Il existe les militantes classiques, celles qui ne rechignent jamais à la besogne quand l’appel de leur cause devient retentissant. Il en existe d’autres, victimes du m’as-tu-vu médiatique et qui, histoire de faire bonne figure, participent aux sit-in les plus médiatisés et les plus « tape-à-l’oeil » de leur genre. Et il existe les persona grata, celles qui sont toujours en faveur de leur cause chérie. Qu’elles soient applaudies ou pas, elles sont toujours sur les devants de la scène associative. Et quand elles ne sont pas sur les devants, elles se mettent en quatre pour l’unique raison de mener à bien leur bataille. Pour rendre à César ce qui lui appartient. Parmi cette troisième catégorie, se range Aïcha Echchenna, la marraine de l’enfance abandonnée du Maroc. Une dame qui a embrassé l’action associative et le monde du bénévolat en 1985, soit 29 piges de cela.
Aïcha Echchenna ou « Mama Aïcha » pour les intimes n’est autre que la présidente de Solidarité féminine, une association qui épaule les mères célibataires du Maroc. Qu’elles soient de nationalité marocaine ou pas. Faisant également fi de leurs confessions et croyances personnelles, elle prend en charge toutes les jeunes filles violées, abandonnées par leurs familles ou par leurs amants et qui se trouvent obligées de frapper à sa porte.
C’est dans les locaux de Solidarité féminine qu’elle reçoit, chaque mois, des dizaines de femmes châtiées par le destin. Cette grande bâtisse, située dans l’un des plus beaux quartiers de Casablanca, témoigne de l’abnégation de Mama Aïcha. De sa témérité à revendre et de sa mansuétude hors norme.
« Epauler des jeunes femmes et jeunes filles délaissées par les leurs est mon combat depuis plusieurs décennies. Quand j’étais adolescente, je ne cachais pas mon insurrection face à la mentalité renfermée de certaines familles patriarcales. Ces parents qui, au lieu de sauver les mères célibataires qu’ils ont mises au monde, préfèrent les pousser à la porte pour chasser la honte comme ils se plaisent à dire ou à prétendre », témoigne-t-elle. Et d’ajouter : « Rebelle que j’étais à l’époque (et que je suis encore) je ne m’abstenais jamais d’intervenir en tant que juge en herbe. J’essayais de convaincre les mères d’assister leurs filles victimes des beaux parleurs quand elles ne savent plus où donner de la tête. Car de un, l’interruption volontaire de la grossesse n’est pas toujours la solution, a fortiori lorsque la future mère ne découvre que tardivement l’absence de leur menstruation. Et de deux, accoucher loin des siens est une expérience des plus épouvantables qui soient … ».
Au gré du temps, Mama Aïcha a découvert que les mentalités ne changent pas en un claquement de doigts. D’ailleurs, cela fait trois décennies qu’elle mène le même combat, confrontée aux mêmes difficultés. « Le talon d’Achille reste de loin les faux panachages entre dignité de la famille, diktat de la religion et celui de la société. Les personnes qui commettent ces confusions ignorent complètement qu’elles sont en train de punir des femmes déjà châtiées par la vie. Le Bon Dieu pardonne les plus grandes erreurs, la société a d’autres chats à fouetter et la famille a intérêt à intervenir pour sauver la vie psychologique de ses proches délaissés par leurs conjoints », souligne-t-elle.
Mais quoi qu’il en soit Mama Aïcha est infatigable. Il s’agit d’une véritable fée des histoires réelles. Cependant, force est de s’interroger sur le déclic qui l’a poussée à donner sa vie aux sans-voix. Selon ses dires : « Je mène une vie qu’on peut qualifier normale, je ne prétends pas être une Mère Teresa comme me surnomment les médias d’ici. Ma seule envie est d’aider les personnes qui ont besoin de mon assistance. De la prise en charge de mon association, de l’aide des psychologues qui nous prêtent main forte aux médecins bénévoles qui ne quittent jamais nos locaux en passant par la résidence entièrement gratuite. Assister une future maman qui va donner naissance à un nouveau-né, c’est la moindre des choses que l’on peut offrir à l’humanité ».
Cette dame de coeur est née en 1941 à Casablanca, mais elle a grandi à Marrakech, la ville du soleil couchant. En 1953, elle décide de retourner à sa ville natale dans le but d’intégrer l’école française de Foch, puis le fameux Lycée Joffre. Après l’obtention de son diplôme d’Etat en infirmerie, Aïcha Echchenna choisit de travailler en tant qu’animatrice au niveau de l’éducation sanitaire, et ce, à la préfecture médicale de Casablanca.
Sa première bouteille jetée dans l’océan du bénévolat fut son engagement dans la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance. Elle avait, donc, adhéré à l’éducation sanitaire au sein de la Ligue de protection de l’enfance et au sein de la Ligue de lutte contre la tuberculose.
Ensuite, elle se tourne vers les mères célibataires et fonde Solidarité féminine avec « ses soeurs d’armes ». Depuis son lancement, cette association accueille des mères célibataires en situation difficile. Qu’elles soient enceintes ou qu’elles aient mis leurs nouveau-nés au monde, l’association les aide à acquérir un nouveau métier, à suivre la formation de leur choix, à apprendre des langues étrangères ou à suivre des cours d’alphabétisation. « Nous essayons de la sorte de garantir un bon avenir pour ces mères », ajoute-t-elle.
Mais après l’effort vient le réconfort. En effet, après de nombreuses années d’acharnement et de travail assidu, Mama Aïcha a obtenu en 1995, le prix des droits de l’homme de la République française, et puis en 2005, le prestigieux prix d’Elisabeth Norgall de l’international Women’s Club of Frankfurt. 4 ans plus tard, c’est au tour des Etats-Unis de lui offrir son célèbre Opus Prize.
Aïcha Echchenna a également sorti, il y a 8 ans, un livre en français intitulé Miseria (misère en espagnol). Publié par les éditions du Fennec, ce recueil de témoignages perçants et bouleversants relate la vie de la combattante ainsi qu’une vingtaine d’histoires de petites bonnes fillettes victimes de viol, enfants, mères et futures mamans abandonnées. Cependant, contrairement aux idées reçues, cette militante des droits de l’homme n’est pas une féministe. « Je défends la condition de la femme, certes, mais pas en comparant cette dernière à l’homme. De ce fait, je ne suis absolument pas une féministe. Je défends plutôt le droit à la vie, le droit à la dignité des mères, mais aussi celui, pour un enfant, d’avoir un nom, une mère intègre, un foyer et une bonne éducation. Bref, une vie digne, normale et équilibrée », précise la marraine de la petite enfance marocaine, avant de poursuivre avec une once d’insurrection : « Contrairement aux idées reçues, j’assiste également les hommes. Indirectement, certes, mais il faudrait arrêter de dire que je les attaque ! Parce qu’à mon sens, en aidant une mère abandonnée, je prête une main aussi forte à ses enfants. Et une bonne partie de ces derniers deviennent des hommes quelques années plus tard et qui me considèrent comme leur propre grand-mère, par la force des choses. Bizarrement, certains hommes croient que je remonte les femmes contre leurs anciens amants, fiancés ou ex-maris alors que, croyez-moi, si les hommes étaient la partie lésée de l’affaire je les aurais épaulés à coeur joie et avec la même protection ».
Malgré l’acharnement des uns à vouloir faire d’elle une bête noire, « une femme à moeurs légères qui encourage les jeunes filles à se prostituer et à se rebeller contre leurs familles », Mama Aïcha ne recule devant rien. Tant qu’elle a la conscience tranquille, elle dit n’avoir pas de compte à rendre à personne. Elle vit pour sa cause et fait du militantisme son cheval de bataille. Après plusieurs décennies de lutte, elle avance le coeur léger malgré les qu’en dira-t-on de la société marocaine, à la fois ouverte et patriarcale. D’ailleurs, projet après projet, Mama Aïcha est arrivée à collecter d’inépuisables sources de revenus pour les mamans et les futures mamans qui vivent dans les locaux de son association. De même, il y a à peu près 10 ans, cette femme pétrie d’abnégation et de témérité a construit un hammam marocain de luxe dont les recettes vont entièrement aux femmes célibataires du Maroc.
Aujourd’hui, à 74 ans, la militante entrevoit qu’il reste beaucoup à faire au niveau de la sensibilisation de la société marocaine à la problématique des mères célibataires. « Je militerai pour cela jusqu’à mon dernier souffle », conclut-elle.
Jalons
1941 : Naissance à Casablanca.
1953 : Rejoint l’école française de Foch de Casablanca.
1985 : Fonde l’association Solidarité féminine.
1995 : Reçoit le prix des droits de l’homme de la République française.
2005 : Obtient le prestigieux prix d’Elisabeth Norgall de l’international Women’s Club of Frankfurt.
2014 : Décroche la Légion d’honneur française.
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