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Sissi en visite historique à Ankara pour relancer les relations entre l'Egypte et la Turquie

Maha Salem et Chaimaa Abdel-Hamid, Mercredi, 04 septembre 2024

Le président égyptien et son homologue turc ont présidé la première réunion du Conseil de coopération stratégique de haut niveau entre l'Egypte et la Turquie qui doit coordonner entre les positions des deux pays dans les dossiers qui secouent la région.

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan (R) et le président égyptien Abdulfettah al-Sisi (L) posant après la signature d’un accord et avant une conférence de presse conjointe au complexe présidentiel à Ankara. Photo : AFP

Le président Abdel Fattah Al-Sissi s’est rendu le 4 septembre à Ankara pour une visite officielle en Turquie, en réponse à l'invitation lancée par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Il s’agit sans doute d’une visite historique, qui survient après plus d’une décennie de rupture.  

La visite a été marquée par des discussions approfondies entre les deux dirigeants dans le cadre de la première réunion du Conseil de coopération stratégique de haut niveau entre l'Egypte et la Turquie. Suite à la réunion du conseil, les deux pays ont publié une déclaration finale commune.  Le nouveau conseil vise à discuter des moyens de faire progresser les relations bilatérales dans divers domaines, en plus d'échanger les points de vue et les visions concernant les questions régionales et internationales d'intérêt commun. Les efforts de cessez-le-feu dans la bande de Gaza, la fin de la tragédie humanitaire et l'escalade de la violence dans la bande de Gaza ont été  parmi les dossiers essentiels discutés au cours de leur réunion.

Les deux dirigeants ont assisté mercredi à la signature de 17 accords de coopération et ont réaffirmé devant la presse leur volonté de porter les échanges commerciaux entre leurs pays à 15 milliards de dollars par an d'ici cinq ans, contre moins de 10 milliards actuellement. Les accords couvrent plusieurs domaines : l'industrie, le transport, notamment les chemins de fer, l'éducation, l'aviation civile, la technologie, l'agriculture et l'industrie de l'agroalimentaire, la santé, l'investissement direct, le développement des petites et moyennes entreprises, le développement du système de planification et coopération gouvernementale, l'énergie et les ressources naturelles, l'emploi et l'équipement des travailleurs, l'environnement, la construction et l'habitation. 

Suite à la signature de plusieurs accords-cadres entre les deux pays, le président turc a souligné que sa visite en Egypte en février dernier était un tournant dans les relations entre les deux pays. Ainsi, Erdogan a appelé les investisseurs des deux pays à augmenter le montant de leurs investissements directs mutuels. « Nous voulons augmenter les échanges commerciaux entre nos deux pays pour atteindre 15 milliards de dollars dans les années à venir et la Turquie est parmi les 5 premiers pays dans les échanges commerciaux avec l'Egypte », a signalé Erdogan, qui a insisté sur l'augmentation de la coopération dans le domaine du gaz naturel. 

« Nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité d'un accord de cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza et nous saluons le rôle égyptien dans la fourniture des aides humanitaires aux Palestiniens, ainsi que la médiation égyptienne et son rôle influent dans la question palestinienne », a-t-il indiqué. « L'instauration d'un cessez-le-feu et l'acheminement de l'aide humanitaire [dans la bande de Gaza] restent nos priorités », a déclaré mercredi M. Erdogan, dont le pays a envoyé plusieurs navires d'aide humanitaire à Gaza via le port égyptien d'Al-Arish. 

« Nous avons discuté de la situation dans l'est de la mer Méditerranée et des crises au Soudan, en Libye et dans la Corne de l’Afrique et nous avons des objectifs et des positions similaires. L'Egypte et la Turquie ont un rôle important pour maintenir la stabilité et la sécurité dans la région », a ajouté le président turc.

Le président égyptien a estimé que les deux pays ont les mêmes points de vue en ce qui concerne les dossiers et les questions régionaux et qu’ils vont coordonner leurs positions envers les crises régionales. « Commençons par la crise dans la bande de Gaza, le cessez le feu et la situation humanitaire, ainsi que l’escalade dans les territoires occupés et toute la région ». Le président Sissi a estimé résoudre la crise libyenne et il a appelé à la tenue des élections présidentielle et législatives en Libye tout « en faisant sortir les mercenaires et les forces étrangères pour réaliser la stabilité dans le pays et son unification ». Pour la crise syrienne, les deux pays doivent trouver une issue politique, résoudre les différends entre les Syriens et parvenir à l'unification de la Syrie. Le président égyptien a salué les efforts de rapprochement entre la Turquie et la Syrie, visant à parvenir à une solution politique et à alléger les souffrances des Syriens

Concernant la crise soudanaise, le président Sissi de sa part, a indiqué qu’un cessez-le-feu est essentiel pour la stabilité du pays et pour trouver un règlement politique.

Sissi a d’ailleurs affirmé avoir "discuté amplement" avec le président Erdogan de la situation en Somalie et s'être accordé avec lui sur la nécessité d'œuvrer pour "préserver l'unité et l'intégrité territoriale" de ce pays de la Corne de l'Afrique. Et d’ajouter qu’il a aussi examiné avec son homologue turc la situation dans l'est de la mer Méditerranée pour réaliser le stabilité et la sécurité dans la région.

L’ambassadeur de Turquie au Caire, Salih Mutlu Sen, a indiqué que « la visite suscite un grand intérêt de la part de l’opinion publique turque, égyptienne et internationale », assurant que la visite « contribuera à renforcer et à approfondir les liens de fraternité historiques entre les deux pays ». L’ambassadeur a affirmé que « les relations entre Le Caire et Ankara visent à atteindre trois axes principaux : la paix, la prospérité et le développement », précisant que « la coopération dans le domaine de l’économie et du développement occupe une place prépondérante dans les discussions entre les deux pays ». Il a assuré que « l’Egypte est un pays important pour la Turquie », ajoutant que la coopération attendue entre les deux pays englobera le domaine militaire.

De son côté, Mohamed Al-Orabi, président du Centre égyptien des affaires étrangères et ancien ministre des Affaires étrangères, a souligné que « le rapprochement égypto-turc constitue une étape majeure pour assurer la stabilité régionale et tenter de trouver des solutions aux problèmes presque chroniques de la région ». Il a ajouté que cette visite aura de nombreuses répercussions stratégiques, étant donné que la région a besoin d’un plus grand degré de coopération plutôt que de confrontation entre les forces régionales, notamment dans le contexte actuel et la guerre à Gaza.

La visite du président Sissi répond à l’invitation de son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, lors de sa première visite en Egypte en février dernier. Ces échanges de visites à haut niveau marquent la fin d’une décennie de désaccords et de tensions, ouvrant la voie à un réchauffement des relations bilatérales. Il convient de rappeler que la normalisation s’est accélérée suite à la rencontre des deux présidents lors de l’ouverture de la Coupe du monde au Qatar en 2022. Les deux pays ont annoncé en juillet 2023 que leurs relations diplomatiques seraient élevées au niveau d’ambassadeurs. Le rapprochement a atteint son apogée avec la visite d’Erdogan au Caire.

Renforcer la coopération économique

Concernant les questions économiques, l’expert des affaires turques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Karam Saïd, souligne la grande importance du lancement du Conseil stratégique entre les deux pays. « Discuter de la coopération conjointe et activer le Conseil stratégique représentent la matérialisation des relations bilatérales, qui ont parcouru un long chemin en termes de stabilité et d’expansion. Ce conseil vise à augmenter les échanges commerciaux de 10 à 15 milliards de dollars, à renforcer les investissements bilatéraux et à résoudre les problèmes en suspens auxquels sont confrontés les investissements turcs en Egypte et vice-versa », a-t-il relevé.

Saïd ajoute que les relations économiques ont toujours constitué la pierre angulaire des relations entre l’Egypte et la Turquie. Il rappelle que « malgré le désaccord politique persistant depuis 2013, les relations économiques et commerciales bilatérales n’ont jamais été interrompues. Aujourd’hui, ce rapprochement est prometteur. On prévoit une augmentation significative des échanges commerciaux entre les deux pays, puisque l’un de leurs principaux objectifs est de coopérer pour affronter les mauvaises conditions économiques mondiales ».

En effet, la première étape du partenariat en matière d’investissements entre les deux pays a été le projet de création d’une zone industrielle et logistique turque dans la région de Jarjoub à Marsa Matrouh (ouest), afin d’exploiter l’emplacement stratégique de ce port méditerranéen pour mettre en œuvre plusieurs projets économiques.

Gaza et la sécurité en Méditerranée

Saïd explique que la guerre à Gaza et la détérioration de la situation dans la région appellent à des efforts combinés de l’Egypte et de la Turquie, dans le but d’intensifier la pression internationale en faveur d’un consensus sur la question palestinienne et la situation à Gaza. « Un effort conjoint égypto-turc pourrait constituer le pilier le plus important pour résoudre la question palestinienne au cours de la prochaine étape », explique-t-il.

Un autre volet important concerne la sécurité et le gaz en Méditerranée. L’Egypte et la Turquie, en tant que puissances régionales au Moyen-Orient, peuvent former ensemble un facteur de stabilité régionale en Méditerranée, dont l’importance augmentera considérablement dans les années à venir en raison des opportunités et des défis qu’elle représente. L’Egypte peut mener une médiation pour un rapprochement entre la Turquie, Chypre et la Grèce, notamment en matière de démarcation de leurs frontières maritimes, et pour aider Ankara à joindre le Forum du gaz naturel de la Méditerranée orientale, créé au Caire dans le but de gérer les richesses gazières de la région. En échange, explique Saïd, la Turquie, qui est influente en Ethiopie, peut jouer un rôle important dans la résolution de la crise du barrage de la Renaissance. « La moitié des investissements turcs en Afrique sont concentrés en Ethiopie et peuvent donc jouer un rôle efficace pour atténuer l’impact du différend entre l’Egypte et l’Ethiopie », conclut-il.

 Une coopération militaire à l’horizon

 La coopération militaire entre l’Egypte et la Turquie devrait suivre la normalisation des relations bilatérales. La ville d’Al-Alamein sur la Méditerranée (ouest) accueille l’Exposition internationale de l’air et de l’espace du 3 au 5 septembre 2024 à l’aéroport international d’Al-Alamein, à laquelle participent pour la première fois des avions militaires turcs, parmi plus de 100 pays et plus de 300 entreprises de l’aéronautique et de l’industrie spatiale.

L’exposition intervient quelques jours après que l’Egypte a reçu le navire militaire turc TCG Kinaliada à la base navale d’Alexandrie après une interruption de 12 ans. L’ambassadeur de Turquie au Caire, Salih Mutlu Sen, a déclaré que son pays était intéressé à participer au salon aéronautique égyptien, expliquant que l’avion d’attaque et d’entraînement léger Hurjet de fabrication turque et deux avions F-16 participeront à l’exposition.

Il a indiqué que la Turquie apprécie la force et la position prestigieuse des forces armées égyptiennes, ainsi que l’importance de l’Egypte, soulignant que les développements positifs dans les relations bilatérales entre l’Egypte et la Turquie se poursuivront dans la période à venir. Plus important, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, avait annoncé en février dernier que son pays « acceptait de fournir à l’Egypte ses drones de plus en plus populaires », soulignant que l’accord s’inscrivait « dans le cadre de la normalisation des relations entre les deux pays ».

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