Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous l’évolution de la situation militaire sur le terrain un an après la guerre ?
Mohamed Mansour: Les forces russes tentent à court terme de sécuriser toutes les zones entourant les quatre régions annexées par la fédération de Russie. Elles avancent sur le front est en pénétrant les lignes défensives ukrainiennes. De toute évidence, le soutien militaire occidental à Kiev, représenté au stade actuel par des chars de combat Leopard et Challenger et des véhicules blindés de combat de type AMX, constitue un saut qualitatif dans l’armement ukrainien qui lui permettra, dans une phase ultérieure, de mener de puissantes attaques contre les lignes russes. Mais le problème réside dans le fait que les forces ukrainiennes mettront du temps à comprendre l’armement occidental, notamment les véhicules blindés. Il faut savoir aussi que la période de formation consacrée aux forces ukrainiennes est limitée, ce qui réduit l’efficacité des chars occidentaux. Par ailleurs, le principal défi pour Kiev est de lancer une offensive sur le front sud, dans le but de ralentir les attaques russes à l’est, tout en investissant dans les précédentes réussites ukrainiennes sur le front sud, qui ont poussé les forces russes à se retirer de la rive ouest du fleuve Dniepr.
— Quels sont les rapports de force militaires entre les deux parties aujourd’hui ?
— Il y avait une mauvaise coordination au début des opérations militaires entre les unités régulières de l’armée russe, les forces tchétchènes et les éléments wagnériens, avant que la discipline ne soit récemment rétablie entre ces forces. Le moral et l’esprit combatif des forces russes sont inférieurs à ceux des forces ukrainiennes, mais la cohésion et l’homogénéité de l’armée russe ont atteint des niveaux acceptables. Nous devons prendre en considération le fait que, jusqu’à présent, la Russie n’a pas procédé à une mobilisation générale et que Moscou considère toujours ce qui se passe en Ukraine comme une « opération militaire spéciale ». Les forces russes ont renoué avec le principe du « combat au bulldozer », où l’artillerie est utilisée pour balayer les sites hostiles, permettant aux chars d’avancer. Un principe utilisé auparavant en Afghanistan. Les forces russes ont formé des unités « choc » sur le terrain. Il s’agit d’unités plus petites que les bataillons, ce qui a globalement amélioré les performances sur le terrain. La coordination russe au niveau tactique s’est beaucoup améliorée, et les unités conjointes possèdent désormais des armes intégrales comprenant l’artillerie, des missiles anti-aériens et des chars. La partie ukrainienne a commencé à recevoir des chars avec système de protection actif. Cependant, en présence de munitions de fabrication iranienne, ces chars seront sous pression constante.
— Pensez-vous que ce conflit se transforme en une guerre prolongée entre les parties concernées ?
— La situation en Ukraine ressemble à un match de football. Les deux équipes sont à égalité, mais l’équipe russe possède des joueurs internationaux grâce auxquels elle peut marquer des buts dans le temps additionnel. La question est de savoir si l’Occident continuera d’aider à court terme l’Ukraine, avant que les Russes n’atteignent l’apogée de leur force sur le terrain. C’est pourquoi Zelensky se rend en France, car il veut accélérer le soutien occidental, afin que l’armée ukrainienne puisse lancer son offensive avant que les Russes n’atteignent le sommet de leur force.
— Existe-t-il un risque que les armes occidentales envoyées à l’Ukraine tombent dans les mains de groupes terroristes dans la phase post-conflit ?
— Actuellement, des groupes paramilitaires se battent sur le sol ukrainien, qu’il s’agisse de combattants wagnériens, d’unités tchétchènes ou d’unités ukrainiennes appartenant à l’extrême droite européenne. Ces groupes présenteront naturellement un danger pour l’intérieur de l’Europe, après la fin des combats en Ukraine et le retour de ces éléments dans leur pays d’origine. Cela peut créer une nouvelle forme de menace terroriste, en plus de la possibilité pour ces personnes de transférer leur expertise, et peut-être les armes qu’elles ont obtenues, à divers groupes terroristes.
— Quelles sont les leçons tirées de la guerre en ce qui a trait à la planification militaire ?
— On a remarqué l’intérêt croissant de pays comme la Pologne pour acheter des systèmes de combat avancés et remplacer les systèmes obsolètes qu’elle possède. Des pays européens, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et des pays asiatiques, comme le Japon et la Corée du Sud, ont également eu recours à un examen sérieux de l’état de préparation de leurs armées, en ce qui concerne le niveau opérationnel et la disponibilité de munitions et de systèmes de combat, ou encore le niveau de préparation. Les systèmes de missiles tactiques ont gagné aussi en importance. Des pays comme la Corée du Sud ont commencé à s’orienter activement vers le développement des systèmes de missiles balistiques et à longue portée. En outre, le manque de quantités suffisantes de munitions légères et moyennes dans les arsenaux européens, à cause du soutien militaire à l’Ukraine, a mis en avant les dilemmes de l’industrialisation militaire en Europe.
— Quels sont donc les scénarios envisagés ?
— Je pense que le scénario le plus proche pour la fin des combats sera similaire à celui qui est arrivé auparavant dans la péninsule de Crimée, à savoir l’arrivée à un point d’équilibre sur le terrain auquel les combats s’arrêteront à la périphérie nord des quatre régions du sud de l’Ukraine. Les combats s’arrêteront quand Moscou aura pris le contrôle de toutes les zones appartenant administrativement aux quatre régions, ce qui empêchera les forces ukrainiennes de lancer de nouvelles attaques majeures sur le front sud.
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