Dans la salle paroissiale de l’église arménienne catholique d’Héliopolis, un beau sapin et une crèche sont déjà prêts à accueillir les fêtes de Noël. Et ce, à travers des messes célébrées au quotidien, des actes de charité, des collectes de dons, des gestes de compassion… Ceci dit, Monseigneur Krikor Ogosdinos Coussan, évêque d’Alexandrie des Arméniens catholiques pour l’Egypte, le Soudan, et toute l’Afrique, est bien occupé.
Noël fait appel à l’amour, à la paix, à la tolérance, à la réconciliation et à la fraternité, à vivre ensemble le temps de l’Avent. Un Avent qui, convoqué dans toutes les homélies de Monseigneur Coussan, consiste à préparer ses trois églises arméniennes catholiques d’Egypte pour célébrer cette période de fête, à savoir la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation au centre-ville du Caire, l’église Sainte-Thérèse à Héliopolis et la Cathédrale Notre-Dame de l’Immaculée Conception à Alexandrie. C’est dans cette dernière où a été célébrée, le 20 mai 2004, l’intronisation épiscopale de Monseigneur Krikor Ogosdinos Coussan, précédée d’une ordination le 9 mai 2004 à Alep, en Syrie, comme évêque, par le patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques. Car il est un Arménien d’origine (de Cilicie), Syrien de naissance et Egyptien de nationalité. Celle-ci lui a été accordée le jour même de son intronisation.
« L’Avent ou le Petit Carême est un temps liturgique fort de l’une des plus grandes fêtes de toute l’histoire humaine: la Nativité, la fête de l’Eveil et de Lumière. La nuit du 24 décembre, ou le réveillon, est pour la communauté arménienne catholique une occasion supplémentaire pour se réunir en famille, autour d’une table décorée d’un bon repas arménien. Avec des bougies qui illuminent nos gâteaux. Nous chantons en arménien des cantiques pour célébrer la naissance de Jésus. L’Avent nous invite à méditer et à contempler le mystère de l’Incarnation rédemptrice, à se laisser toucher par la grâce de Dieu, à se préparer par la prière et le travail, à se purifier, pour atteindre une réelle conversion des coeurs », souligne Monseigneur Coussan.
En tenue simple, il s’installe en toute modestie, le sourire aux lèvres, dans le petit salon de l’église. C’est là qu’il reçoit ses hôtes. Sa soutane noire, non filetée, est un signe de consécration à Dieu et de deuil. D’ailleurs, pendant les fêtes solennelles et offices religieux, Monseigneur Coussan est majestueusement habillé en vêtements pontificaux, d’une robe splendide et illustre de couleur beige doré, d’un anneau pastoral, insigne de sa dignité ecclésiastique, d’un kamilavkion (couvre-chef cylindrique) recouvert d’un klobouk (voile tombant sur les épaules), d’une calotte hémisphérique ornée d’une mitre surmontée d’une croix et d’un pendentif pectoral iconique, représentant la Sainte Vierge. « Je prie tout le temps pour l’intercession de la Sainte Vierge, la Mère de l’Eglise, unie au mystère de la rédemption. C’est son rôle depuis son Oui à l’Ange Gabriel pour que le Salut s’incarne en elle. La dévotion mariale est la vraie foi », affirme Monseigneur Coussan.
Il est ordonné prêtre le 24 décembre 1980, à Alep, en Syrie, c’est là où il est né d’un père arménien, directeur à la Compagnie de transport Ferroviaire de la Syrie (CFS). Fils des Coussan, l’une des 40 plus grandes familles arméniennes parties en 1640 de Cilicie ou Kilikia (la petite Arménie) à destination de l’ancienne Alep, pour habiter les ruelles Zoqaq Al-Arbaïne et Sise, Monseigneur Coussan avoue: « Connaître le génocide arménien de 1915, dans l’Empire ottoman, sa politique de déportation et ses massacres qui ont poussé beaucoup d’Arméniens à l’exil planétaire, ainsi que faire vivre sa mémoire, est une tâche importante. Nombreux sont les Arméniens de la diaspora qui portent en eux, avec dignité, la souffrance et la mémoire. Les Arméniens sont extrêmement touchés par ce qui leur est arrivé, par envie et haine. Et pourtant, en dépit de tout sacrifice, les Arméniens, de caractère sage et endurant, gardent quand même espoir et tiennent à leurs rêves. Ils occupent des postes prestigieux en Turquie, à Alep et dans le monde entier. Les Arméniens sont des experts en bijouterie, en l’artisanat du cuivre, en commerce, en charpenterie, en médecine, en droit… En Egypte, prenons l’exemple du grand Nubar pacha, ou encore Yaacoub Artine qui avaient un rôle important dans l’histoire du pays ».
Monseigneur Coussan prête une grande attention à l’enseignement arménien en Egypte, qui permet aux Arméniens de s’ancrer davantage dans leur culture. D’ailleurs, l’école des Soeurs arméniennes catholiques à Héliopolis est sous son autorité. « Ecoles, églises et clubs sont des endroits qui conservent l’esprit arménien, et c’est là où se rassemble la communauté arménienne d’Egypte. Nos parents et nos grands-parents ne cessaient de nous raconter l’histoire de l’Arménie, comme s’ils voulaient qu’elle reste gravée dans nos mémoires, c’est ce qui renforce les liens entre Arméniens. Si la majorité des Arméniens d’Egypte, nés dans le pays qui les a abrités, font preuve d’intégration, les Arméniens n’ont jamais oublié qu’ils ont une obligation envers le pays de leurs ancêtres. Ils travaillent et attendent le jour où tous les pays du monde, y compris la Turquie, reconnaîtront ce génocide oublié où un million et demi de personnes ont trouvé la mort et méritent bien des excuses. L’Etat égyptien accorde son soutien à notre église et au peuple arménien », précise Monseigneur Coussan. Et de poursuivre : « Comme Jésus est le maître absolu du pardon, nous croyons à la possibilité du pardon. Jésus nous invite à pardonner sept fois par jour à notre frère s’il revient sept fois en disant : Je me repens (Luc 17 : 3) ». L’évêque aime lire Voltaire et Shakespeare, notamment les oeuvres traitant de questions existentielles et de drames humains. « Avec un coup de plume piquant à la portée de tous, Voltaire écrit: Et si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer », indique Monseigneur Coussan qui a passé ses études scolaires à l’école Saint-Grégoire l’Illuminateur, puis il a été chez les Frères maristes, toujours à Alep.
Sage, calme et assidu aux cours de catéchisme, au scout et à la chorale de l’école, le petit Krikor était aussi un passionné de calligraphies en toutes les langues, surtout l’arménienne et l’arabe. Enfant de choeur, voire un servant occasionnel et bénévole au service de l’église et de ses fidèles, c’est à la Cathédrale Notre-Dame de Bon secours des Arméniens catholiques d’Alep qu’est née la vocation de Krikor Coussan. « Enfant de choeur, j’attendais impatiemment le mois de décembre pour participer à la décoration du sapin de mon église, comme au service des personnes vivant dans la misère. J’encourage les familles chrétiennes à ancrer leurs enfants dans la vie religieuse. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une pénurie de prêtres et de religieuses dans le monde entier, à une perte d’âmes », dit-il. Passant par trois niveaux d’ordination, d’abord diacre, puis prêtre, pour finir par être évêque, il choisit son nom en religion: Ogosdinos ou Augustin. « Mon intercesseur spirituel, c’est saint Augustin. Philosophe, théologien, pasteur et poète, saint Augustin, le célèbre évêque d’Hippone, ce génie de l’humanité, est le plus souvent représenté plongé dans l’étude, avec le coeur enflammé ou percé de flèches », décrit Monseigneur Coussan.
Ce dernier est proche de saint Augustin, ayant passé par plusieurs chemins tortueux qui ont façonné son être et sa personnalité. D’ailleurs, Krikor (Grégoire en français) signifie en arménien une personne toujours éveillée, attentive et active. « Reconnu avec sa sagesse philosophique comme l’apôtre de l’Arménie, saint Grégoire l’Illuminateur se voit toujours entouré de ses amis fidèles. Personnellement, j’aime garder des amitiés partout et nouer de bonnes relations avec tout le monde », confie-t-il.
Difficile de l’arrêter dans ses pérégrinations, puisqu’il part toujours à la découverte d’autres cultures, d’autres peuples. Partout où il se déplace, il est entouré de fidèles, admirateurs de sa vaste culture, ayant étudié au séminaire arménien catholique de l’Institut du Clergé patriarcal de Notre-Dame de Bzommar, au Liban. Puis, il a suivi des études supérieures pendant deux ans, en 1975, en philosophie et en théologie, aux Universités pontificales Saint-Thomas d’Aquin (Angelicum) et Gregoriana à Rome, où, conjointement à son poste de curé de la paroisse arménienne catholique de Saint-Nicolas de Tolentino, il rédige sa thèse de doctorat en mariologie et christologie.
A son retour de Rome en 1983, via Alep, Krikor Coussan est nommé curé de la paroisse Notre-Dame des Arméniens catholiques d’Alep et de l’église de la Sainte-Croix, en 1993, et ensuite directeur du collège Saint-Grégoire l’Illuminateur à Alep. En même temps, il a été curé de la paroisse Notre-Dame des martyrs à Raqqa, en Syrie. Puis, juge ecclésiastique du tribunal d’Alep. De 2015 jusqu’en 2020, il est nommé exarque patriarcal de Jérusalem et d’Amman des Arméniens catholiques.
En 2009, son excellence contribue au Synode des évêques d’Afrique et en 2010 au Synode du Moyen-Orient. Membre du comité du dialogue des religions en Egypte, il signe des articles de presse dans Al-Ahram, Al-Watan, Watani, Al-Yom Al-Sabie, abordant surtout des questions liées au dialogue interreligieux, au génocide arménien et aux méditations bibliques.
Jalons :
2004 : Ordination épiscopale, évêque d’Alexandrie des Arméniens catholiques.
2009 : Voyage avec le pape Benoît XVI au Cameroun, en visite pastorale.
2014 : Première rencontre avec le président Sissi.
2015 : Participation, au Vatican, à la célébration de la messe du centenaire du génocide arménien.
2017 : Obtention de l’Ecusson d’Alexandrie par le gouverneur Mohamad Sultan.
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