La crise en Iraq ne cesse de se prolonger, un chapitre après l’autre, plongeant la scène politique dans un véritable chaos. Les 29 et 30 août dernier, Bagdad est devenue un champ de bataille après que les deux rivaux politiques, représentant le courant chiite d’Al-Sadr, d’un côté, et le Cadre de coordination des forces chiites, de l’autre, ont poussé leurs factions vers la Zone verte. Tout a commencé avec des manifestations des partisans du leader chiite Moqtada Al-Sadr, déclenchées à la suite de l’annonce d’Al-Sadr de son retrait final de la vie politique. Des accrochages armés sanglants ont eu lieu causant des dizaines de morts et des centaines de blessés. Certes, la tension a baissé après qu’Al-Sadr eut appelé ses partisans à se retirer de la Zone verte, mais la crise politique avec ses plusieurs facettes persiste encore.
Car les racines de la crise actuelle en Iraq remontent à loin, à la conjoncture née de l’invasion de l’Iraq par les Américains en 2003. Celle-ci a donné lieu à une formule confessionnelle qui reproduit la même crise, avec les mêmes visages et les mêmes mécanismes, même si les causes immédiates changent.
La première de ces racines est l’incapacité de parvenir à une entente, car le pouvoir est basé sur le principe du consensus entre les blocs politiques de façon à être tous représentés dans le gouvernement, quels que soient les résultats des élections. C’est pour cela que Moqtada Al-Sadr a voulu former un gouvernement de majorité. L’incapacité de la consécration du principe des ententes politiques après les élections s’est reflétée dans l’incapacité des blocs chiites à se mettre d’accord, alors qu’ils s’engageaient d’habitude dans les négociations de formation du gouvernement en tant qu’un seul bloc négociant avec les blocs kurdes et sunnites.
Autre défi: les Kurdes ne sont pas non plus parvenus à s’entendre sur un candidat pour la présidence. Le résultat est que chacun a choisi une coalition différente de l’autre. Ce qui a accentué la polarisation politique dans le pays, renforcée par l’insistance de l’Iran sur le fait de poursuivre son hégémonie sur la scène politique.
L’ombre de l’Iran
Bien que les résultats des élections de 2021 aient révélé une certaine tendance anti-Iran, l’Iran semble insister sur le fait de soutenir le Cadre de coordination des forces chiites et d’adopter la « libanisation » du parlement iraqien à travers le mécanisme du « tiers de blocage » face à la coalition « Sauver la patrie », composée du courant sadriste, de l’Alliance sunnite pour la souveraineté et du Parti démocratique du Kurdistan. De plus, la multiplication des visites du commandant de la brigade Al-Qods des Gardiens iraniens de la révolution, Ismaïl Qaani, à Bagdad et dans la région du Kurdistan, vise à faire pression sur les partisans du courant sadriste pour les pousser à se retirer de cette coalition. Selon des observateurs, l’Iran a poussé Kazem Al-Haeri (considéré comme le mentor de Moqtada Al-Sadr, mais qui l’a pourtant critiqué), à appeler ses partisans à se ranger derrière le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.
A ces difficultés s’ajoutent les obstacles constitutionnels qui assombrissent la scène politique. Les évolutions politiques consécutives ont fait que la réalité politique dans le pays a largement dépassé les textes constitutionnels, ce qui a ouvert la porte à diverses interprétations de la Constitution conformément aux intérêts de chaque partie. Le Tribunal fédéral a joué un rôle important dans cette affaire, devenant une partie intégrante des crises de formation du gouvernement depuis plusieurs années.
Les accrochages armés à Bagdad ont en outre dévoilé un autre facteur de la crise : le fait que les différentes factions sont armées. Chaque force politique possède une faction militaire armée et en fait une carte de pression qu’elle impose sur la scène politique, avec une absence claire de la notion de l’Etat national et de ses institutions.
Quelle sortie de crise ?
Les facteurs enracinés de la crise ont causé un état de paralysie politique totale avec l’apparition de prémices d’un combat chiite dans les accrochages de la Zone verte, avant que Moqtada Al-Sadr n’intervienne le 30 août et n’invite ses partisans à mettre fin à toutes les formes de manifestations, ce qui a permis de réinstaurer le calme de façon provisoire. Partant, deux scénarios sont probables.
Le premier prévoit la tenue d’un dialogue national débouchant sur des élections anticipées, notamment après que le premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, a fait allusion à la possibilité de démissionner si la paralysie politique se poursuivrait. Cependant, la participation du courant d’Al-Sadr reste incertaine. Il est toutefois probable que le dialogue contribue à tracer une feuille de route réelle permettant de faire face à la crise en nommant un gouvernement provisoire pour un certain délai durant lequel auront lieu la dissolution du parlement et l’organisation d’élections anticipées. Reste le noyau du différend qui porte sur la façon de dissoudre le parlement. Le Cadre de coordination insiste sur le fait que cette étape n’ait pas lieu avant la ratification de la loi des élections et conformément à des procédures constitutionnelles.
Le deuxième est de régler le conflit par la légitimité constitutionnelle. Le Cadre de coordination possède actuellement la légitimité constitutionnelle lui permettant d’avancer dans les trajets du choix du président de la République et de former le gouvernement en s’engageant dans des négociations avec les forces sunnites et kurdes. Si ce scénario est probable du point de vue théorique, gagner la confiance des Kurdes et des sunnites reste un défi à relever.
Face à une situation extrêmement compliquée, les scénarios de sortie de crise dépendent largement de la position iranienne qui constitue le moteur essentiel des événements. Réformer la structure du système politique et amender la Constitution est une nécessité urgente pour résoudre la crise actuelle et éviter des crises similaires à l’avenir.
*Chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS)
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