Enfant, il ne dessinait que des maisons. La feuille blanche se révélait être alors un espace àconquérir, un espace extérieur àlui, sur lequel il pouvait projeter son espace intérieur. Aujourd’hui, l’espace àconquérir est toujours présent, mais pour projeter plutôt l’espace intérieur des autres. Mohamed Attia est reconnu aujourd’hui comme un architectedécorateur de premier rang, un explorateur du monde intérieur des personnages.
Toutefois, son parcours n’était pas simple. Elevépar sa mère, il voyait en elle la figure incarnée de la patience et de la persévérance. Alors, il ne voulait guère la décevoir. «Une fois que j’ai eu mon bac avec un grand pourcentage, je me suis inscrit à la faculté de médecine dentaire. Mais, il m’a suffit de passer un an pour que je décide d’y renoncer et de retrouver ma passion d’origine », se souvient Attia. «Quand on est jeune, on possède une certaine image de la famille. Celle-là n’est pas forcément exacte. J’ai prévenu ma mère, mes soeurs et mon frère aîné de mon désir de changer de fac, et à ma surprise, ils ont été compréhensibles ».
Diplôme en poche, le jeune architecte est embauchépar un grand cabinet d’architecture vernaculaire, spécialisédans l’utilisation des matériaux de construction disponibles localement, ainsi que dans la mise en place de programmes de formation pour les architectes et les maçons. Le bureau était également connu pour ses projets de réhabilitation. «Avec Rami El Dahan, j’ai appris tant de choses dont en tête le sens de la responsabilité. En 1996, en partenariat avec le ministère de la Culture et l’Unesco, je faisais partie de 10 jeunes architectes âgés entre 25 et 28 ans, sélectionnés pour diriger les projets de la réhabilitation du Caire. Très jeune, j’ai été déjà chef de projet », raconte-t-il.
Quelques années plus tard, un coup de téléphone bouleverse la vie de Mohamed Attia. «J’étais en France à la recherche d’un travail lorsque mon ami Karim Gamaleddine, qui venait de louer le Studio Misr, était en train d’élaborer un plan pour le rénover. Il m’a appelé pour faire part de son équipe. J’ai accepté tout de suite ». Cette décision lui a ouvert les portes d’un nouveau monde. «J’avais de la chance de faire ainsi la connaissance du grand architecte Salah Mareï, devenu mon mentor.
Nous avions des discussions autour des différents cinémas, lui étant un vrai érudit, et moi qui connaissais déjà le cinéma français, russe, polonais, etc. Il ne cessait depuis de me dire que je pourrais faire un chef décorateur merveilleux », se souvient-il. Ce témoignage lui fait d’ailleurs plaisir et lui octroie une grande fiertéjusqu’àprésent. «Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone de la part d’une personne que je ne connaissais pas, me disant qu’il était Mohamad Khan !
Abasourdi, j’ai commencé à lui demander s’il était vraiment le réalisateur d’Al-Harrif et de Zawgat Ragol Mohem, etc. Ayant l’air nerveux, il me l’a affirmé en me disant qu’il allait tourner un film indépendant du nom de Klefti, et qu’il avait appelé Salah Mareï pour faire partie de l’équipe, mais ce dernier lui a proposé mon nom. Et comme il avait confiance en Mareï, il n’a pas tardé à m’appeler », se rappelle-t-il en toute reconnaissance vis-à-vis de son mentor, àqui il ne cessait de demander conseil. Et ce fut le début d’une phase caractérisée par des va-et-vient entre l’architecture et le cinéma. «Mais le cinéma a touché quelque chose en moi. Et je suis ravi d’avoir obtenu cette opportunité et de l’avoir saisie », avoue-t-il.
Etant architecte, quel ajout au métier du chef décorateur ? «Je ne me classe pas en tant qu’artiste, mais plutôt en ingénieurarchitecte. L’architecture est avant tout un langage et une philosophie qui se traduisent par des espaces où vit l’homme et par lesquels son identité est révélée ». Il résume ainsi en toute simplicitéla mission de l’architecte qui est amenéàpenser des intérieurs, mais avec une dimension plus conceptuelle et technique. Il pense et visualise l’espace de manière générale. Il déplace, casse les cloisons, crée de nouveaux volumes et perspectives. Contrairement au décorateur, l’architecte d’intérieur pense tout l’aménagement et l’ergonomie d’un espace.
Avec 14 films àson actif, dont, entre autres, Ehki ya Schéhérazade, Awlad Rizq 2, Al- Fil Al-Azraq 2 et, récemment, Al-Aref, 3 programmes télévisés, 3 feuilletons télévisés, il ne pense pas, cependant, qu’il y a un travail plus facile ou plus difficile : il y a toujours un récit àtraduire visuellement. Et ce qui compte le plus, pour lui, c’est la qualitédu scénario, de l’écriture qui devrait être extrêmement soignée, travaillée, que ce soit au niveau des personnages ou de l’intrigue.
«Les décors doivent être en accord avec le lieu, mais également avec l’ambiance de la scène. Et ce, afin de créer une bonne atmosphère, sinon le film risque de perdre de crédibilité. L’atmosphère dans un film est créée par le décor pris sous des angles de vue originaux, et également par la mise en valeur grâce aux éclairages. Il ne faut pas oublier que le décor reflète l’état d’esprit des personnages. Les formes et les couleurs donnent un aspect de profondeur ». Une transcription fidèle àl’époque et au lieu de l’action, àl’esprit d’une situation, àla forme d’un drame ou d’une comédie, le décor constitue donc le fond du film : s’il n’est pas authentique, les personnages y évoluent en contradiction avec lui et ne nous convainquent pas. Cette atmosphère donne bien le ton, la qualitéspéciale du sujet dans lequel se situent les personnages en chair et en os. «Dans le cinéma, le décor est mouvant, la caméra en fait le tour, y pénètre, s’en éloigne … Il y a aussi une continuité qui est assurée par le montage : passage naturel et rapide d’un décor à l’autre, etc. La difficulté dans les spectacles, c’est qu’ils sont diffusés en direct, à part quelques scènes pré-filmées », affirme Mohamed Attia.
Bourreau de travail, il adore se lancer dans les grands projets. Travailler jour et nuit, sans avoir de temps libre, lui a fait perdre son talent musical : jouer àl’oud (luth oriental). Sérieux et précis, Attia ne laisse rien au hasard. L’architecte-décorateur fait, toujours, un décryptage de l’espace sur lequel le décor sera implanté. Et ce fut dernièrement le cas avec les deux grands événements fêtés par l’Egypte, àsavoir la Parade royale des momies et la cérémonie de la réouverture de l’Allée des béliers. «La difficulté dans la cérémonie des momies est qu’elle était dynamique : il s’agit de transporter 22 momies de rois et de reines pharaoniques, donc le style pharaonique s’impose forcément, mais aussi nous sommes en 2021 ; donc il fallait absolument rendre visible le temps où nous sommes. Et ce, de manière à faire une sorte d’un bon mariage entre ancienneté et modernité. Non seulement au niveau des véhicules qui transportent les momies, mais aussi les portails décorés aux points de passage », souligne Mohamed Attia, en exprimant àquel point ce n’était pas évident.
Par ailleurs, un travail de recherche et de lecture a précédéla mise en place des croquis et leur exécution. Et àlui d’expliquer : «Alors que le thème de la Parade des momies puise dans le caractère sacré de la mort, celui de la cérémonie de l’Allée des béliers était inspiré d’Opet, l’une des festivités les plus importantes de l’Egypte Ancienne dans laquelle l’allée reliant les temples de Karnak et de Louqsor était utilisée, et où se déroulait cet événement pendant le mois de l’inondation, donc ce qui est lié à la récolte et à la vie ».
Cela étant, trois bateaux dorés symbolisant la triade locale de Thèbes : le dieu Amon, son épouse la déesse Mout et leur fils le dieu Khonsou, auxquels la fête d’Opet était dédiée, flottent sur le Nil. En outre, des voiliers colorés ont étélancés de manière àrefléter l’identitévisuelle de Louqsor, et des carrosses caractérisant la ville étaient présentes également. Les deux événements ont trouvéun grand succès. Mais, comment le concepteur et le superviseur des deux cérémonies les a-t-il jugés ? «En effet, je n’ai jamais été satisfait de mon travail. Je me dis tout le temps que si j’avais plus de temps, j’aurais sans doute pu faire mieux. Le décor est un travail d’équipe, ceci dit, plus on a le temps, plus la coordination se fait au mieux », conclut-il en un vrai perfectionniste.
Jalons
1972 : Naissance au Caire.
1995 : Diplôme des beaux-arts, section d’architecture.
1996 : Chef de projet durant de la réhabilitation du Caire historique, chargé de la partie copte de la ville.
2003 : Supervision technique et conception du décor de Klefti, de Mohamad Khan.
2018 : Prix du meilleur chef décorateur, décerné par le Centre catholique égyptien du cinéma, pour le _lm Al-Asléyine.
2019 : Supervision technique et conception du décor dans Al-Fil Al-Azraq 2 de Marwan Hamed.
Lien court: