Les projecteurs sont braqués sur l’Arabie saoudite qui doit accueillir, au cours de la première moitié du mois de décembre, 3 sommets distincts avec la Chine : le premier sommet sino-arabe, Chine-Arabie saoudite et Chine-CCG (Conseil de Coopération du Golfe). En fait, la Chine est un partenaire stratégique pour de nombreux pays du Moyen-Orient. Quels sont donc les enjeux de ce sommet ? « Le premier sommet sino-arabe est d’une grande importance, car il reflète l’état de rapprochement entre les pays arabes et les monarchies du Golfe en particulier et entre les pays arabes et la Chine en général », explique Ahmed Sayed Ahmed, expert des relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter : « Cet événement est important pour les deux parties, puisque la Chine est la deuxième plus grande économie du monde. Il reflète également que les pays arabes ne s’appuient plus sur les cercles traditionnels de leur politique étrangère, à savoir les cercles américains et européens, mais se tournent plutôt vers les cercles asiatiques ».
En fait, ce sommet intervient au moment où l’économie mondiale est frappée de plein fouet par la guerre en Ukraine. C’est ce qu’explique Bassant Gamal, spécialiste en économie au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Elle souligne que l’importance de ce sommet réside encore dans son timing. « Le moment de sa convocation coïncide également avec l’intérêt croissant de la Chine pour les pays du Golfe et le Moyen- Orient, et la volonté de l’Arabie saoudite de diversifier ses partenaires politiques et commerciaux ». Un avis que partage Sama Soliman, présidente de la commission des affaires arabes et africaines au Sénat, qui explique : « Ce sommet fait suite à la visite récemment effectuée par le président américain, Joe Biden, pour assister au sommet de Djeddah pour la sécurité et le développement, au cours duquel il a déclaré que les Etats-Unis ne quitteront pas le Moyen-Orient en laissant la Russie, la Chine et l’Iran combler le vide ». Et d’ajouter : « Washington voit d’un mauvais oeil ce rapprochement sino-arabe, surtout que les relations saoudo-américaines connaissent des tensions en raison du refus de Riyad de réduire la production de pétrole dans le cadre de l’alliance de l’OPEP+ ».
Un nouveau style de coopération
« Construire une communauté d’avenir partagé Chine-Etats arabes ». Tel est le message envoyé par la Chine à la veille du sommet, dans le rapport publié par le ministère chinois des Affaires étrangères intitulé La coopération sinoarabe dans une nouvelle ère. « A l’heure actuelle, la Chine et les pays arabes sont confrontés à des opportunités et à des défis similaires, alors que le monde traverse des changements profonds jamais vus depuis un siècle. La Chine prendra le prochain sommet avec les pays arabes comme une opportunité pour approfondir la coopération dans tous les domaines et renforcer les échanges avec le monde arabe », affirme le rapport. En fait, les relations entre l’empire du milieu et les pays arabes remontent aux premiers siècles de notre ère. Les Chinois importaient des objets en verre de l’Egypte Ancienne par la voie maritime, appelée la « voie du verre », et exportaient la soie. L’Egypte a été le premier pays arabe et africain à entretenir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, le 30 mai 1956, à l’issue de la première rencontre entre Nasser et Zhou Enlai au sommet afro-asiatique de Bandung en 1955.
Entre 1990 et 1992, la Chine a établi des relations diplomatiques avec d’autres pays arabes. Mais depuis le lancement du Forum sur la coopération sino-arabe en 2004, la coopération économique et commerciale entre la Chine et les pays arabes s’est développée de manière remarquable. En 2013, les deux parties ont entamé un nouveau tournant après l’annonce par le président chinois, Xi Jinping, de l’initiative « la Ceinture et la Route ». Celle-ci vise à relier la Chine au reste du monde par un réseau complexe de routes maritimes, d’autoroutes et de chemins de fer et, dans le but d’accroître les échanges de la Chine avec ses principaux partenaires. Cette initiative repose sur 5 priorités : connectivité politique, connectivité des infrastructures, connectivité commerciale, connectivité financière et connectivité humaine. Plus de 100 pays et organisations internationales ont déjà signé des accords de coopération avec la Chine.
En janvier 2016, à l’occasion du 60e anniversaire des relations sino-arabes, le président chinois avait effectué une tournée dans la région, qui comprenait l’Egypte, l’Arabie saoudite et l’Iran. Pékin a publié « le document de politique de la Chine envers les pays arabes ». Celui-ci a mis en place une formule de coopération « 1+2+3 ». Selon le document, cette formule est axée sur « la coopération énergétique, privilégiant la construction d’infrastructures et la facilitation du commerce et de l’investissement, et s’appuyant sur les trois secteurs de hautes et de nouvelles technologies, à savoir le nucléaire civil, les satellites et les nouvelles énergies ». Intérêts réciproques Selon les analystes, les relations sino-arabes sont motivées par les intérêts réciproques.
« Le sommet est très important pour les deux parties. Le Moyen-Orient représente un intérêt majeur pour la Chine en termes d’approvisionnement énergétique : pétrole, gaz et matières premières. Alors que les Arabes veulent diversifier leurs marchés d’exportation et attirer des investissements asiatiques afin de réduire les répercussions de la guerre en Ukraine sur leurs économies », explique Bassant. Quel bilan ? La Chine est actuellement le 2e partenaire commercial des pays arabes. Les échanges commerciaux entre la Chine et les pays arabes ont totalisé 330 milliards de dollars en 2022, contre 36,7 milliards en 2004. Alors que les investissements directs de la Chine dans les pays arabes se sont chiffrés à 27 milliards de dollars en 2021. 48 % des importations totales de pétrole de la Chine proviennent du Moyen-Orient. Selon Mona Soliman, professeure de sciences politiques et experte des questions régionales, la politique étrangère de la Chine adopte des positions proches des pays arabes. Elle privilégie la non-ingérence, le respect de la souveraineté nationale et des règles internationales, ainsi que le refus des sanctions.
D’autre part, les pays arabes soutiennent le principe d’une « seule Chine, c’est-à-dire la Chine et Taïwan ». Chine-CCG : Une nouvelle donne Les deux autres rencontres en marge du sommet, « Chine-CCG » et « Chine-Arabie saoudite », ont une importance stratégique pour les pays du Golfe. Car à partir de 2020, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du CCG. Les échanges commerciaux entre la Chine et les pays du CCG ont réalisé une croissance de 44 % en 2022, alors que le volume des échanges commerciaux entre Riyad et Pékin est passé de 3 milliards de dollars en 2000 à 67 milliards de dollars en 2020, c’est-à-dire qu’il a été multiplié par 22 en deux décennies. Sur un autre volet, les importations énergétiques de la Chine, premier importateur mondial de pétrole, deviennent de plus en plus importantes au moment où celles de Washington diminuent. « Au cours des dernières années, les importations chinoises de brut arabe ont été multipliées par 7, passant de 0,8 million de barils en 2003 à près de 5,74 millions de barils au cours du 3e trimestre de 2022. De plus, l’Arabie saoudite représente la principale source de brut pour la Chine, soit 17 % de ses importations au cours de l’année dernière. Quant au Qatar, il était son second fournisseur de GNL en 2021 », explique Dr Ahmed Sultan, spécialiste des affaires énergétiques. Et de conclure : « Il existe des opportunités prometteuses, voire exceptionnelles, qui peuvent être exploitées par les parties chinoise et arabe, notamment en ce qui concerne l’investissement conjoint dans les domaines de l’exploitation minière dans de nombreux pays arabes, la création de bases industrielles communes où peuvent être exploitées les capacités technologiques et techniques chinoises et les matières premières qui abondent dans les pays arabes ».
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