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Isam Hamza : L’érudit passionné du pays du soleil levant

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 23 novembre 2022

Professeur émérite, Isam Hamza est l’un des rares spécialistes égyptiens du Japon. Ses recherches approfondies sur l’archipel, ainsi que ses activités visant à approfondir les échanges académiques, sont très appréciées dans les deux pays.

Isam Hamza

C’est vrai qu’il sait manger le sushi en utilisant des baguettes, qu’il adore écouter le pop de Tanimura ou le folk de Yosui Inoue, mais sa passion va au-delà de tout cela. Au-delà même de Maneki Neko, ce chat japonais au visage souriant réputé pour attirer la bonne fortune, le bonheur et l’argent, et des tableaux emblématiques du Mont Fuji ou de la grande vague de Kanagawa du célèbre peintre Hokusai. En effet, la connaissance de Isam Hamza du Japon est beaucoup plus profonde et sa passion s’avère plus raisonnée. Elle couvre notamment l’idéologie, la politique et l’économie, jusqu’aux systèmes administratifs, qui sous-tendent la technologie et l’industrie du pays.

«  Les Egyptiens se considèrent comme des Orientaux. Toutefois, ils connaissent très peu de l’Extrême-Orient. Bien que l’Egypte soit un pays oriental, la culture occidentale s’y est imposée et l’occidentalisation n’a cessé d’y progresser pour des raisons géopolitiques. Or, il devient crucial de mener des études sur l’Orient dans sa totalité, notamment le Japon, qui a réussi à se mettre sur un pied d’égalité avec l’Occident », souligne Isam Hamza, expliquant que les Japonais souffrent de l’incompréhension de l’Autre, surtout que la plupart des gens conçoivent le Nippon à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, selon une perspective orientaliste.

Par ailleurs, la passion de Hamza pour le Japon et sa culture n’a pas eu lieu du jour au lendemain. Elève, il adorait la lecture, notamment dans le domaine politique. « Je ne cessais de fouiller dans la revue Al-Siyassa Al-Dawliya (la politique internationale) et dans les journaux, notamment Al-Ahram, qui publiaient des auteurs éminents tels Tewfiq Al-Hakim et Mohamad Hassanein Heikal. M’inscrire en sciences politiques m’était donc un grand rêve ».

Le bac en poche, il a été obligé de s’inscrire à la faculté des lettres, vu son pourcentage. Or, il ne s’est pas laissé à la déception. « J’ai pensé qu’il y avait certainement d’autres moyens pour puiser dans les études politiques. A l’époque, on commençait à découvrir, peu à peu, ce qu’était le Japon. On retrouvait sur le marché égyptien des produits japonais tels des aspirateurs, des voitures, des machines à laver, etc. En outre, le département de langue et de littérature japonaises venait d’ouvrir ses portes. Il est né dans le cadre de la coopération entre le Japon et l’Egypte dans la période d’après-guerre », se souvient-il.

200 personnes ont déposé leur candidature à ce département nouveau-né. Or, 15 seulement ont été sélectionnées et Hamza en faisait partie. Classé premier de sa promotion durant les quatre années universitaires, il a réussi à décrocher une bourse de magistère à l’Université d’Osaka, l’une des universités les plus prestigieuses du Japon. Là-bas, il s’est mis à étudier la pensée politique du Japon et la modernisation, une discipline qui englobe la littérature, la philosophie, le folklore et les religions de l’archipel.

Quoique passionnant, son parcours n’était certainement pas évident. « J’avais mis deux jours pour atteindre Tokyo depuis Le Caire. En 1978, il n’y avait pas de vols directs. J’ai pris l’avion du Caire le 28 octobre pour arriver le 30, après avoir effectué deux escales, l’une à Karachi, l’autre à Manille ». Il se souvient ainsi de son premier voyage par avion, de sa première visite pour le Japon. Et d’ajouter: « Les mots me manquent pour décrire mes impressions. Dès que je suis sorti de l’aéroport, j’ai été choqué! Il faut dire que le modèle de modernisation connu à l’époque était celui de l’Europe. Or, le Japon m’a offert à cette époque-là un modèle sans égal ».

Installé à Osaka, à l’ouest du Japon, à environ 500 km de Tokyo, Hamza décide de profiter pleinement du charme et de la douceur de cette culture unique au monde, afin d’atténuer les effets du choc culturel. « Tout lieu au Japon a quelque chose de différent à proposer. Osaka a son propre dialecte, et les habitants sont aimables, ponctuels et modestes », dit-il, affirmant les caractères communs entre les habitants d’Osaka et ceux de Damiette, sa ville natale.

« A l’université, j’étais le seul étudiant venant du Moyen-Orient. Et, comme je me suis donné pour mission de me familiariser avec les coutumes de cette civilisation surprenante, je passais beaucoup de temps dans un certain café, afin de me créer de nombreuses opportunités de rencontre et favoriser les échanges sur place, de quoi me permettre d’exercer mon japonais », raconte le professeur Hamza, conscient du rôle des bistrots dans la socialisation.

Ceci l’a incité d’ailleurs à fonder, des années plus tard, un bistrot offrant des plats japonais, au Centre de la culture et des arts libéraux, au sein de l’Université égypto-japonaise. En outre, ses tentatives d’harmonisation avec la culture japonaise ne s’arrêtent pas là. « Au Japon, la culture architecturale regorge de multiples temples bouddhistes et de sanctuaires shintos répartis sur l’archipel nippon. Pendant les week-ends, j’allais découvrir toutes ces particularités. Grâce à des amitiés nouées avec des prêtres, ces derniers m’ont fait entrer à des endroits, dans des temples, interdits même au public japonais. Et je m’en suis servi dans mes études ».

A force de puiser dans la culture et la langue japonaises, Isam Hamza a réussi à s’imposer dans la société japonaise de par son savoir, même si son look dévoile qu’il était étranger : « Ça m’est arrivé souvent qu’en plaisantant avec des amis, ceux-ci me disaient qu’ils avaient complètement oublié que j’étais Egyptien ! ». Et d’ajouter, en souriant: « Je me souviens encore du visage d’un chauffeur de taxi, ébahi en voyant ma tête d’étranger après avoir discuté tout le long du trajet ».

Isam Hamza avait l’intention de passer 4 ans au maximum, il finit par y rester 13 ans. Après avoir obtenu son master, l’étudiant brillant décide de poursuivre ses études doctorales à la même université. « Malheureusement, la faculté du Caire a insisté sur le fait que je revienne. Mais comme j’ai insisté, j’ai été renvoyé par celle-ci. Et par conséquent, j’ai été privé de tout appui financier. J’ai dû travailler pour gagner mon pain ». Il passait ainsi de la traduction au journalisme dans les chaînes japonaises MBS et ASAHI, où il abordait des sujets relatifs à la culture arabe et celle du Moyen-Orient.

La persévérance et la passion étaient les armes de Isam Hamza pour atteindre ses objectifs: à 34 ans, il soutient sa thèse pour être à l’époque le plus jeune diplômé à obtenir un doctorat au Japon. De retour au Caire, il est renommé au département et devient en 2007 le chef du département de langue et de littératures japonaises à l’Université du Caire. Deux ans après, il est nommé vice-doyen avant d’occuper plusieurs postes dans diverses universités. Puis en 2018, il est choisi pour occuper le poste du président du Centre de la culture et des arts libéraux à l’Université égypto-japonaise. « L’histoire du Japon a beaucoup à nous apprendre, notamment en ce qui concerne la modernisation. Sans rejeter ses traditions et sa culture, le Japon a opéré une remise en question et s’est contenté d’adopter les éléments étrangers qui lui manquaient seulement et qui convenaient à ses principes et à ses valeurs », précise l’académicien, qui a joué un rôle-clé dans la promotion des relations universitaires bilatérales en tant que secrétaire général de la Japanese Universities Graduates and Researchers Association, en Egypte pendant plus de 10 ans. « Je pense que la diversité des systèmes de valeurs enrichit le monde. Je ne veux pas vivre dans un monde qui se cantonne aux valeurs d’un seul pays. La pluralité des valeurs est constitutive de notre monde », ajoute-t-il.

Selon lui, l’image du Japon comme une puissance économique sans visage a été remplacée par celle d’un pays qui produit et exporte massivement des cultures « cool ». « Beaucoup d’Egyptiens adorent les Mangas, mais l’attrait du Japon ne se limite pas à cela. Il y a aussi la littérature ancienne, la cuisine, les films, etc. », précise-t-il. Et de poursuivre: « L’Université égypto-japonaise offre surtout un système d’enseignement différent. Au Japon, il y a 700 universités environ, sans aucune université étrangère. Mais il y a ce qu’on appelle des partenariats avec des universités étrangères. L’Université égypto-japonaise fait figure d’un partenariat entre l’Egypte et le Japon et propose un modèle d’enseignement public à caractère privé : l’enseignement est surtout interactif, les laboratoires sont fournis par le Japon, les professeurs égyptiens sont formés au Japon, des bourses sont octroyées aux étudiants distingués … ».

Les travaux sur l’éducation à la langue japonaise, la promotion de sa culture et l’approfondissement des échanges académiques ont rendu Isam Hamza digne d’un certificat d’appréciation du ministre japonais des Affaires étrangères. Un hommage mérité pour un professeur dont les efforts contribuent certainement au rapprochement entre les deux peuples.

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