Al-Ahram Hebdo : Comment l’Egypte est-elle parvenue à accueillir la COP27 et quelles étapes avaient été préparées pour cela ?
Dr Yasmine Fouad : La Conférence des parties à la convention-cadre des Nations- Unies sur les changements climatiques est considérée comme l’une des plus importantes conférences de coopération multilatérale au niveau des Nations-Unies. Cette cause est devenue vitale, ce qui signifie qu’en fonction des évolutions de la question du changement climatique, le destin de l’humanité sur la planète Terre sera tracé. C’est donc une question de vie, tant elle est associée à l’existence et la survie de chaque être vivant. L’Egypte a achevé un long parcours dans la voie de la transformation verte, cette phase de transition graduelle qui exige du temps. Nous avons commencé par le développement du secteur de l’environnement en 2018, faisant le lien entre environnement et économie. Nous avons donc décidé de changer le concept. L’environnement, qui était vu comme un obstacle au processus du développement et qui était associé au sujet de pollution, est pour la première fois vu comme une opportunité. Et ce, à travers deux axes importants. Nous avons commencé par le problème saisonnier de la combustion de la paille de riz et nous avons équipé les agriculteurs par des hachoirs et pressoirs pour en obtenir un produit qui pourrait être vendu. Ainsi, on a réussi à faire d’un problème une source de revenu. Ce qui explique pourquoi ces trois dernières années, le citoyen ne ressent plus l’odeur aussi pressante de ce phénomène à cette période de l’année.
Deuxième côté : partout dans le monde, les ministères de l’Environnement sont plutôt responsables de l’élaboration de politiques et de stratégies, de leur intégration dans les plans de développement et non pas de leur mise en application. En Egypte, nous avons commencé à adopter cette vision avec le gouvernement du premier ministre, Dr Moustapha Madbouli. Nous coopérons avec tous les ministères, mais nous sommes centrés sur ceux dont les activités sont interconnectées avec les nôtres, c’est ce qu’on appelle Cross cutting ministries, tels que les ministères des Finances, de la Planification, de la Jeunesse et du Sport, de la Culture. Ce qui a accéléré l’intégration de la notion écologique. Par exemple, avec le ministère de la Planification, nous avons lancé l’initiative « Verdir le budget de l’Etat ». Le ministère de la Planification examinera non seulement la rentabilité des projets présentés par les autres ministères, mais tiendra aussi en compte le critère environnemental. Nous avons fixé un objectif ambitieux : tous les projets financés par le gouvernement égyptien seront des projets verts avec l’arrivée de 2030. Avec le ministère des Finances, nous avons mis l’accent sur les projets liés au changement climatique comme la réutilisation des eaux usées, le drainage sanitaire et d’autres projets d’adaptation par lesquels les pays en développement sont concernés. Et ce n’est pas tout. Suite aux directives du président Sissi, il était primordial de faire le lien entre le dossier de l’environnement et la sensibilisation des citoyens. Nous avons donc lancé, lors du Forum des jeunes en 2019, la campagne de mobilisation nationale, parrainée par le président et intitulée « Prépare-toi au vert », suivie par d’autres campagnes telles que le recyclage des restes électroniques, la campagne EcoEgypt pour la protection des réserves naturelles et la campagne actuelle sur le changement climatique « Redonne à la nature sa nature ». Sans ce contexte, il aurait été impossible d’accueillir un événement d’une telle importance. Ce sont ces étapes qui ont introduit l’accueil de l’Egypte de la COP27. Si l’Egypte n’était pas parvenue à accomplir tout cela, elle n’aurait pas pu en arriver là. Il ne s’agit pas simplement de fournir un lieu d’accueil. Il fallait d’abord donner l’exemple, faire preuve de volonté politique, démontrer que le dossier de l’environnement est une priorité pour l’Etat.
— En accueillant la COP27, quels sont les messages que l’Egypte désire transmettre ?
— La conférence est d’une grande importance car elle vient après une crise sanitaire mondiale, celle du Covid. Nous étions sûrs qu’après cette crise, il y aura une ouverture. Nous avons voulu présenter la nouvelle République, nos projets d’énergie nouvelle et renouvelable, étaler nos projets et processus de réformes entretenus dans le secteur de l’environnement. Nous avons mis en vigueur la première loi de la gestion des déchets, basée sur l’idée de l’économie du recyclage. Nous voulons également révéler l’importance de la participation du secteur privé, tout un ensemble de décisions et de visions à révéler au monde. D’où vient l’importance de l’accueil de la COP27 qui est de la même importance de l’événement en tant que tel au niveau mondial. Une preuve du rôle pionnier de l’Egypte. En 2018, l’Egypte a accueilli la Conférence de la diversité biologique, juste après nous avons reçu l’accord d’accueillir la COP. Il a fallu donc rester actifs et prouver notre engagement sur le plan des conventions et conférences internationales. Les conventions de diversité biologique et le changement climatique sont les deux plus importants événements dans le dossier de l’environnement. Le fait que l’Egypte a pu avoir la présidence de ces deux conventions consécutivement lors des quatre dernières années est sans précédent. Ce qui donne plus de poids à l’Egypte. Avec l’approche de l’événement, nous recevons continuellement des offres de partenariat dans des secteurs comme l’hydrogène vert, des offres d’investissements dans l’usage de l’énergie renouvelable. Il est vrai que cela nous impose plus de responsabilité et que le fardeau est important, surtout dans un contexte de crise économique mondiale, une crise d’énergie et une crise alimentaire.
Mais c’est aussi une opportunité de mettre le point sur les priorités des pays en développement et sur les besoins de l’Afrique au coeur de cette conférence. Autre responsabilité : l’Accord de Paris a pris fin, ainsi que son plan d’action. Nous avons donc appelé la COP27 la conférence de l’implémentation pour prouver que nous sommes capables d’exécuter et de mettre en application les décisions et recommandations déjà prises. Autre message important, révéler le côté humain de la cause environnementale. En choisissant comme slogan pour la conférence « Une transition juste et ambitieuse », en parallèle aux questions abordées telles que le droit à l’eau, les besoins de l’agriculture, l’énergie, la femme, la diversité biologique et la réduction des émissions, ce sont des sujets étroitement liés à la vie des gens. Même les campagnes publicitaires que nous diffusons représentent des gens ordinaires, des scènes quotidiennes de femmes amenant leurs enfants à l’école, des célébrations de fêtes de Pâques où l’on voit des familles dans les parcs. Le but est de changer le regard envers la question environnementale, d’une question politique, même si cela demeure important, en une question humaine. C’est donc pour la première fois qu’on l’appelle « A human centered COP », une COP centrée sur l’humain. Ce côté sera présent dans chaque séance, thème et activité de la conférence. A mon avis, cela contribuera à l’accélération de la satisfaction des engagements. D’une part, les pays en développement pourront ainsi présenter leurs besoins, modifier leurs plans, et d’autre part, les pays développés rempliront leurs obligations de financement, de développement de compétences et de transfert d’expertise.
(Photo : Ahmed Refaat)
— Comment peut-on, en abordant les problèmes liés au changement climatique, traduire concrètement ce côté humain ?
— Nous avons lancé la stratégie nationale du climat en avril dernier, ainsi que le plan de contribution nationale, avec un ensemble de projets élaborés en collaboration avec les autres ministères. L’objectif était de préciser les priorités nationales jusqu’en 2050. Nous abordons toujours dans le dossier de l’environnement trois sujets principaux : l’eau, la nourriture et l’énergie. Toutes les récentes recherches scientifiques se penchent sur le lien entre ces trois éléments. J’ai voulu en profiter pour appliquer cela sur le terrain. Nous sommes arrivés à l’idée du projet « nowaffi » (nous satisfaisons) qui exige l’augmentation de l’usage de l’énergie nouvelle et renouvelable de 10 gigas, nous allons donc nous en servir dans le secteur de l’agriculture en utilisant l’énergie solaire et nous utilisons aussi les eaux provenant du dessalement d’eau de mer dans le même secteur. L’énergie a donc ainsi réussi à fournir nourriture et eau. Ce qui distingue ce projet c’est qu’il met fin au dilemme éternel de la réduction des émissions d’effet de serre et au manque de moyens. Faire le lien entre énergie, eau et nourriture réduit la tension autour de ce dilemme, car cela crée un projet basé sur l’usage de l’énergie et est donc rentable, ce qui attirera les investissements des pays développés.
Les organisations internationales ont vu qu’un tel projet pourrait être appliqué dans de nombreux pays en Afrique. A travers une telle approche, les investisseurs voient l’utilité de contribuer à ce genre de projets et répondent aux besoins vitaux des populations des pays en développement en eau et nourriture.
— La zone verte présentera en parallèle des activités de la société civile. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
— La COP27 aura cette particularité d’être une conférence inclusive et compréhensive. A travers la zone verte, nous allons donner aux jeunes et à la société civile l’opportunité de présenter leurs initiatives et projets. Présents dans les locaux, les participants pourront voir des spectacles musicaux, des designers de mode, qui parlent de mode durable, des peintres qui exposent des oeuvres d’art inspirées du changement climatique, des chanteurs ... Nous ferons le mieux pour transmettre le message de l’urgence de la question climatique. Nous n’avons pas le luxe du temps, nous ne pouvons pas attendre plus. Nous allons présenter des projets concrets effectués par des agriculteurs, des pêcheurs et des habitants de zones fragiles et à risque, menacées par les inondations ou la sécheresse. Nous allons aussi présenter des projets pour attirer des investissements étrangers, d’autres success-stories qui pourraient être appliquées ailleurs.
— Comment les besoins de l’Afrique à l’égard du changement climatique seront-ils présents sur l’agenda de la conférence ?
— L’Afrique est l’un des continents les plus affectés par la question du changement climatique alors que c’est le moins responsable et celui qui émet le moins. Nous avons lancé des initiatives concernant l’Afrique telles que celle de la sécurité alimentaire, la transition juste de l’énergie et l’initiative de la femme africaine, pour l’aider à affronter les répercussions du changement climatique. Nous avons également organisé un prix pour les jeunes Africains innovants. Cette semaine, les ministres africains de l’Environnement vont se réunir pour avoir une position unie autour du changement climatique avant la COP. Une réunion préparatrice se déroulera en République démocratique du Congo, cela prouve une fois de plus que cette COP est africaine. Nous étudions les projets africains communs qui peuvent attirer des fonds.
— Il existe un grand fossé entre les pays qui polluent et les pays qui en payent la facture. Comment la COP pourrait-elle trouver une solution à cette injustice ?
— A chaque conférence, on sort avec une grande liste de recommandations et de promesses. C’est le même scénario qui se répète, avec à la fin des promesses non tenues. C’est pour cela que notre COP porte le titre « Implémentation » ou mise en application. Il y aura des pressions. Nous allons essayer de sortir de ce cercle vicieux en présentant des idées innovatrices telles que l’échange des dettes, qui consiste à faire tomber les dettes des pays en développement et à s’en servir dans le financement de projets d’adaptation de changement climatique dans ces mêmes pays.
(Photo : Ahmed Refaat)
Le but est d’attirer des fonds, d’inciter le secteur privé à investir en Afrique, de discuter du potentiel et des défis. L’important c’est d’en sortir gagnant des négociations, car d’après mon expérience, chaque partie essaye de faire le plus pour éviter les obligations. Nous sommes conscients qu’il existe un grand écart entre les moyens et les capacités des parties. Il est nécessaire de réduire la pression exercée sur les pays en développement et les aider, non à travers des restrictions et des obligations, mais en les motivant. Il est important de signaler que la réussite de la COP dépend de l’accord et de l’entente entre tous les participants signataires de la convention. L’objection d’un seul pays fait tout bloquer et nous fait retourner à la case départ. D’habitude, les conférences sur le climat se prolongent un ou deux jours après la date prévue de clôture pour régler les sous-entendus et arriver à un accord.
— Comment persuader le citoyen ordinaire que le changement climatique est une question vitale qui touche à sa vie quotidienne ?
— Notre dernière campagne publicitaire a pensé à cette question. Nous avons présenté des scènes qui visent à choquer. De la neige au centre-ville, des mangues au Musée du Caire comme un souvenir de l’histoire. C’est choquant mais vrai, tu peux te réveiller demain et découvrir que ta maison n’est plus là. Le but n’est pas d’effrayer les gens mais de tirer la sonnette d’alarme et de leur expliquer que toute leur vie peut être bouleversée du jour au lendemain. Le scénario est le suivant : nos enfants et nos petits-enfants ne pourront pas vivre ce qu’on a vécu.
Ils vont passer leur quotidien dans des voitures climatisées, puis dans des centres commerciaux fermés, puis directement vers leurs foyers sans pouvoir prendre une brise d’air frais dans la rue. Car ils ne pourront pas supporter la chaleur. La situation est assez délicate et ceux qui en possèdent les informations assument une grande responsabilité, celle de sensibiliser et d’agir vite.
L’un des thèmes qui me touche le plus lors de cette COP est celui des jeunes, car je sens qu’ils sont frustrés. Ils demandent des droits simples et justes, veulent voir des actions concrètes, des promesses tenues, et nous sommes incapables de sécuriser leur avenir. Et ce sont eux qui en payent le prix.
Je ne désire pas, à la clôture de la COP27, voir ce regard de frustration dans les yeux des jeunes, comme c’était le cas dans les précédentes conférences.
— Que signifie pour vous être la ministre de l’Environnement à ce moment particulier, celui de l’accueil de la COP27 et avec ce contexte mondial complexe ?
— Pour moi, ce n’est pas simplement la COP qui prend place en Egypte, c’est la responsabilité qu’imposent la connaissance et la quantité d’informations à vouloir transmettre. C’est un fardeau. C’est un grand défi, mais je sais que je suis à la hauteur du défi car j’adore mon pays et j’adore mon travail. Pour moi, le dossier de l’environnement n’est pas une simple profession ou un poste à occuper, c’est une passion qui me fascine. J’ai travaillé durant 25 ans au sein du ministère de l’Environnement. J’ai toujours rêvé que chaque citoyen dans mon pays ressente l’importance du sujet de l’environnement et que cela puisse devenir l’une de ses préoccupations. Je vois mon rêve devenir réalité car en quittant mon poste, il n’y aura pas de retour en arrière. J’essaye de laisser une trace. Et j’en suis fière.
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