La tâche qui lui était assignée durant la guerre d’agir en tant que détachement avancé en faisant la traversée devant les forces principales et en se dirigeant vers les territoires occupés par les Israéliens sur une distance de 1 600 mètres pour détruire la réserve voisine de l’ennemi et l’empêcher d’atteindre la rive est du Canal, et ce, pour assurer un passage sans danger pour le reste du bataillon qui devait franchir ce passage après eux. Le temps de la mission était de 40 minutes pour atteindre leur objectif et prendre le contrôle de la colline du « sabaat », que l’ennemi utilise comme centre de contrôle pour attaquer toutes les forces qui oseraient s’en approcher, et de « Tabbet Al-Chagara », le centre de commandement israélien pour le secteur central à la ligne Bar-Lev, qui était une chaîne défensive fortifiée construite par Israël le long de la rive orientale du Canal de Suez.
Le général de division Tolba Radwan, actuellement âgé de 77 ans, qui était lieutenant en octobre 1973, ne savait pas, avant le mois d’août, que la guerre allait se déclencher, lorsqu’il a été convoqué à une réunion des commandants d’unité. Une réunion durant laquelle on leur a exposé une carte de la guerre et on leur a demandé de ne rien dire, ni aux soldats, ni aux autres officiers. Quant à la date du 6 Octobre, il n’en fut informé que le 4 octobre, et l’heure de départ qui était prévue à 14h, il en a été informé une heure à l’avance. Tolba a traversé avec ses forces et ils ont terminé avec succès leur mission qui a pris moins de temps que prévu. Et, jusqu’à l’annonce d’un cessez-le-feu entre les parties égyptienne et israélienne quelques jours plus tard, le 22 octobre, la compagnie constituée de 154 soldats et 6 officiers n’avait pas subi de pertes sévères, sauf un soldat mort. « Tout le monde attendait avec impatience et depuis des années le jour du déclenchement de la guerre. Et lorsque nous en avions été informés, les soldats, fous de joie, ont poussé des cris d’allégresse. Nous étions tous dans un état de colère et nous prévoyions de retrouver notre dignité depuis la défaite de 1967 ». Dès son plus jeune âge, la personnalité de Radwan a été influencée par plusieurs facteurs, y compris le fait d’être le seul garçon parmi ses 8 soeurs, ce qui lui a valu d’être le centre d’attention de son père et de toute la famille qui vivait dans la maison familiale dans la région de l’ancien Caire, au centre-ville. Badr Al-Moulouk, le gardien, chargé de faire attention à lui, a également eu une grande influence sur lui. Un homme à qui il voue une admiration et un grand respect pour sa loyauté au travail et qui l’a aidé à avoir du prestige parmi les autres. Sa maîtresse de classe Zahira Hassan lui a enseigné la discipline et le patriotisme, alors qu’il était encore en primaire. Et il n’a jamais perdu contact avec elle, jusqu’à ce qu’elle meure à l’âge de 88 ans, il n’y a pas si longtemps.
Ce militaire, qui fut l’un des premiers à franchir la ligne Bar-Lev avec ses soldats et à hisser deux drapeaux égyptiens sur sa rive occupée, est devenu officier dans les forces armées par pur hasard. Après avoir obtenu son bac à l’âge de 16 ans, il s’était inscrit à la faculté d’ingénierie à l’Université d’Assiout. Puis un jour, l’un de ses amis lui a demandé de l’accompagner pour soumettre des documents à l’Académie militaire qui se trouvait un peu loin, dans une région presque désertique à Héliopolis. Là, ils ont rencontré un officier qui leur a remis deux dossiers à remplir. Et quand Tolba lui a dit qu’il avait fait son choix, celui de rejoindre la faculté d’ingénierie, l’officier a continué d’insister en lui disant qu’il n’avait rien à perdre en remplissant le dossier et que s’il était accepté, il pourrait choisir la faculté qu’il veut.
Une nouvelle vie
Tolba fut surpris lorsque son dossier a été accepté alors que celui de son copain a été refusé. Il était ému, car ce profond sentiment du patriotisme l’habitait depuis son jeune âge. En plus, les médias n’arrêtaient pas de parler de la grandeur des forces armées égyptiennes, « l’armée de la nation arabe », comme on aimait la nommer. « A cette époque, la décision que j’ai prise a été dure pour la famille. Il y avait la guerre au Yémen et ils ont peur pour moi, j’étais leur fils unique. Mais ils ont respecté mon choix ». Lorsque Radwan avait obtenu son diplôme en 1967, l’atmosphère était toujours tendue. Après l’étape non calculée qui consistait à envoyer des soldats pour participer à la guerre au Yémen, sans aucune qualification ni formation, sans armes suffisantes et dans des circonstances bien difficiles, Israël a mené une agression contre l’Egypte et une guerre a éclaté pour laquelle les Egyptiens n’étaient pas encore prêts, et ils ont été largement vaincus. « Le président Abdel-Nasser avait annoncé la mobilisation générale de l’armée, l’année de ma graduation, et l’armée n’était pas au top à l’époque », ajoute-t-il. Israël avait détruit 85 % des armes de l’armée et capturé 400 chars.
Le rôle de Radwan avec le reste des étudiants diplômés était de défendre Le Caire, et peu de temps après, il a été transféré à Ismaïliya. « Après la guerre de 1967, des situations plus complexes se sont présentées sans compter le lourd fardeau à porter qui était l’échec et la honte, alors que nous n’étions pas responsables. Nous avions subi les erreurs de la génération précédente d’une part et, d’autre part, le peuple était en colère, alors la tâche fut difficile pour nous. Et pas uniquement pour traverser le canal, mais surtout faire passer l’Egypte d’un état de défaite et de honte à un état de victoire pour la restauration de notre dignité ». Cette génération s’est trouvée dans des situations bien difficiles, subissant le poids des erreurs de ses prédécesseurs et faisant face en même temps à ses responsabilités.
Après la guerre de 1967, les jeunes officiers ont commencé à changer la situation au sein de leurs unités sur plus d’un axe. « J’étais à peine lieutenant, mais je me sentais entièrement responsable. Nous avons commencé à reformer l’armée et à restaurer le caractère du soldat égyptien connu pour sa force et sa témérité à travers les âges. En même temps, nous avons construit des positions défensives très robustes, difficiles à pénétrer par l’ennemi, puis nous avons procédé à renouveler les armes. Le 7 septembre 1968 a été considéré comme le début du soulèvement des forces armées, lorsque l’artillerie égyptienne a commencé à attaquer l’ennemi et nous avons vu des flammes s’élever de l’autre côté du canal, ce qui a encouragé tout le bataillon. Les opérations ont causé de lourdes pertes à l’armée ennemie, ce qui a remonté le moral de nos troupes et les soldats ont veillé à ce que l’ennemi ne soit pas aussi fort qu’il le prétend ». Ces opérations militaires de grande envergure, enseignées dans les académies militaires, ont servi de prélude à la Guerre de 1973. « La guerre n’est pas seulement une bataille militaire, mais aussi une guerre psychologique ».
Le moment décisif est arrivé et le désir de vengeance de chacun a rejailli. Après de grands efforts, d’une préparation minutieuse et d’un entraînement qui a duré 6 ans, la victoire était au rendez-vous.
Radwan et les autres s’entraînaient tout au long d’une année sans connaître la date du déclenchement de la guerre. Le jour J, après avoir franchi la ligne de Bar-Lev, ils ont commencé à détruire les chars israéliens, puis ont pris le contrôle du plus grand poste de commandement israélien à Tabbet Al-Chagara. « J’ai oublié la fatigue en voyant mes soldats combattre avec férocité et témérité. Ils ne sont pas les seuls héros de la guerre, car le peuple est lui aussi le héros ».
Radwan mentionne à chaque fois les noms de ses soldats et visite toujours le site de Tabbet Al-Chagara, qui est devenu une attraction touristique et porte à nouveau l’esprit d’un combattant du front. Chaque année, le jour du 6 octobre, Radwan tient à revoir les membres de son bataillon et ses 12 fantassins. Aujourd’hui, et 50 ans après la guerre, il souhaite revivre les mêmes événements avec les mêmes personnes.
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