Al-Ahram Hebdo : Pour commencer, quelles sont les origines de cette guerre ?
Ezzat Saad : L’offensive russe sur l’Ukraine était prévisible. Comme l’a dit le président russe, Vladimir Poutine, il s’agit d’une opération militaire spéciale visant un but précis, à savoir les groupes extrémistes dans la région du Donbass. Celui qui suit de près cette question depuis l’année 2014 sait bien évidemment qu’il existe des groupes d’extrême droite d’origine russe ayant un agenda anti-ukrainien. Cette bataille est à l’intérieur des frontières des deux républiques sécessionnistes. La raison de cette bataille est de protéger les ressortissants russes qui ne contrôlent que 30 % de leurs régions. Le reste est sous le contrôle des extrémistes qui s’opposent aux Russes.
— Que veut vraiment le président russe ?
— Poutine insiste sur le fait de poursuivre son offensive militaire jusqu’à la réalisation de tous ses objectifs stratégiques. Il a envoyé par cette guerre un message clair au régime de Kiev (et ses successeurs) : respecter toujours cet héritage historique de l’ère soviétique qui nécessite d’établir une sorte d’équilibre dans les relations avec l’Occident. Ce message est également adressé à la Géorgie et à la Biélorussie. Les négociations qui ont précédé la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique renfermaient des accords tacites, selon lesquels il n’y aurait pas d’expansion de l’Otan vers l’est dans l’ancien espace soviétique, parce que le Pacte de Varsovie n’existe plus. Cependant, la suite est que cette promesse verbale n’a pas été mise en oeuvre, et que les premières adhésions à l’Otan ont commencé avec 3 pays, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. Depuis que le président russe a pris ses fonctions en 2002, le monde a connu quatre vagues d’expansion de l’Otan vers l’est en 2004, 2009, 2017 et 2020. Jusqu’à récemment, Poutine estimait qu’il ne possédait aucun outil lui permettant d’endiguer cette vague. Mais actuellement, Poutine sent qu’il se trouve en position qui lui permet d’arrêter cette expansion.
— Quels sont les scénarios possibles ?
— Les Etats-Unis et l’Otan confirment toujours qu’ils ne combattront pas la Russie en Ukraine. Tout ce qu’ils peuvent offrir c’est un soutien à l’Ukraine. Ils ont réduit toutes ces aides dans le fait d’être prêts à accueillir des réfugiés. Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité le 20 février, 24 heures avant que Poutine n’annonce la reconnaissance de l’indépendance des deux républiques, le président ukrainien tirait la sonnette d’alarme. Et il était très déçu face à la réaction des Européens et de l’Otan. Il a déclaré que les sanctions économiques sur la Russie n’auraient aucune valeur sans qu’un soutien militaire soit fourni. Jusqu’à maintenant ; il n’y a qu’un seul scénario qui laisse à prévoir : la Russie ne reculera pas jusqu’à ce que l’Ukraine cède, car cette fois-ci, le contexte international est favorable et il n’y a pas de dirigeants européens forts et influents capables de l’arrêter, comme cela s’est produit lors de la guerre de cinq jours en Géorgie en 2008.
— Mais les sanctions ne réussiront-elles pas à pousser la Russie à stopper son offensive ?
— La Chine et la France tentent une médiation, mais elle est toujours incertaine. En même temps, il y a une escalade de la part de la Grande-Bretagne à laquelle la Russie a répondu en fermant l’espace aérien aux avions civils en provenance de Grande-Bretagne. Il est clair que la Russie est déterminée à atteindre ses objectifs stratégiques en se basant sur des calculs liés à la situation intérieure des Etats-Unis qui se sont retirés d’Afghanistan l’an dernier de manière humiliante, selon Poutine. De plus, il sait que les partenaires européens sont divisés. Cela est apparu dans leur réaction à la question de priver la Russie du système Swift. Dans son discours du 21 février, Poutine a envoyé un message fort : « Tenez compte de mes intérêts et de ma sécurité ». Même les sanctions n’arrêteront pas la Russie, car il a bien étudié la question et sait que les Européens ont un point faible : l’énergie. La question qui se pose est : dans quelle mesure le front intérieur le soutiendra-t-il si cette guerre se prolonge des semaines ? L’Otan et les pays européens parient que la longue guerre peut épuiser l’économie russe.
— Quelles sont les répercussions de cette guerre sur le Moyen-Orient et sur l’Egypte ?
— Elle aura des répercussions liées à l’économie, à l’énergie et à divers dossiers politiques, étant donné que la Russie joue un rôle dans certains dossiers au Moyen-Orient. Cette guerre a également des répercussions économiques sur l’Egypte dans trois dossiers : le blé, le tourisme et le prix du pétrole, qui va augmenter sur le plan mondial. L’Egypte avait annoncé au début de la crise que notre stock stratégique en blé nous suffirait pour quatre mois. C’est un bon point, car le président Sissi tient dès le premier jour de son arrivée au pouvoir à ce que nous ayons du stock en blé pour faire face à de telles crises. En outre, la production nationale de blé s’est élevée à 9 millions de tonnes l’an dernier, et le gouvernement a indiqué que nous pourrions l’augmenter. Nous espérons tous que ce sera une guerre courte afin que ses répercussions ne soient pas de grande ampleur.
— Certains voient dans la pénurie d’approvisionnement énergétique de l’Europe une opportunité de mettre l’Egypte sur la carte énergétique européenne. Qu’en pensez-vous ?
— L’Egypte est déjà sur la carte énergétique européenne et n’attend pas une telle crise pour être présente sur cette carte, grâce à sa politique étrangère en Méditerranée orientale et à la création du Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui comprend 4 Etats membres de l’Union européenne, à savoir l’Italie, la France, la Grèce et Chypre. Nous avons, depuis l’année dernière, une stratégie énergétique égyptienne que l’Union européenne soutient fermement, en tant que plaque tournante régionale pour les échanges et le commerce de l’énergie. L’Egypte est devenue une grande puissance dans le domaine du gaz naturel liquéfié, avec d’excellentes infrastructures à Edkou et Damiette. Nous sommes placés sur la carte des pays exportateurs.
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