Le monde fait face à une crise économique sans précédent. 12,5 trillions de dollars sont les pertes engendrées jusqu’en 2024 par la guerre en Ukraine dans le PIB mondial, soit 5 fois le PIB du continent africain. La guerre russo-ukrainienne est survenue alors que l’économie mondiale tentait de se redresser des répercussions de la pandémie du Covid-19. Le choc de ce conflit a entraîné une hausse durable des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, ce qui a aggravé la pauvreté et la faim, et a alourdi le fardeau de l’endettement dans le monde.
C’est dans ce contexte que l’Egypte vient d’adopter un plan national en cinq volets pour faire face à la crise économique mondiale : renforcer le rôle du secteur privé dans l’activité économique, localiser les industries nationales, mettre en place un plan pour réduire la dette publique et revitaliser la Bourse égyptienne, et adopter de nouveaux programmes de protection sociale. « L’Egypte n’est pas seule dans la crise économique mondiale, car les chocs économiques successifs ne connaissent pas de frontières, et tous les pays du monde sont touchés d’une manière ou d’une autre. L’Egypte a alloué plus de 130 milliards de L.E. pour faire face aux répercussions négatives directes résultant de la hausse des prix des produits de base comme le blé et le pétrole, et plus de 335 milliards de L.E. pour faire face aux répercussions indirectes, telles que l’augmentation des salaires, des pensions et les subventions aux produits de base et aux carburants », a déclaré le premier ministre égyptien, Moustapha Madbouli, lors d’une conférence de presse internationale tenue le 15 mai, avant de dévoiler les détails de ce plan et les mesures envisagées par le gouvernement dans la période à venir, à la lumière des scénarios qui prévoient le prolongement de la crise plus que prévu. Quelle est donc l’ampleur de la crise économique mondiale ? Selon Mohamed Shadi, expert économique, l’économie mondiale traverse les pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression de 1929. Ce qui a poussé les institutions mondiales à réduire à plusieurs reprises les taux prévus de croissance économique mondiale. En janvier 2022, le taux de croissance mondiale était estimé à 4,4 % en 2022 et 3,8 % en 2023. Ces prévisions ont été revues à la baisse en avril 2022 pour s’établir à 3,6 % en 2022, et 3,6 % en 2023. Selon l’expert, les crises mondiales successives ont également conduit à la chute des flux mondiaux d’Investissements Directs Etrangers (IDE) pour la première fois depuis plusieurs décennies, pour atteindre 72 milliards de dollars en 2021 contre 337 milliards investis en 2020.
Au niveau du commerce mondial, les économistes de l’OMC ont réévalué leurs projections pour les deux prochaines années. L’organisation table maintenant sur une croissance du volume du commerce des marchandises de 3 % en 2022 contre 4,7 % auparavant, et 3,4 % en 2023. Mais ces estimations sont moins certaines que d’habitude en raison de la nature imprévisible du conflit, selon l’OMC. Ce qui a entraîné une augmentation du taux d’inflation mondiale, qui a atteint 9,2 % en mars 2022, touchant ainsi tous les pays développés et émergents. La guerre en Ukraine a accentué la pauvreté dans le monde puisque, selon des estimations, la hausse des prix alimentaires pourrait plonger 1,7 milliard de personnes dans l’extrême pauvreté. Par ailleurs, la dette mondiale a atteint un niveau record de 303 000 milliards de dollars, alors que les économies émergentes représentent environ 80 % du volume de la dette mondiale.
L’impact sur l’Egypte
Quelles répercussions sur l’Egypte ? « Nous ne sommes pas isolés du monde. Mais sans le programme de réforme économique, qui a permis à l’économie égyptienne d’atteindre une croissance totale d’environ 6 % pour la première fois depuis des années, l’Egypte n’aurait pas été en mesure de résister aux crises depuis l’apparition de la pandémie jusqu’à aujourd’hui », a déclaré Madbouli. Et d’ajouter : « Cependant, la crise économique actuelle pose des défis tangibles à l’économie égyptienne, après avoir entraîné une augmentation du taux d’inflation annuel pour atteindre environ 13 % en avril dernier ». C’est pourquoi, comme l’explique Mohamed Shadi, l’importance de ce plan est qu’il vise à diversifier et trouver des alternatives pour attirer les devises étrangères.
Selon la ministre de la Planification et du Développement économique, Hala Al-Saeed, le plan du gouvernement pour faire face aux répercussions de la crise économique reflète l’ouverture du gouvernement à la société et au secteur privé, en soulignant que « le secteur privé joue un rôle majeur en tant que partenaire dans le processus de développement ».
Autonomiser le secteur privé
Comment l’Egypte se prépare-t-elle donc pour faire face à la crise économique mondiale ? Renforcer la participation du secteur privé dans l’activité économique est la priorité numéro 1 du plan proposé par le gouvernement. Celui-ci vise à faire passer les investissements privés de 30 % actuellement à 65 % du volume total des investissements dans le pays, d’ici 3 ans. « Le secteur privé est l’un des principaux piliers du développement du secteur industriel et de la croissance économique en général. Il joue un rôle majeur dans le processus de localisation de l’industrie nationale que l’Etat cherche à réaliser pour réduire la facture des importations », explique Shadi.
Pour atteindre cet objectif, le gouvernement s’active sur plusieurs fronts pour renforcer la contribution du secteur privé : améliorer le climat des affaires, ouvrir des voies de communication directes avec le secteur privé et mettre en place un ensemble d’incitations. Parmi ces incitations : simplifier les procédures d’attribution des terres à des fins industrielles en vertu desquelles les terres sont accordées en usufruit et tarifées sur la base du coût des infrastructures, réduire les lourdeurs bureaucratiques et offrir des avantages supplémentaires pour les projets verts, les projets dans le secteur de la santé et les investissements dans les nouvelles villes.
Sur un autre volet, le gouvernement s’apprête à lancer officiellement à la fin mai « le Document politique de la propriété de l’Etat ». Celui-ci définit la présence de l’Etat dans les activités économiques en permettant au secteur privé de participer à un certain nombre d’actifs publics estimés à 10 milliards de dollars par an pendant une période de 4 ans. « Nous proposerons au secteur privé des projets dans le domaine des véhicules électriques, des centres de données, des réseaux pour le pétrole et le gaz et l’expansion des usines de liquéfaction du gaz, des tours de communication et de l’énergie éolienne », a souligné Madbouli, avant d’affirmer que « l’intervention de l’Etat dans l’activité économique était inévitable pour sauver l’économie après 2014. La prochaine période connaîtra une plus grande autonomisation du secteur privé ».
Le document détermine trois niveaux de la présence de l’Etat dans les activités économiques. Il définit ainsi les secteurs où il se retirera complètement, partiellement, et où il restera propriétaire. Quant aux critères qui déterminent les actifs détenus par l’Etat, ils sont nombreux, comme le rapport de la marchandise avec la sécurité nationale et les besoins quotidiens du citoyen, la neutralité concurrentielle entre les investissements publics et privés, le niveau de rentabilité des actifs de l’Etat et les secteurs dont le marché est saturé et qui n’ont pas besoin du soutien de l’Etat. Le gouvernement a déjà identifié 9 milliards de dollars d’actifs financièrement accessibles, et prévoit 15 milliards de dollars d’actifs supplémentaires à céder.
Une nouvelle approche
Mohamed El Sewedy, président de la Fédération des industries égyptiennes, a déclaré que le secteur privé est un partenaire du gouvernement dans l’élaboration du document sur la politique de la propriété de l’Etat, soulignant que « le plan annoncé par le gouvernement pour augmenter à 65 % le taux de participation du secteur privé dans les projets constitue une démarche positive et nécessaire pour renforcer le rôle principal de l’Etat en tant que régulateur de l’activité économique, conformément aux mécanismes du marché visant à stimuler les investissements étrangers ».
Pour sa part, l’ambassadeur Nader Saad, porte-parole du Conseil des ministres, a expliqué que l’Etat, à travers les mesures annoncées, « propose une nouvelle approche pour rendre la gestion de ses actifs plus efficace et augmenter les réserves du pays en devises ». Et de conclure: « La crise actuelle a mis en lumière la nécessité de ne pas dépendre de l’argent chaud qui se retire rapidement du pays en cas de crise ».
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