Environ un milliard de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire grave dans le monde, alors qu’une personne meurt actuellement de faim toutes les quatre secondes. Ces chiffres alarmants indiquent que le monde s’éloigne de plus en plus de son objectif « faim zéro » d’ici 2030. C’est dans ce contexte que des experts du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de plusieurs organisations internationales, ainsi que des représentants d’entreprises travaillant dans les domaines de la technologie agricole se sont rencontrés, à moins de 35 jours de la COP27, pour participer au premier Symposium sur la sécurité alimentaire 2022, tenu au Caire, les 28 et 29 septembre, sous le titre « Les partenariats et les nouvelles technologies pour le renforcement de la sécurité alimentaire». Objectif: échanger les expériences et développer une vision unifiée pour prévenir une crise alimentaire mondiale sans précédent, comme ont averti plusieurs rapports onusiens.
« Je peux honnêtement dire que le monde d’aujourd’hui affronte des niveaux de faim et de malnutrition sans précédent. Il y a environ 345 millions de personnes en situation d’urgence alimentaire, alors que 50 millions de personnes dans 45 pays sont au bord de la famine », explique Arif Hussein, économiste en chef et directeur de la recherche du PAM. Et d’ajouter: « L’impact de la guerre en Ukraine, conjuguée aux chocs climatiques et aux répercussions économiques de la pandémie, en plus de la hausse des prix ont perturbé la production et mis à rude épreuve les systèmes alimentaires dans le monde ».
Un concept en évolution
Comment définir la sécurité alimentaire, ce mot qui résonne partout dans le monde depuis l’émergence du Covid-19? En fait, ce concept qui ne cesse d’évoluer est plus vaste que l’autosuffisance. Selon le Comité des Nations-Unies sur la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA), « une personne est en situation de sécurité alimentaire lorsqu’elle a la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive lui permettant de satisfaire ses besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». L’accès à la nourriture, la disponibilité, la qualité et la stabilité sont les quatre dimensions de la sécurité alimentaire. Selon les dernières estimations de l’Onu, la crise alimentaire resserre son emprise sur 19 « points chauds de la faim ». « Depuis le corridor sec d’Amérique centrale et Haïti, en passant par le Sahel, la République centrafricaine, le Sud-Soudan, puis vers l’est jusqu’à la Corne de l’Afrique, la Syrie, le Yémen et l’Afghanistan, un cercle de feu s’étend autour de la planète, où les conflits et les chocs climatiques conduisent des millions de personnes au bord de la famine », selon le PAM.
C’est ainsi qu’au cours de deux jours, les sessions du symposium se sont penchées sur les conséquences de l’insécurité alimentaire sur l’économie, l’écologie et la politique, ainsi que sur le coût de l’inaction et les possibilités de s’adapter en innovant et en utilisant de nouvelles technologies.
« Face à ces crises consécutives, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et ignorer les effets directs du réchauffement climatique sur la sécurité alimentaire. C’est pourquoi la présidence égyptienne de la Conférence sur le climat COP27 s’emploie à la mise en oeuvre efficace et rapide des engagements climatiques », a déclaré Dr Rania Al-Mashat, ministre de la Coopération internationale, dans son discours d’ouverture. « Le taux des dépenses alimentaires du revenu total atteint 15% dans les pays développés, alors qu’il dépasse 50% dans les pays pauvres, ce qui révèle l’ampleur de la crise et souligne la nécessité d’étendre les projets d’adaptation », a ajouté la ministre, en précisant que « 60% des pays du continent sont touchés par le dérèglement climatique, alors que l’Afrique ne produit que moins de 4% des gaz à effet de serre de la planète ». Autre défi, ajoute la ministre, « la facture des importations nettes de produits alimentaires de l’Afrique s’est élevée à 43 milliards de dollars et devrait passer à environ 110 milliards de dollars par an d’ici 2025 ».
Dans son intervention, Corinne Fleischer, directrice régionale du PAM pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Asie centrale et l’Europe de l’Est, a souligné que le PAM est confronté à un manque de fonds nécessaires pour mener à bien ses projets dans certaines régions. Elle a cité le Yémen, qui s’enfonce de plus en plus dans la guerre et la famine et où le PAM ne fournit que 40% des besoins de sa population. « En outre, les besoins alimentaires en Syrie ont été multipliés par 100 après 11 ans de conflit, alors que 46 % des citoyens libanais souffrent d’insécurité alimentaire et que la production agricole en Iraq a diminué de 50% en raison de la migration vers les villes », souligne Fleischer.
Innovation et inclusion financière
Avec un climat de plus en plus extrême, il est nécessaire de transformer les systèmes alimentaires. Technologies innovantes, protection sociale et inclusion financière étaient les trois principaux axes du symposium, afin d’assurer l’accès à la nourriture et les moyens de subsistance.
Pour ce qui du premier axe lié à l’innovation technologique dans l’agriculture, des participants ont passé en revue leurs start-up, qui peuvent être reproduites à grande échelle. H2Grow et ElMozare3 sont deux plateformes agri-fintech qui donnent des exemples sur ce qu’apporte l’innovation aux systèmes alimentaires plus résilients pour lutter contre la faim. H2Grow est un exemple de la façon dont la technologie peut permettre de planter dans des zones impossibles en augmentant la productivité et en réduisant les déchets. Alors que ElMozare3 offre aux agriculteurs des plateformes pour améliorer leurs moyens de subsistance en comblant le fossé entre l’offre et la demande, et ce, en les connectant au marché et en offrant des services complémentaires tels que des prêts, l’accès aux engrais, des cours agricoles et des opportunités d’emplois saisonniers.
Quant au deuxième axe, celui de la protection sociale, il était au coeur d’une session qui s’est ouverte par la présentation de Takafol wa Karama, le programme de protection sociale du gouvernement égyptien pour soutenir les moyens de subsistance de plus de 17 millions d’Egyptiens. Au cours d’une table ronde, Samer Abdeljaber, directeur du bureau du PAM en Palestine, a expliqué le processus de fonctionnement de la plateforme alimentaire humanitaire du PAM qui vise à étendre les programmes de filets de protection sociale en utilisant l’innovation et la numérisation pour atteindre les Palestiniens vulnérables à Gaza et en Cisjordanie.
Sur un autre volet, la finance inclusive joue un rôle-clé pour renforcer la souveraineté alimentaire et transformer les zones rurales. Au cours d’une session intitulée « Inclusion financière: Intégration des transactions non bancaires dans le système financier », Haïtham Nassar, fondateur et PDG de Kasbana Company, a expliqué « l’importance de l’inclusion financière face à l’accès limité aux services bancaires pour aider à la création des micro-entreprises ». Et d’ajouter que « son entreprise construit une identité bancaire pour ceux qui ne sont pas couverts par les services bancaires et qui souhaitent obtenir un capital simple pour démarrer leurs projets. Et ce, grâce à une coordination entre le micro-entrepreneur et le système bancaire, en numérisant les relations entre les commerçants de détail et de gros et en créant une fusion entre les sociétés de technologie financière et les banques ».
Changement climatique et transition agricole
Le changement climatique est le principal moteur de l’insécurité alimentaire, de la malnutrition, de la migration et des conflits. C’est pourquoi les yeux du monde se tournent vers l’Egypte, présidente et représentante de l’Afrique à la COP27, prévue en novembre. Alors que la faim dans le monde touche 828 millions de personnes en 2021, en Afrique, une personne sur cinq était confrontée à la faim en 2020 et environ 282 millions d’Africains souffrent de malnutrition. Selon la Banque mondiale, chaque inondation ou sécheresse fait reculer la sécurité alimentaire de 20 % en Afrique. « La COP27 se focalise sur la transformation du secteur agricole et alimentaire sur des bases scientifiques correctes afin de faire face au changement climatique », a déclaré Mahmoud Mohieddine, champion de haut niveau de l’Onu pour l’action climatique d’Egypte, lors de sa participation au Symposium sur la sécurité alimentaire. Et d’ajouter : « Créer un système agricole et alimentaire plus adaptatif aux effets du changement climatique nécessite de compter sur des bases de données mises à jour, d’utiliser les technologies de pointe, de recourir à des solutions scientifiques et de fournir les capacités à tous les acteurs concernés de la réalisation de cette transition, et aussi d’assurer un financement juste et suffisant pour ce processus ».
(Photo : Hassan Ammar)
Selon Mohieddine, la transition dans le secteur agricole et alimentaire ne réaliserait pas la sécurité alimentaire que si elle s’inscrivait dans le cadre d’une approche globale qui prend en considération l’équilibre entre les mesures d’atténuation des effets du changement climatique et celles d’adaptation à ce phénomène. « La dimension régionale de ce processus et la coopération des pays d’une même région sont très importantes pour réaliser cet objectif », souligne Mohieddine. Avant de conclure qu’« il est important d’établir des partenariats des secteurs public-privé, d’activer le mécanisme d’échange de dettes via l’investissement dans des projets agricoles et alimentaires et, enfin, de mettre en place des marchés du carbone appropriés aux priorités des économies des pays en développement et des marchés émergents ».
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