A l’école girard d’alexandrie, elle a appris surtout à aimer la vie et à servir les autres. « C’était pour moi un petit coin du paradis. Je me souviens absolument de tout, les professeurs qui nous enseignaient avec passion, les terrains de basket et de football, la bibliothèque, mon lieu favori où j’ai découvert les chefs-d’oeuvre littéraires de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, d’Alphonse Daudet, de Georges Simenon et d’Ernest Hemingway. J’en discutais avec soeur Nicole qui me guidait et me proposait d’autres ouvrages à lire. Que son âme repose en paix. Puis, il y avait les cours de vie avec soeur Ursula, qui nous apprenait à apprécier la beauté en tout et à savourer les petits bonheurs », se souvient Yasmine Haggag, maître de conférences à la faculté des lettres de l’Université d’Alexandrie. Elle se rappelle également comment les religieuses l’ont aidée, tout comme ses camarades de classe, à surmonter la crise de l’adolescence, à être fières de leur féminité, en leur assurant qu’être femme ne doit pas les empêcher de s’épanouir et de poursuivre leurs rêves jusqu’au bout.
Passionnée de littérature et d’histoire, elle a tout de suite opté pour la section littéraire durant le cycle secondaire, alors que d’autres parmi ses amies ont trouvé que la section sciences était plus prestigieuse. « Je n’ai jamais plié mes propres désirs à ce que la société dicte. C’est ce que je conseille d’ailleurs à tous les jeunes: ne jamais mettre de côté leurs passions, pour ne pas finir par exercer un travail qu’on n’aime pas. Il ne faut jamais se laisser influencer par les autres », confirme-t-elle.
Vivant avec sa grand-mère, cette dernière n’exerçait aucune pression sur elle et la laissait suivre son coeur. Ainsi, elle a dû choisir de faire des études de lettres françaises, bien qu’elle ait obtenu un très bon pourcentage au bac, lui permettant d’être admise à des facultés plus élitistes. Ses études de lettres françaises lui ont donné la chance de développer son esprit critique et de s’ouvrir sur les autres cultures. Indépendamment de l’apport cognitif, elles ont formé sa personnalité. « Je n’ai presque pas raté d’activités culturelles ou sociales durant mes années d’études. Je conseille toujours à mes étudiants de chercher au-delà des mots, de partir à la quête de soi, pour ne pas sombrer dans la monotonie et la routine. Et les années universitaires sont le meilleur moment pour ce faire, car on n’a pas d’autres responsabilités. C’est ainsi qu’on arrive au sentiment de plénitude », signale Haggag, qui a terminé ses études avec la mention excellent et a remporté la coupe de « l’étudiante exemplaire ». Elle a été également deux fois finaliste du prix du Jeune écrivain, parmi une moyenne de 500 candidatures dont, pour la plupart, le français était la langue maternelle. « J’ai essayé quelques emplois avant d’être nommée assistante au département de langue et de littérature françaises à la faculté des lettres de l’Université d’Alexandrie; et avec le temps, j’aime de plus en plus mon métier, malgré des périodes de doute. Je peux dire que je ne regrette pas mes choix. Le travail à l’université est une formation continue, car il n’y a jamais de limite à la connaissance ». En 2014, elle a obtenu son master en études cinématographiques et culturelles. Et, en 2017, son doctorat portant toujours sur l’impact de l’image en société. Elle a pu ainsi se pencher davantage sur le mythe de sa ville natale, Alexandrie, à travers les images véhiculées dans la presse francophone d’Egypte des années 1920 et 1930.
Elle a pu collaborer avec des professeurs éminents d’universités égyptiennes et françaises, et a travaillé notamment en effectuant sa thèse avec l’archéologue et helléniste français Jean-Yves Empereur et Marie-Delphine Martellière, responsable des ressources documentaires au Centre d’études alexandrines. Celui-ci donne accès à d’importantes études sur l’histoire et l’archéologie d’Alexandrie à travers les âges, mais aussi possède les meilleures archives sur la presse francophone d’Egypte. « En 2012, j’ai bénéficié de ma première bourse de formation de professeurs, en Franche-Comté en France. L’expérience a été si édifiante qu’elle a été suivie de plusieurs autres. En 2015, j’ai effectué un séjour de documentation doctorale à la Sorbonne. En 2015, j’ai participé au Forum international de la langue française en Belgique où j’ai présenté un projet collectif sur l’enseignement de la langue française. En 2017 et 2018, je suis partie rejoindre l’initiative Libres Ensemble de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). En 2019, j’ai bénéficié d’une bourse en Espagne pour enseigner l’espagnol comme langue étrangère. Et aussi d’une bourse à Paris pour poursuivre mes recherches postdoctorales. J’ai également eu la chance de travailler comme interprète et professeur bénévole de langue étrangère au plus grand camp de réfugiés en Europe, à Lesbos en Grèce ». Ces multiples voyages, mais surtout cette dernière expérience, ont largement contribué à changer sa vision du monde. Partout, en Italie, en Grèce, en Autriche, elle essaye de s’intégrer dans la culture du pays, de mieux connaître la société. « Les voyages touristiques superficiels ne signifient pas grand-chose. Il est indispensable en voyageant de comprendre à fond l’histoire et la culture de tout ce qu’on voit pour saisir le sens caché du monde. Une pierre n’est qu’une pierre jusqu’à ce qu’on comprenne son histoire, alors elle peut devenir tout un univers et elle n’est plus la même à nos yeux », dit-elle.
Yasmine Haggag suit de près tout ce qui concerne la francophonie depuis ses années d’étude. Elle était en première année quand elle a participé pour la première fois à l’organisation d’un colloque international sur le savoir et les cultures francophones à Alexandrie, en présence de S.E. M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF. En 2015, puis notamment en 2017, elle a eu la chance et le plaisir de participer de nouveau aux actions de l’OIF, ayant été sélectionnée pour prendre part à la caravane maritime de l’Atlantique en Méditerranée, faisant le trajet de Marseille à Bastia pour célébrer les valeurs du vivre ensemble à travers une expérience unique de cohabitation et d’échange culturel.
Pendant 15 jours, après une formation à la navigation à Rochefort, elle a fait partie de l’équipage de l’Hermione, une frégate-réplique de celle du général Lafayette au XVIIIe siècle, et elle a navigué au nom de la liberté et de la paix en mer Méditerranée, devenue depuis quelque temps « un cimetière » à cause des drames des migrants clandestins. De retour, elle a animé des ateliers « Libres Ensemble » en Egypte pour partager son expérience et essayer d’apprendre aux jeunes à aller de l’avant, en dépassant les différences et les conflits.
L’appui de l’Université Senghor, représentée par son recteur Thierry Verdel, a été un grand atout pour pouvoir faire vivre l’activité qui attire beaucoup de participants. « J’essaye d’élargir les horizons des étudiants afin de les aider à devenir des citoyens actifs et engagés. Je voudrais qu’ils puissent sortir de l’enfermement que peut entraîner le peu d’ouverture d’esprit et de connaissance. C’est ainsi que j’essaye de les encourager à retrouver leurs passions et à les mettre en application. Depuis 3 ans, j’ai créé le VOX Lab pour aider les apprenants à améliorer leurs compétences orales en langue française à travers la réalisation de projets audiovisuels motivants », précise Yasmine Haggag. Et d’ajouter: « Nos projets de doublage attirent de plus en plus d’étudiants. Même les diplômés reviennent à l’université parce qu’ils souhaitent y participer. Malgré le temps et l’effort que nécessitent ces projets, ce qui me pousse à continuer c’est leur effet sur les étudiants. L’année passée, j’ai intégré au cursus un programme d’étude du patrimoine où nous nous sommes amusés à étudier l’histoire de la ville d’Alexandrie, tout en visitant les sites archéologiques. Grâce au soutien de M. Thierry Perret, directeur de l’Institut français, on était sur le point de préparer des parcours touristiques sur les pas des écrivains de la ville. Malheureusement, tout a été suspendu à cause de la pandémie. Mais nous espérons pouvoir reprendre bientôt ».
Le charme d’Alexandrie et la particularité de son histoire sont une source intarissable d’inspiration pour tous ceux qui y ont vécu. Et la maître de conférences en fait sans doute partie. Elle ne cesse de s’adresser à ses étudiants pour les motiver à réaliser leurs rêves: « Malgré tant de crises, le monde est plein de beauté. Pour moi, la nature, l’art et la dimension spirituelle de la vie sont l’essence du bonheur, au-delà des banalités du quotidien et de la matérialité. Je suis moi-même pianiste et j’ai longtemps pratiqué la danse. J’adore la peinture. Souvent, une belle musique, un beau livre, un tableau ont la capacité de me transporter dans un monde parallèle d’où je reviens inspirée pour essayer de changer le monde. Ceci provient d’actes simples. On peut planter un arbre et changer le monde. Sourire et changer le monde. Quoi que soit la dimension du changement, nos petits efforts pour réaliser nos rêves se cumulent et c’est ainsi que la vie, malgré les difficultés, peut devenir meilleure ». Voilà ce qu’elle essaye de transmettre aux jeunes étudiants; elle leur apprend surtout à garder l’enthousiasme malgré les défis, à croire en soi et à vivre heureux .
Jalons
… : Naissance à Alexandrie.
2014 : Master en études cinématographiques et culturelles de l'Université d’Alexandrie.
2015 : Participation au Forum international de la langue française en Belgique.
2017 : Doctorat sur le mythe d’Alexandrie à travers les images de la presse francophone de l'Université d’Alexandrie. Maître de conférences à la faculté des lettres.
2017-2018 : Participation à l’initiative Libres Ensemble de l’OIF.
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