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Shennawy : La BD comme vocation

May Sélim, Samedi, 14 octobre 2023

Fondateur de la compagnie Le 9e Art et cofondateur du fanzine Toktok, le bédéiste et graphiste égyptien résidant en Belgique, Shennawy, s’exprime par les comics, s’adressant à un public adulte.

Shennawy

Malgré son emploi du temps surchargé en tant que graphiste professionnel, ses tâches familiales et le rythme de vie trépidant qu’il mène en Belgique, Shennawy trouve toujours le temps pour travailler ses bandes dessinées. Il aime dessiner, c’est sa passion, son univers favori, son refuge et le rêve auquel il continue de s’attacher. Bédéiste et graphiste, il est le cofondateur du fanzine Toktok et l’initiateur de la compagnie The 9th Art (le 9e art). Ces jours-ci, il participe au Lakes International Comic Art Festival au Royaume-Uni. « Cette année, le Lakes International Comic Art Festival consacre une part de ses activités à la découverte de la bande dessinée arabe. Autour du thème Le changement climatique, les organisateurs ont demandé à de différents artistes de BD, y compris moi-même, de contribuer avec leurs illustrations à un ouvrage collectif qui sort pendant le festival. Je participe au festival aussi avec trois pages de comics, tirées de mon dernier ouvrage Fich wa Tachbih (casier judiciaire), à travers une grande exposition collective organisée par les Libanais Lina Ghaibeh et George Khoury ».

Dans Fich wa Tachbih, il est question de deux empreintes de doigts qui s’entendent et se heurtent à la fois. « L’idée m’est venue lors des numéros de Toktok. Mais j’ai voulu la développer davantage dans cet ouvrage qui leur est entièrement consacré. Je considère ce bouquin comme mon vrai premier ouvrage de BD », lance Shennawy.

Le bédéiste s’apprête au lancement, en novembre prochain au Caire, de la 8e édition du festival Cairocomix dont il est le directeur. Il a déjà posté l’affiche sur les réseaux sociaux. « L’affiche rappelle une bande dessinée publiée autrefois dans la revue Samir, créée et signée par l’Egyptien Roger Camille, intitulée Les aventures de Essam. Cette BD a été publiée sur une centaine de pages », explique-t-il. Et d’ajouter : « A chaque édition, nous rendons hommage à un pionnier du monde de la BD et nous montrons ses créations à travers une exposition. Camille a un parcours très intéressant dans le monde de la BD. Après avoir travaillé dans Samir en Egypte, il s’est installé en Belgique et a signé des BD pour la revue Spiro par Kiko ».

En outre, le festival accueille comme invité d’honneur le bédéiste tchèque Jan Lastomirsky. Une autre exposition sera réservée au Libanais Mohamed Qoraitem et son ouvrage Leilat Al-Tholathä (la nuit du mardi). Et une troisième exposition s’intitulera Golria, une BD signée par l’Espagnole Almudena Pano.

Enfant, Shennawy éprouvait une grande passion à feuilleter les revues de BD pour enfants. « J’étais épris de dessins, s’intéressant moins au texte. C’est le dessin qui m’a de tout temps attiré, ainsi que la succession de strip (bande) ... J’ai donc commencé à dessiner des personnages de BD comme Garfield. J’avais également l’habitude de suivre les revues Majid et Tintin ».

Adolescent, il ne savait pas qu’il serait destiné à cette carrière de bédéiste. « Au cycle secondaire, je feuilletais encore plus de comics. J’avais l’habitude de montrer mes sketchs à mon père qui était complètement émerveillé par mes dessins. Malheureusement, je l’ai perdu avant mon bac. C’était difficile ! A l’époque, j’ai voulu faire des études de beaux-arts, mais ma mère a préféré que je suive une formation à même de me garantir du travail plus tard. Et puis, comme je n’ai pas pu passer le test des sélections des beaux-arts, j’ai fini par étudier le graphisme à la faculté des arts appliqués ».

Au départ, il se sentait un peu frustré. Mais plus tard, tout a changé. « Avant même de passer à la faculté, mon ami Hefnaoui et moi-même, à l’âge de 17 ans, nous nous sommes rendus à la revue Alaaeddine, sans rendez-vous préalable, avec notre portfolio. On a voulu montrer nos dessins au directeur de la rédaction, Ossama Farag. Dans le bureau de ce dernier, nous avons rencontré le bédéiste algérien Djamel Si-Larbi et nous avons découvert qu’il était lui-même Bordji, le créateur de la série Batrik wa Am Nowres, que nous suivions à un rythme hebdomadaire. Sans jouer au professeur, Djamel, très chaleureux, avait l’oeil et l’expérience pour nous coacher. Il nous a parlé de l’école européenne, particulièrement de l’école franco-belge, il mentionnait des titres et des termes, comme il le faut, nous incitant à travailler davantage. Il est vite devenu mon ami. Toutes les semaines, nous avions l’habitude d’aller le voir », raconte Shennawy.

Encouragés par Bordji, les jeunes de 17 ans étaient curieux d’apprendre et de se rapprocher du monde culturel et visuel de l’Egypte, de ses bédéistes. « A cette époque aussi, après avoir connu les comics américains, nous fouillions non seulement dans les BD franco-belges, mais aussi dans l’histoire de leurs créateurs : Hergé, Franquin et d’autres. A l’Institut français du Caire, je suis tombé sur leurs ouvrages, et depuis, le rêve d’avoir mon propre studio pour dessiner et de gagner ma vie m’a hanté. La réalité n’est pas aussi simple, mais j’essaye de garder ma place sur la scène des comics en Egypte », estime-t-il.

Avec l’aide de Brodji, le jeune dessinateur s’ouvre sur la culture francophone. « Grâce à Bordji et sa femme Bouchra, j’ai été initié à la langue française. Je ne l’avais pas étudiée à l’école. J’ai entendu parler du Festival de la BD d’Angoulême par Djamel Si-Larbi et je rêvais d’y aller un jour ». Shennawy a même travaillé sous la supervision de Bordji dans la revue Alaaeddine. « Pendant un an, Hefnaoui et moi, nous avons dessiné différents personnages pour la revue ». Mais lui, il aspirait surtout à faire des comics pour adultes. « Après mon expérience à Alaaeddine, je ne suis jamais revenu à la BD pour enfants. C’était intéressant de réaliser comment elle pouvait s’adresser aux adultes, en abordant des sujets très variés ».

Etudier l’art graphique a beaucoup aidé Shennawy tout au long de sa carrière. Il a d’ailleurs brillé en tant que graphiste et a travaillé depuis les premières années d’études dans des agences de publicité. Et avec l’argent qu’il gagnait, il a voyagé en France pour assister au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2002. « J’étais complètement absorbé par le travail de graphiste. Je n’avais pas le temps de me consacrer aux comics, mais j’avais toujours sur moi mon carnet de dessin et je maintenais mes visites hebdomadaires pour Bordji. Je suivais également les compétitions de comics ici et ailleurs ».

A Angoulême, il a déchiffré les codes de la grande manifestation consacrée à la BD. Sept ans plus tard, il y est revenu, faisant partie de ses lauréats. En dessinant ses comics, le bédéiste opte souvent pour des personnages marginalisés en Egypte. « Je ne m’intéresse à montrer ni super-héros, ni champions, ni bons modèles à suivre. Simplement, j’aime dessiner des gens de la rue ». C’est le cas par exemple de l’un de ses personnages favoris Al-Sayess (l’homme des parkings, qui s’est improvisé un rôle pour aider les gens à se garer). Celui-ci a fait son apparition dans Toktok, un fanzine trimestriel qu’il a lancé quelques jours avant la Révolution du 25 Janvier 2011, avec ses collègues bédéistes, Makhlouf, Tewfig, Andeel et Rahma.

Toktok est plutôt le mot courant qui signifie un tricycle qui s’infiltre aisément dans les ruelles et les impasses de la ville. Le fanzine aborde ainsi des sujets sociopolitiques de façon satirique. « Les premiers numéros ont eu du succès. On a donc voulu maintenir la publication du fanzine et d’autres ouvrages de comics. C’est pourquoi j’ai fondé la compagnie Le 9e Art. Une société et une maison d’édition qui permettent de garantir l’indépendance matérielle de nos ouvrages et de faciliter le processus de publication, sur le plan administratif ».

Les BD publiées par Le 9e Art sont toujours très égyptiennes dans l’âme. Shennawy s’est installé en Belgique après son mariage en 2015. Ses enfants (un garçon de 5 ans et une fille de 3 ans) parlent l’arabe avec un accent égyptien. Et sa femme, d’origine espagnole, aussi. « Je tenais à parler avec eux en dialecte égyptien, je voulais qu’ils me comprennent facilement », souligne-t-il. Shennawy est toujours très attaché à ce monde qu’il a quitté physiquement. Il y revient quand même de temps en temps. Et parcourt tout ce qui se passe dans le pays sur les réseaux sociaux. Il échange également de manière régulière avec ses collègues artistes, notamment son ami de longue date Hefnaoui. « Certes, ce n’est pas facile d’être au courant de tous les changements de la société égyptienne et du langage courant qui se développe très rapidement. Chaque année pendant le Cairocomix, je trouve un immense plaisir à voir les amis, les rencontrer dans un café et bavarder avec eux ». Avec Toktok, Le 9e Art, Cairocomix, Shennawy a l’impression de ne pas trop s’éloigner de son Egypte. En 2024, il compte travailler sur un ouvrage où il va développer l’histoire de son personnage favori Al-Sayess, entouré cette fois-ci de sa famille. Un livre qui sortira en arabe et en français.

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