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Ahmed Maghawry Diab : La crise en Ukraine a lourdement affecté les pays en voie de développement

Névine Kamel, Mercredi, 14 décembre 2022

Dr Ahmed Maghawry Diab, ministre délégué et directeur du bureau de représentation commerciale égyptien à l’Onu et à l’OMC, revient sur les solutions proposées par l’Egypte, au sein de cette institution, pour faire face à la crise alimentaire mondiale.

Ahmed Maghawry Diab

Al-Ahram Hebdo : La 12e Conférence ministérielle ordinaire de lOrganisation Mondiale du Commerce (OMC) sest tenue en juin dernier après 5 ans de rupture. Quelle était, selon vous, limportance de cette rencontre ?

Dr Ahmed Maghawry Diab : L’OMC joue un rôle important dans les relations commerciales entre les pays. La Conférence ministérielle se tient généralement tous les deux ans. L’importance de la dernière conférence réside dans le fait qu’elle s’est tenue après une période de crise multipolaire. Il y a eu la pandémie de Covid-19, puis il y a eu le conflit en Ukraine qui a lourdement pesé sur les défis auxquels doit faire face l’OMC. Il y a aussi cette stagnation de l’OMC elle-même. Tout ceci a fait que la conférence de Buenos Aires en 2017 était la dernière qui a abouti à des décisions tangibles. La 12e réunion ministérielle a soulevé une question importante, à savoir comment relancer le système commercial mondial ? Plus de 27 ans après la création de l’OMC et 22 ans après le sommet de Doha, il n’y a aucune évolution dans les dossiers importants, avec à leur tête le dossier agricole.

Comment, selon vous, lOMC peutelle lier le commerce au développement durable ?

— L’OMC peut devenir un outil de première importance en ce qui a trait aux objectifs du développement. Car le commerce extérieur est la véritable locomotive du développement. Là où il y a un commerce extérieur fort, il y a un développement de l’industrie et des politiques monétaires fortes. Si nous voulons vendre un ordinateur, nous devons importer certains de ses composants et produire le reste localement. Cette procédure nécessite la mise en place d’une politique monétaire forte qui se rapporte aux tarifs douaniers, aux emprunts et aux taux d’intérêt.

Concernant les négociations sur laccord agricole, les pays membres de lOMC ne sont pas en accord sur certaines clauses. Quelle est la position de lEgypte ?

— Nous avons déjà dit que le dossier agricole stagne. Le conflit en Ukraine a pesé sur la sécurité alimentaire mondiale affectant lourdement les pays en voie de développement qui sont des importateurs nets de produits alimentaires. Nous avons un accord agricole, nous avons aussi des pays importateurs nets de produits alimentaires, dont l’Egypte, et nous avons enfin une crise alimentaire. La question qui se pose à présent est de savoir comment l’accord agricole peut résoudre la crise alimentaire dans ces pays qui souffrent d’un écart significatif entre la production domestique et la consommation. Ils importent des produits alimentaires stratégiques comme le blé, le maïs, le sucre, la viande, le riz, le soja et les huiles. Cependant, lors des débats sur la crise alimentaire, nous avons constaté que le document relatif à cette question offrait seulement des solutions basées sur le commerce sans mentionner la nécessité de promouvoir la production locale.

LEgypte a soumis à lOMC un projet de résolution pour faire face au défi de la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Comment cela est-il possible selon vous ?

— L’Egypte produit environ 45 % de ses besoins en blé et environ 60 % de ses besoins en sucre. Elle importe le reste. Ces importations coûtaient 14 milliards de dollars par an avant le conflit en Ukraine et les augmentations des prix qui ont suivi à cause des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Aujourd’hui, la facture est passée à plus de 24 milliards de dollars. Nous avons demandé à ce que l’Egypte et les pays qui se trouvent dans la même situation soient exonérés de leurs engagements relatifs à l’accord agricole. En vertu de cet accord, l’Egypte ne doit pas fournir aux paysans une subvention supérieure à 10 % de sa production agricole. Or, dans le contexte actuel, cela paraît très peu. L’achat de plus de la moitié des besoins en blé coûte à l’Etat de grandes sommes. Le problème est que ces sommes ne sont pas disponibles en raison de la rareté des devises étrangères en Egypte.

L’Egypte et les pays semblables doivent augmenter leurs capacités productives pour bâtir des réserves de denrées stratégiques. Il va sans dire que les pays développés ont rejeté notre proposition et ont accusé l’Egypte de bloquer le consensus. Or, l’Egypte a fortement plaidé en faveur de sa proposition et tous les pays membres de l’OMC ont fini par l’accepter. Ils nous ont demandé d’élaborer un programme complet pour l’application de cette proposition et nous sommes en train de le formuler.

Quelle a été donc la réaction de lEgypte ?

— Le Cairns Group (pays exportateurs nets de produits alimentaires) a argumenté que l’accord agricole renferme un mécanisme dit de « flexibilité », qui permet aux pays importateurs nets de produits alimentaires de faire face à toute situation de crise. Il s’agit du mécanisme de Marrakech. Signé en 1994, celui-ci se rapporte aux effets négatifs sur les pays en développement du programme de libération des échanges agricoles. Le mécanisme de Marrakech prévoit 4 solutions en cas de crise.

Il stipule que les 16 pays les plus riches du monde se réunissent et déterminent ensemble le volume de l’aide alimentaire fournie aux pays en développement. L’Egypte a rejeté cette proposition. Elle veut libérer sa capacité productive. Le mécanisme propose aussi l’octroi de crédits longs aux pays en développement. Il s’agit de tripler la période de grâce de 12 à 36 mois. L’Egypte a également rejeté cette proposition qui risque de peser lourdement sur ses devises étrangères. La troisième solution stipulée par l’accord de Marrakech porte sur l’aide individuelle, et le programme CARE. Il s’agit d’envoyer un expert qui nous apprend à cultiver notre terre. Mais nous avons également refusé.

Quant à la 4e et dernière solution, elle consiste à trouver des mécanismes de financement pour passer à des niveaux d ’ importation supérieurs à la normale. Nous avons dit à la fin des débats qu’aucun de ces mécanismes n’a été appliqué depuis l’année 1994. Les débats ont été tellement durs, interrompus à plusieurs reprises par des commentaires désobligeants à l’égard de l’Egypte. Nous avons présenté un rapport détaillé en 9 pages soulignant ce que nous avions relevé au départ, à savoir que ces mécanismes sont restés lettre morte depuis leur entrée en vigueur en 1994.

Ce que nous voulons, ce sont des outils politiques qui permettent à l’Egypte de libérer sa capacité productive. Même si l’Egypte a signé les accords de libération du commerce, il faut prendre en considération le fait que c’est une période de crise.

Quest-ce que lEgypte a proposé comme solution pour résoudre ce dilemme, surtout quelle parle au nom des pays importateurs nets de produits alimentaires ?

— Pour aider les pays importateurs nets de produits alimentaires, nous avons proposé un programme de travail basé sur quatre axes, qui dépendent à leur tour de deux éléments principaux, à savoir la disponibilité et l’abordabilité. Le premier axe répond à la question : comment les pays importateurs de produits alimentaires peuventils augmenter leur productivité agricole ? Le deuxième axe propose de former un système monétaire international qui permet aux pays en développement de recueillir les fonds nécessaires pour financer leurs importations « normales ». Et ils doivent se charger de tout ce qui va au-delà de ce seuil. Le programme propose aussi des moyens pour faire face à toute sorte de perturbation dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Le troisième axe porte sur la flexibilité octroyée aux pays en voie de développement si les pays producteurs de produits alimentaires suspendent leurs exportations des produits stratégiques. Et le dernier axe porte sur la réforme de la convention alimentaire. Il s’agit de trouver un nouveau système permettant de soutenir la production locale et l’exportation.

LEgypte a-t-elle proposé dautres projets ? Lesquels ?

— Nous avons présenté un document qui a une signification très importante. Le document s’intitulait « Réponse de l’Organisation mondiale du commerce à la pandémie et préparation à la crise future ». Il a également fait face à une violente résistance dirigée contre l’Egypte et des pays comme le Pakistan, l’Afrique du Sud et l’Inde. Le but de ce document était de désactiver certaines dispositions de l’accord du TRIPS censé protéger les droits de la propriété intellectuelle. Le document stipule l’arrêt instantané de la protection de la propriété intellectuelle en cas de pandémie. L’objectif est de donner l’opportunité aux producteurs locaux de fabriquer le vaccin pour faire face à la pandémie. Cette demande a été rejetée par certains pays. En revanche, les pays développés ont décidé de faciliter l’octroi de la licence obligatoire. Celle-ci est accordée aux producteurs locaux pour produire un médicament spécifique pendant une période de temps spécifique.

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