Sept fois lauréat du prestigieux prix de l’Australian Recording Industry Association Music Award (ARIA Award) depuis 2012, Joseph Tawadros se trouve en permanence parmi les meilleures ventes de musique au monde. « A chaque saint sa chandelle. Ma musique mise sur des états émotionnels et non pas sur la géographie et l’écologie des paysages. Elle se présente comme l’éponge de ma vie, capable d’absorber toutes les musiques du monde qui peuvent être jouées pour tout le monde », confie le luthiste et compositeur australien, d’origine égyptienne, Joseph Tawadros, qui a récemment animé un concert gratuit au Caire et a fait salle comble à l’Ewart Hall, dans l’ancien campus de l’Université américaine.
Il a joué quelques-unes de ses compositions phares, dont Work is Love Made Visible, inspirée du livre Le Prophète de Khalil Jubran ; Chameleons of the White Shadow, un va-et-vient joyeux entre luth, banjo, orgue et basse guitare ; Permission to Evaporate, une ballade multi-instrumentiste … Bref, certains morceaux parmi les plus partagés en streaming. De temps en temps, il se permettait de flirter avec le public égyptien, en s’adonnant à des taqassim (improvisations), à partir de vieilles chansons connues de Sayed Darwich, Oum Kalsoum ou Saleh Abdel-Hay … Son jeu de luth est proche du storytelling. En fait, c’est de la narration musicale dont il s’agit le plus souvent. D’ailleurs, sur scène, il ne cesse de raconter des histoires, mélangeant l’anglais et le dialectal égyptien qu’il a appris grâce aux films en noir et blanc. On dirait un one-man-show, comme dans les spectacles de stand-up. Il est souvent habillé de toutes les couleurs et porte un tarbouche rouge sur la tête, avec des franges bleues. Le fez de Tawadros, il l’a acheté chez un commerçant du Vieux Caire, et sur scène, il ne manque pas de faire des blagues dessus. Car avec lui, tout est amusant, enjoué. « J’ai la moustache d’un pacha ! C’est le symbole sarcastique d’une position sociale de dominant, qui n’est plus à l’ordre du jour », dit-il à propos de sa longue moustache aux pointes enroulées vers le haut. « J’aime les combinaisons de couleurs et les contrastes qui ont un effet saisissant. Dans un tel monde, il faut apporter un peu de la couleur, il faut désacraliser la musique ».
Son sens de l’humour dédramatise les aléas de la vie, enchante le public fasciné par son jeu, mais aussi par ses histoires drôles et sa capacité de rire de soi-même et des autres. « On me demande mon avis sur la musique des mahraganate (électro-populaire) du hip-hop, du rap …, et je réponds souvent qu’à chacun son histoire, et c’est à lui de la narrer à sa manière. Je préfère rester moi-même, sans trop me compliquer la vie. J’aime rencontrer des gens, me faire des amis, entrer en contact avec les auditeurs, engager des conversations avec eux, semer la joie de façon naturelle, sans vestes noires, tuxedos, etc. Bref, sans se prendre trop au sérieux ».
Le musicien se décrit souvent comme un Australien qui habite le corps d’un Egyptien, traînant ses propres us et coutumes un peu partout. « Plus que la moitié des Australiens sont nés à l’étranger, ou ont un parent qui l’a été. C’est le côté ingénieux des Australiens. Je suis très en contact avec mon héritage égyptien, mais le fait d’avoir grandi en Australie m’a permis d’interagir avec d’autres cultures, car le pays est marqué par une grande diversité. De quoi apporter à mon luth un son différent », déclare Joseph Tawadros, qui se proclame comme étant un troubadour des temps modernes.
Né le 6 octobre en 1983, dans le quartier de Choubra au Caire, le petit Joseph avait deux ans lorsque ses parents ont décidé de quitter l’Egypte et s’installer définitivement en Australie. Et ce, pour des raisons en lien avec le travail de son père, alors un aéromécanique.
Le luthiste de 40 ans a la musique dans le sang. Il est le neveu du trompettiste égyptien Yacoub Mansi et le petit-fils du joueur de oud et compositeur Mansi Habib, à l’origine un marchand de coton à Al-Qanater Al-Khaïriya (aqueducs de Mohamad Ali). « J’ai tant rêvé de retrouver le luth de mon grand-père. Mes parents aimaient écouter la musique classique arabe, ce qui m’a aidé à apprendre davantage sur notre héritage culturel et nos traditions. J’ai développé alors une passion pour la musique, qui me liait à mes racines. Je suis un fan de Abdel-Wahab, de Farid Al-Atrach, de Georges Michel et surtout d’Oum Kalsoum, dont les improvisations pouvaient se prolonger à l’infini. J’essaye de faire pareil avec mon luth. J’adore sa chanson Al-Atlal (les ruines), reprenant l’un des thèmes majeurs de la poésie arabe : les ruines d’une relation ou les traces laissées par la bien-aimée après son départ. Le côté romantique et poétique m’emporte toujours », précise Tawadros qui est un bon collectionneur de timbres-poste égyptiens, notamment ceux de 1866 à 1952. Pour lui, c’est la période d’or !
La première apparition de Tawadros sur la scène égyptienne était en 2013, à Saqiet Al-Sawi, avec le groupe underground Eftikassat, grâce au soutien de l’ambassade d’Australie au Caire. Il avait déjà commencé à se faire un nom dans les théâtres du monde, et ce, avant de s’installer essentiellement à Londres, en 2016. Il a voulu simplement raccourcir les distances de vol et le temps des déplacements, au profit de ses tournées artistiques. Récemment par exemple, il s’est produit au Qatar, au prestigieux atrium du Musée d’art islamique, au Koweït, en Jordanie, et après l’Egypte, il devrait poursuivre ses concerts en Asie et au Moyen-Orient.
« Regarder des films égyptiens en noir et blanc de Naguib Al-Rihani, notamment son chef-d’oeuvre Leabet Al-Set, d’Anouar Wagdi, notamment sa comédie musicale Dahab, tout ceci m’a aidé à développer une passion pour la musique. J’admire particulièrement le film datant de 1966 traçant le parcours du luthiste-compositeur de génie Sayed Darwich », indique Tawadros, qui a aussi signé plusieurs musiques de films tels I Remember 1948, The Last Days of Yasser Arafat, Haneen, Checkpoint. Et de poursuivre : « J’ai commencé à faire du luth en autodidacte à l’âge de 10 ans, puis un ami de la famille s’est occupé du reste. En outre, il y avait Internet et les diverses performances de luth disponibles sur la toile, et c’est ainsi que j’ai fini par en faire ma profession ».
Titulaire d’un diplôme de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW), Kensington, faubourg de Sydney, Joseph Tawadros a également suivi une formation classique occidentale. Il a joué à ses débuts, à l’âge de 14 ans, dans des restaurants libanais, en Australie, puis s’est inscrit à l’Institute of Eastern Music et a été particulièrement épris de ce qu’il appelle « les mystères » du luth baroque. « La conception unique du luth baroque en fait un instrument très polyvalent avec une large gamme musicale. Je suis un passionné de Bach, Vivaldi, Mozart …, de ces perles musicales de forme irrégulière et ornée qui exprimentde l’exubérance et des émotions profondément personnelles, aux contrepoints, au modernnisme musical », dévoile-t-il.
Son luth à sept cordes, au dos arrondi et profond, est différent de l’instrument traditionnel. « Je crois fermement que le luth, cet instrument oriental ancestral, a quelque chose à apporter aux différentes cultures », déclare le musicien capable en une minute de transformer son luth en guitare espagnole, en guitare rock et même en banjo.
D’ailleurs, il a collaboré avec de nombreuses sommités du jazz, dont John Abercrombie, Jack DeJohnette, Mike Stern, Neil Finn, Bela Fleck, John Patitucci, Richard Bona, Christian McBride, Roy Ayers, Joey DeFrancesco, Zakir Hussain, Richard Tognetti, William Barton, James Crabb … Il s’est produit dans les plus grandes salles de concert du monde entier, telles que l’Opéra de Sydney, le Royal Albert Hall à Londres et le Lincoln Center à New York. « J’ai participé au Festival international de musique folklorique du Rajasthan à Jodhpur, auquel assistait le roi de Jodhpur. J’ai aussi joué devant le Dalaï Lama … », dit Tawadros, nommé membre de l’Ordre d’Australie pour ses services à la musique, en 2016, et lequel a sorti 19 albums, depuis 2007. « Je suis quelqu’un qui n’aime pas rester à la maison. J’aime voyager, accompagné de mon luth. Et si je dois absolument me mettre à travailler à la maison, c’est juste pour envoyer un mail, signer un contrat … », confesse-t-il.
Joseph Tawadros a été le premier et le seul compositeur australien à être interprété par l’Academy of Ancient Music, au Royaume-Uni. Jusqu’ici, il a eu un agenda surchargé en 2023 : une performance à l’ouverture du Forum économique mondial à Davos, en Suisse (janvier 2023), une nouvelle oeuvre pour luth et orchestre : The Three Stages of Hindsight, une première mondiale jouée avec le prestigieux orchestre de chambre Britten Sinfonia, Grande-Bretagne (février 2023). Il a été choisi parmi 50 autres compositeurs australiens afin d’écrire une fanfare célébrant le 50e anniversaire de l’Opéra de Sydney (mars 2023).

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