu des conflits et leur impact sur le climat se sont imposés au cours des discussions de la COP28, qui se sont achevées le 12 décembre à Dubaï, après 13 jours de discussions difficiles autour des thèmes classiques. La COP28 a été la première Conférence des Nations-Unies à avoir organisé une journée thématique consacrée à la paix, établissant un lien entre guerre et changement climatique et appelant à davantage de financement pour les nations les plus en difficulté. Et ce, alors que nombre de pays souffrent à la fois de conflits meurtriers et de catastrophes environnementales.
Commençons par le conflit le plus proche, le plus meurtrier et le plus dévastateur : la guerre à Gaza. Au pavillon palestinien, le premier jamais érigé au cours d’une COP, une présentation sur l’impact environnemental de l’occupation israélienne a été diffusée sur grand écran. Hadeel Ikhmais, une experte du climat auprès de l’Autorité palestinienne, a déploré à l’AFP la destruction, par les bombardements israéliens, d’usines de dessalement, d’installations et de traitement des eaux usées et de puits. « Les plans de lutte contre le changement climatique ont été préparés sur la base de ce qui existait sur le terrain » dans la bande de Gaza. Mais avec la guerre, « il ne reste plus rien », a-t-elle affirmé.
Après deux mois de frappes aériennes et de combats terrestres, de vastes régions de Gaza ont été rasées, des terres agricoles détruites, des oliviers qui existaient depuis des générations brûlés et des ressources en eau contaminées. Selon deux ONG sur place, Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, l’armée israélienne aurait eu recours au phosphore blanc, les 10 et 11 octobre. Or, les experts préviennent que le phosphore blanc — un produit chimique illégal au regard du droit international — pourrait, en plus de l’ampleur des pertes humaines qu’il cause, être nocif pour l’environnement, notamment pour l’air et le sol. Au cours de la COP28, Jagan Chapagain, secrétaire général de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, a averti que Gaza pourrait devenir une « catastrophe environnementale ».
En effet, les organisations internationales tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Abritant 2,4 millions d’habitants, la bande de Gaza ne mesure que 41 km de long et 10 km de large, ce qui en fait le territoire le plus densément peuplé au monde. Les habitants sont systématiquement confrontés à des pénuries de nourriture, d’eau, d’électricité et de services de santé. Mais Gaza connaît aussi des températures en hausse, des précipitations en baisse, une montée du niveau de la mer et des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents, tous provoqués par le dérèglement climatique, selon une étude datant de juin 2022 de l’Université de Tel-Aviv. Et la situation ne fait qu’empirer avec la guerre.
Les laissés-pour-compte …
Toujours dans la région du Moyen-Orient, au Yémen, un pays aride, la guerre civile qui dure depuis 8 ans a accru la pression sur les réserves d’eau, en diminution, a expliqué le ministre yéménite de l’Eau et de l’Environnement, Tawfiq Al-Sharjabi. « Les conflits contribuent beaucoup à accroître les souffrances des citoyens à travers leur impact sur les ressources environnementales en général et sur les ressources en eau en particulier », a-t-il souligné.
Quant au président du Soudan du Sud, Salva Kiir Mayardit, il a, pour sa part, rappelé aux dirigeants de la planète au début de la COP28 qu’un grand nombre de ses compatriotes avaient été déplacés à cause des combats pour l’eau. « La paix et la sécurité sont clairement affectées par le changement climatique », a-t-il déploré.
Or, les pays en guerre comme la Libye, le Yémen et la Syrie, dont les institutions centrales sont faibles, sont exclus du financement climatique parce qu’ils ne répondent pas aux exigences fixées par les donateurs des institutions multilatérales. D’ores et déjà, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a prévenu que l’écart de financement pour l’action climatique entre les pays stables et les pays fragiles doit aussi être pris en compte. De nombreux Etats, pourtant parmi les plus exposés, ne reçoivent pas d’aide financière suffisante.
Politique et environnement sont donc loin d’être dissociés. En effet, un problème en accentue un autre : le manque de ressources attise les tensions autour de l’accès à ces ressources. C’est un peu le serpent qui se mord la queue, un cercle vicieux où causes et conséquences se mêlent interminablement. En effet, la déstabilisation climatique et la course aux ressources peuvent pousser à la guerre les nations les plus vulnérables aux questions climatiques. Selon la Banque Mondiale (BM), 70 % de ces Etats comptent également parmi les plus faibles politiquement et économiquement.
Une sorte de double peine. Les pays en guerre figurent également parmi les plus vulnérables face à la crise climatique. Parmi les 25 pays les plus exposés au changement climatique, selon la « Global Adaptation Initiative » de l’Université américaine de Notre Dame, en 2021, 14 connaissent actuellement des conflits armés, dont le Yémen, l’Afghanistan, le Soudan et la République Démocratique du Congo (RDC).
Autre exemple : l’instabilité dans les régions du Sahel a poussé de nombreux éleveurs et agriculteurs à se déplacer vers la République centrafricaine, à la recherche de pâturages plus verts pour leur bétail. Mais dans un pays fragile où l’insécurité alimentaire est endémique, ces déplacements constituent une nouvelle source de tensions.
Pour ce qui est de la Somalie, en juillet 2023, l’ONU a rapporté que plus de 3,8 millions de personnes sont déplacées en raison des conflits, des sécheresses et des inondations. Et selon la BM, les différends liés aux terres et les litiges découlant de ces déplacements massifs ont aggravé les tensions.
Et l’Ukraine, prioritaire
Cependant, une attention toute particulière est portée à l’Ukraine. Carburant, incendies, reconstructions futures … Le bilan carbone de cette guerre est estimé à 150 millions de tonnes d’émissions équivalent CO2, a déclaré à Dubaï Viktoria Kireïeva, vice-ministre ukrainienne, s’appuyant sur une analyse d’experts, ajoutant que près de 30 % des zones forestières de l’Ukraine et environ un cinquième de ses parcs naturels ont été touchés par la guerre. Ces estimations ont été menées par une équipe d’experts, l’Initiative on GHG Accounting of War, conduite par un spécialiste des émissions de carbone, Lennard de Klerk. Présent à Dubaï, ce dernier a déclaré, lors d’une conférence de presse commune avec la vice-ministre ukrainienne, que « la guerre elle-même est à l’origine de 25 % de ces émissions ».
Même si « tous les conflits » sont néfastes pour la nature, la guerre en Ukraine l’est « particulièrement », selon Doug Weir, directeur de recherche à l’ONG britannique Conflict and Environment Observatory, cité par l’AFP. Contrairement aux guerres limitées à une zone restreinte, la ligne de front est cette fois-ci « incroyablement longue », et les combats s’éternisent, ce qui multiplie les dégâts, note-t-il. Le coût du préjudice environnemental a été estimé début novembre à « 56 milliards de dollars, une somme faramineuse », affirme de son côté Jaco Cilliers, représentant du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) en Ukraine.
« Ecocide », pouvait-on lire notamment dans le pavillon ukrainien, couvert d’affiches détaillant les impacts de la guerre sur l’environnement, notamment ceux causés par la destruction du barrage de Kakhovka en juin dernier, dont la Russie et l’Ukraine s’imputent mutuellement la responsabilité.
Preuve que l’Ukraine jouit d’une attention particulière, la destruction du barrage de Kakhovka en juin dernier, dans le sud de l’Ukraine, qui a causé des dégâts écologiques très importants, fait désormais l’objet d’une enquête officielle pour le premier écocide attribué à l’armée russe. Le chef d’accusation d’écocide a été intégré au code pénal ukrainien depuis 2001. Pour enquêter sur les conséquences de la destruction du barrage, Maksym Popov, conseiller spécial pour les crimes environnementaux auprès du procureur général ukrainien, a déployé « 172 procureurs et 285 enquêteurs » et a l’intention de poursuivre la Russie « dans les juridictions ukrainienne et internationale ».
Cependant, le Statut de Rome régissant les lois de la Cour Pénale Internationale (CPI) ne prévoit pas le crime d’écocide, seul son article 8 définit des crimes de guerre dommageables à l’environnement. A ce jour, ni l’ONU, ni la Cour Internationale de Justice (CIJ) ne disposent d’outils pour encadrer une telle procédure. Aussi, pour que la plainte aboutisse, faudrait-il prouver que la Russie est responsable de l’explosion du barrage et qu’elle voulait intentionnellement détruire l’environnement. Ce qui reste bien difficile. Toujours est-il que l’importance accordée aux dégâts environnementaux de la guerre en Ukraine prouve qu’en matière d’environnement aussi, la justice est loin d’être la règle.
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