Al-Ahram Hebdo : Quel est rôle du Centre des recherches sur le désert dans la mise en oeuvre de la stratégie de développement agricole en Egypte ?
Dr Naïm Messelhi : Le Centre des recherches sur le désert est le plus ancien d’Egypte. Il date de 1950. Sa mission principale est d’explorer les ressources naturelles utilisables en agriculture, qu’il s’agisse d’eaux souterraines ou de terres arables, et ceci, grâce à des équipes de recherche spécialisées qui parcourent les déserts et effectuent des études sur le sol, les eaux souterraines, la végétation et la production bovine. Ces études aident l’Etat dans la mise en oeuvre des stratégies de développement agricole et le lancement des mégaprojets nationaux. Récemment, des universités égyptiennes ont commencé à coopérer avec nous.
— Selon vous, les projets de régénération du désert sont-ils la solution pour combler le déficit alimentaire ? Existe-t-il d’autres solutions ?
— Les défis mondiaux ont amené chaque pays à reconsidérer sa stratégie de production alimentaire. L’Egypte a adopté une stratégie de développement agricole basée sur le renforcement de la productivité des anciennes terres agricoles et en même temps le développement de récoltes à haut rendement capables de résister aux conditions environnementales défavorables, avec des besoins en eau moins importants. A cela s’ajoutent l’application de techniques agricoles modernes et le développement des systèmes d’irrigation. Les empiètements sur les terres agricoles dans la Vallée et le Delta constituent un problème. Nous cherchons à compenser la diminution des terrains agricoles en explorant de nouvelles terres dans les zones désertiques. Outre les projets de remise en état du désert, nous avons repris les anciens projets qui étaient suspendus à Tochka et au Sinaï. Le président a demandé à achever ces projets après avoir étudié les raisons de leur arrêt, les sources d’eau et les infrastructures.
— L’Etat a récemment lancé une série de grands projets agricoles afin de combler le déficit alimentaire. Où en est-on aujourd’hui ?
— Le projet d’un million et demi de feddans a été achevé à 30 %. A Tochka, l’objectif était de cultiver 500 000 feddans. Mais après des études du Centre des recherches sur le désert et de l’Institut des recherches sur le sol, en coopération avec les universités égyptiennes, cet objectif a été porté à 1,1 million de feddans. En outre, le projet de développement du centre et du nord du Sinaï avait pour objectif initial de cultiver 400 000 feddans, mais cette superficie est passée à 500 000 feddans. Nous avons également réussi à recenser de nouvelles zones cultivables, à déterminer les cultures appropriées au nord et au centre du Sinaï et à construire la station de traitement des eaux de Bahr Al-Baqar, qui fournit 5,6 millions de m3 d’eau par jour, en plus des 2 millions de m3 fournis par le canal Al-Salam, ce qui signifie que nous avons 7,6 millions de m3 par jour. Le projet du Nouveau Delta, d’une superficie de 2,2 millions de feddans, présente de nombreux avantages. Une partie de ce projet, Mostaqbal Misr, a déjà réussi à cultiver 350 000 feddans. Il est prévu, d’ici la fin 2023, de cultiver un million de feddans dans le Nouveau Delta. Ces projets ajouteront 2 millions de feddans à la superficie des terrains agricoles dédiés à la production des cultures stratégiques, notamment le blé, le maïs, les oléagineux — car nous en manquons —, le fourrage et les légumineuses. Ces projets couvriront une partie du déficit alimentaire, en particulier en ce qui a trait aux céréales, et permettront un certain degré d’autosuffisance, réduisant ainsi la facture des importations. Ils garantiront un certain degré de sécurité alimentaire et permettront l’installation d’industries alimentaires dotées de technologies modernes, ce qui attirera les habitants vers de nouvelles zones, créera de nouvelles communautés urbaines et réduira la surpopulation dans la Vallée et le Delta.
— Le coût de ces projets est exorbitant et exige du temps et des efforts. Quelle est votre opinion ?
— Il est bien connu que les nouvelles terres ont une faible productivité durant la première année. La productivité augmente ensuite d’année en année, en fonction du type de culture et du rendement. La culture du blé par exemple est devenue rentable. Il est vrai que l’infrastructure coûte cher, mais le coût est payé sur une longue période. Si la remise en état du feddan coûte environ 200 000 L.E., 50 % de ce coût s’étale sur une longue période de temps. Avec l’application de la technologie moderne, la mécanisation et l’agriculture intelligente et contractuelle, chacun s’efforcera, qu’il s’agisse d’un secteur privé, d’un investisseur ou d’un agriculteur, d’obtenir le meilleur rendement. En guise d’exemple, les cultures du projet Mostaqbal Misr sont très prometteuses et de bonne qualité : le blé, les betteraves sucrières ou les pommes de terre. La productivité des projets varie selon le type de sol, l’emplacement et l’eau utilisée. Chaque projet a une étude de faisabilité qui lui est propre. On ne peut pas dire si on va, oui ou non, faire des profits dès la première année. Les budgets sont régis par le choix des cultures car chaque région est adaptée à certaines cultures. En fait, l’Etat est obligé de s’étendre horizontalement parce qu’il n’y a pas d’autre alternative, du fait que les terres agricoles actuelles sont limitées et fragmentées, sans oublier les empiétements sur ces terres, la croissance démographique et l’augmentation de la demande sur les aliments. L’agriculture est un investissement dont le rendement est lent, mais avec le temps, c’est un investissement très important et qui ne comporte pas beaucoup de risques.
— Et quelle est la carte des cultures dans les nouveaux projets ?
— Chaque région a ses conditions climatiques, son sol et ses sources d’eau qui déterminent le type de cultures qui lui convient. Si nous parlons de Tochka, nous constatons que les conditions y sont différentes d’Al-Dabaa. Par exemple, la culture des agrumes n’est pas adaptée à Tochka, tandis que les palmiers dattiers donnent un meilleur rendement. Dans la région d’Al-Dabaa, les cultures les plus appropriées sont les raisins, les pommes et les agrumes, autrement dit les fruits. Les cultures stratégiques comme le blé et le maïs jaune peuvent être cultivées dans de très nombreuses régions d’Egypte, et c’est un don de Dieu.
— Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés dans la culture du désert ?
— Le défi le plus important est le manque d’eau. L’Etat veut rationaliser l’eau de l’irrigation en utilisant des systèmes d’irrigation modernes et en traitant les eaux usées de l’agriculture. Les deux plus grandes stations de traitement des eaux usées agricoles ont été construites à Al-Mohsena dans le Sinaï et à Bahr Al-Baqar. Oui, l’eau est le défi numéro un. Le problème n’est pas de creuser des puits, mais plutôt d’entretenir, de fournir l’énergie nécessaire pour extraire l’eau, de construire des infrastructures pour acheminer l’eau et d’assurer les frais de transport des eaux usées et ceux de la construction des stations de traitement, etc. Tout cela représente un coût important mais à long terme. Il existe des défis, mais avec l’évolution technologique, ils sont surmontables, en ayant recours à la technologie moderne et à une agriculture intelligente dans les nouvelles terres.
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