L’initiative pour les marchés du carbone en Afrique a été lancée cette semaine à Charm Al-Cheikh. Objectif : mobiliser chaque année 300 millions de crédits carbone d’ici 2030, soutenir la création de 30 millions d’emplois d’ici 2030 et plus de 110 millions d’emplois d’ici 2050. Le principe est simple. Il s’agit de permettre aux pays qui dépassent les limites d’émission de carbone d’acheter des « crédits carbone » à d’autres pays qui ont des taux d’émission plus bas. Ces derniers sont alors « crédités » d’une réduction des émissions associées. Quant aux fonds, ils permettent aux pays ayant des taux d’émission élevés de mettre en place des projets de développement et de transition écologique. Avec, derrière un objectif simple : la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques.
Plusieurs pays africains se sont joints à l’initiative. Les crédits carbone connaissent une croissance remarquable à l’échelle mondiale. Ils ont augmenté de 31 % depuis 2016, et la demande sur ces crédits a augmenté de près de 50 %. L’Afrique est un marché prometteur pour ce commerce, qui peut être bénéfique pour le développement du continent. En fait, la contribution de l’Afrique aux émissions mondiales de dioxyde de carbone n’est que de 2 à 3 %. Pourtant, le continent subit les conséquences du réchauffement climatique qui provoque des phénomènes météorologiques extrêmes. L’Initiative africaine des marchés du carbone (ACMI) est, du point de vue des experts, une solution pratique au développement de l’Afrique. Mahmoud Mohieddine, pionnier du climat pour la présidence égyptienne de la COP27 et envoyé spécial des Nations-Unies pour le financement de l’Agenda 2030 du développement durable, a affirmé que « les marchés du carbone permettront au continent de financer l’action climatique ».
Enormes avantages
Le financement disponible pour la transition énergétique en Afrique est loin du seuil requis. « L’initiative des marchés du carbone en Afrique fournira le financement nécessaire », affirme Damilola Ogunbiyi, PDG de Sustainable Energy for All et membre du comité de pilotage de l’initiative. Le vice-président du Nigeria et membre du comité directeur de l’initiative, Yemi Osinbajo, s’est, lui, réjoui des avantages que son pays pourrait en tirer. « Les marchés du carbone peuvent apporter d’énormes avantages au Nigeria et à l’Afrique, créer des opportunités d’emploi, stimuler les investissements verts et réduire les émissions. Le Nigeria en jette aujourd’hui les bases. Les crédits carbone deviendront dans les années à venir une industrie majeure qui profitera à notre peuple », a-t-il affirmé.
Pour sa part, Dr Samir Tantawy, consultant des changements climatiques aux Nations-Unies et membre du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat, explique que ce commerce a débuté avec l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto et a connu un grand succès entre 2005 et 2012. « Les prix des certificats carbone étaient très élevés au cours de cette période, mais ils ont attiré des pays industrialisés qui se sont engagés à réduire les émissions. Ces pays ont investi hors de leurs frontières en finançant des projets d’énergies nouvelles et renouvelables, de transports intelligents, de recyclage des déchets, d’éclairage intelligent et de rationalisation de la consommation d’énergie ». Les pays qui fournissent le financement obtiennent un certificat de la part de l’une des autorités de régulation attestant qu’ils ont réduit leurs émissions de carbone. « C’est ce qui s’appelle le certificat carbone », explique Saber Osman, expert international et ancien coordinateur de la Convention des Nations-Unies sur les changements climatiques au ministère de l’Environnement,
Dans quelle mesure cette initiative peut-elle profiter à l’Egypte ? « C’est une opportunité pour l’Egypte. L’Egypte a un plan clair pour réduire les émissions. Elle a lancé de nombreux projets de transition verte », explique Dr Medhat Nafea, professeur d’économie. Il appelle à renforcer la coopération avec les institutions financières internationales pour tirer le meilleur parti de cette initiative. « L’Egypte a une grande expérience, des connaissances et de bonnes relations avec les institutions internationales qui peuvent faciliter l’émission de ces outils financiers », ajoute-t-il, affirmant que les crédits carbone ne sont soumis à aucune condition particulière hormis la préservation de l’environnement.
« Ce commerce présente plusieurs avantages. Le premier est qu’il fait une sorte d’équilibre entre les pays qui polluent et qui ont des richesses et les pays qui polluent moins, mais qui ont du mal à achever le processus de transition verte. Le but ultime est de parvenir au zéro carbone ou zéro émission net. Par ailleurs, ce commerce permet aux pays en développement comme l’Egypte, qui est l’un des pays qui contribuent le moins aux émissions, d’utiliser de manière optimale le carbone comme ce fut le cas pour les Européens et les Américains pendant des années. Les certificats carbone laissent aux pays du Sud le temps nécessaire pour adapter leurs industries et réduire les émissions. L’échange des points carbone entre les pays en développement et les pays développés permettra d’améliorer la situation environnementale à l’échelle mondiale et d’accélérer le processus de transition vers des technologies et des énergies propres, car les fonds sont généralement dépensés pour réduire les émissions de carbone des usines et améliorer les installations électriques. C’est un gain pour toutes les parties », explique Nafea.
Comment les crédits carbone sont-ils calculés ? « Il existe des institutions dans chaque pays qui mesurent les émissions carbone. Les crédits carbone sont un produit qui se négocie sur le marché financier. En Egypte, on vient de fonder une société pour le carbone et les points carbone », affirme l’économiste. Il estime que ces institutions ne devraient pas être affiliées au gouvernement et travailler de manière indépendante sur la mesure et la certification des émissions. « La technologie qui permet de mesurer les émissions s’est beaucoup développée au cours de la période écoulée. Je me souviens quand j’étais président de la Holding pour les industries métallurgiques, nous avions des applications mobiles qui mesuraient les émissions de nos usines en Haute-Egypte », ajoute Nafea.
Avis divergents
Hanadi Awadallah, représentant du ministère soudanais de l’Agriculture et des Forêts, et porte-parole du Groupe de négociation arabe sur le changement climatique, est critique à l’égard des crédits carbone. « Pourquoi les pays développés bénéficieraient-ils de la réduction des taux de carbone dans les pays en développement ? Les pays développés sont en grande partie responsables de la pollution et doivent en payer le prix. Nous ne rejetons pas les crédits carbone, mais les pays développés doivent payer le prix de la pollution qu’ils ont causée ».
Les militants écologistes pensent également que les marchés du carbone sont un moyen de contourner les objectifs environnementaux. Magdy Allam, secrétaire général de l’Union des experts environnementaux arabes, déclare : « C’est une manière de contourner l’objectif de zéro émission. Au lieu de l’atteindre réellement, il sera atteint de manière fictive, en achetant des crédits carbone. Cela ne profitera pas à la planète et aidera le pollueur à se soustraire à sa responsabilité en payant de l’argent », affirme Allam. Certains experts en énergie ont également des réserves. Ahmed Qandil, chef de l’unité de recherche sur les études énergétiques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, conclut : « Cela revient à empêcher les pays en développement de se développer en exploitant leurs richesses pétrolières, afin que ces richesses soient exportées vers les principaux pays industrialisés pour produire davantage d’émissions ».
Lien court: