Lundi, 11 décembre 2023
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Un architecte amoureux de l’Egypte

Naguib Mahfouz Naguib, Mardi, 24 mars 2020

Même après plus de 60 ans de carrière, Mohsen Zahran, architecte, ex-doyen de la faculté d’architecture et de design urbain de l’Université arabe de Beyrouth, ex-chef du département d’architecture à la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie et initiateur de la construction de la Bibliothèque d’Alexandrie, reste un homme passionné par son travail académique et ses projets au service du pays.

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C’est avec un sourire chaleureux et une voix au ton bas que l’architecte, ex-doyen de la faculté d’architecture et de design urbain de l’Université arabe de Beyrouth et ex-chef du département d’architecture à la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie, Dr Mohsen Zahran, commence à parler. Il nous emmène dans un voyage plein de souvenirs et riche en détails, lors duquel il se souvient des moments qui ont marqué non seulement sa propre vie, mais également celle de sa bien-aimée: l’Egypte, son amour éternel.

Après avoir obtenu son diplôme d’architecture de la faculté polytechnique de l’Université de Aïn-Chams en 1958, Mohsen Zahran s’est rendu aux Etats-Unis, où il a obtenu une maîtrise en architecture et design urbain de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), à Boston, en 1961, puis effectué un doctorat en planification environnementale des établissements humains à l’Université de Princeton, terminé en 1965. « Une fois mes études achevées aux Etats-Unis, j’ai enseigné à l’Université de Columbia et, en même temps, j’ai rejoint un bureau d’ingénierie, où j’ai travaillé comme architecte et designer. C’était un bureau renommé, appelé SKIDMORE, OWINGS & MERRILL (SOM), et qui m’a permis d’acquérir une grande expérience pratique. Ensuite, en 1966, je suis retourné en Egypte pour commencer à enseigner à la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie », raconte Zahran.

Quelques années plus tard, il a été assigné pour enseigner à l’Université arabe de Beyrouth, qui était affiliée à l’Université d’Alexandrie à cette époque. Devenu professeur, Zahran a aussi été nommé doyen de la faculté d’architecture et de design urbain de cette université de 1978 à 1982. Puis, plus tard, il est devenu chef du département d’architecture de la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie (1994-1998).

Zahran a activement participé aux processus de planification urbaine globale et de développement urbain du gouvernorat d’Alexandrie. En 1982, en tant que professeur de design et de planification urbaine, il a participé, avec le chef du département d’architecture de la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie, aux projets de planification de la ville d’Alexandrie. Après six mois, il est devenu responsable de l’Organisme de la planification globale, établi sur la base d’un contrat entre l’Université d’Alexandrie et le gouvernorat d’Alexandrie. Il s’agit d’un dispositif qui rassemble l’expertise des professeurs d’universités et des cadres de la province, dans le but de créer un lien entre l’université et la société, et d’être des partenaires dans la prise des décisions. « Quand j’étais chef de l’Organisme de planification globale, j’ai réalisé des projets de la plus haute priorité dans le domaine des infrastructures et des routes. Et lorsque le travail dans l’organisme a pris fin, je suis devenu responsable d’un nouvel organisme, appelé Organisme de suivi de la mise en oeuvre de la planification globale, car le processus de planification est un processus continu, qui a toujours besoin d’un suivi. Les gens se trouvent dans un état de mouvement et de changement de leur lieu, et la planification doit aller dans le sens de leurs besoins, qui sont en évolution permanente », explique l’architecte.

Etant donné le travail remarquable de Zahran dans le domaine de la planification, le président de l’Université d’Alexandrie lui a confié le dossier de l’achat du bâtiment du Consulat britannique, situé à la station Al-Raml, le consulat ayant déménagé dans un nouveau siège à Kafr Abdo. Les pouvoirs de président de l’université lui ont été conférés pour cette mission. Zahran s’est ainsi rendu au Consulat d’Angleterre. « J’ai dit au consul: Le terrain du Consulat britannique vous a été accordé par le gouvernement égyptien pour y construire le bâtiment du consulat. Il ne vous appartient pas. Il m’a répondu: Mais nous avons construit le bâtiment du consulat dessus. Je lui ai alors dit: Mais le terrain ne vous appartient pas. Vous vendez ce que vous ne possédez pas. J’ai continué à négocier avec lui sur la question et finalement, je lui ai dit: Puisque l’Etat égyptien vous a conféré le terrain, vous lui rendez également le terrain, parce que l’université l’utilisera à des fins éducatives et non commerciales. Vous ferez ainsi quelque chose de bien pour le pays. Finalement, j’ai réussi à le convaincre et le prix du bâtiment a été évalué à 2 millions de L.E., alors que le consulat avait voulu le vendre à des hommes d’affaires pour 12 millions de L.E. », raconte Zahran. Et de poursuivre: « Le contrat a été signé par le consul d’Angleterre et le président de l’Université d’Alexandrie. On a ainsi reçu le terrain et on a demandé au directeur des bâtiments de l’université de hisser le drapeau égyptien sur le consulat. Le consul était présent et, quand il a vu le drapeau, il m’a regardé et m’a dit : You have done it, you have done it», se souvient Zahran.

Le terrain a ensuite accueilli le projet de création de la Bibliothèque d’Alexandrie. Des communications ont eu lieu avec l’Unesco, qui a estimé que le projet ne devait pas être la création d’une bibliothèque pour l’Université d’Alexandrie, mais plutôt une renaissance de l’ancienne Bibliothèque d’Alexandrie. « L’idée était de faire revivre le rôle de l’ancienne Bibliothèque d’Alexandrie et non la forme, ce qui signifiait poursuivre l’excellence dans la science et la connaissance », explique l’architecte.

Pour Zahran, il était nécessaire que l’Unesco ait personnellement adopté le projet de renaissance de l’ancienne Bibliothèque d’Alexandrie, puisque le monde occidental sait qu’il a hérité les sciences et les connaissances qu’il possède notamment des érudits de cette ancienne bibliothèque. Il a toujours dit: « La Bibliothèque d’Alexandrie est la fenêtre de l’Egypte sur le monde et la fenêtre du monde sur l’Egypte ». Le président de l’université a chargé Zahran de concevoir la bibliothèque en tant que professeur d’architecture, mais celui-ci a préféré organiser un concours mondial sous la supervision de l’Unesco, afin d’attirer l’attention du monde sur le projet.

Un jury international a ainsi été formé, dont Zahran a été l’un des membres. « Etant donné que le projet était international, les documents du concours ont intéressé 1 300 bureaux d’ingénierie de 77 pays. Au final, 450 bureaux de 44 pays ont participé. Le design architectural choisi était d’origine norvégienne », relate Zahran. Et d’ajouter que l’Etat a ensuite créé 2 comités de projet : un comité international et un comité exécutif. Le comité international était dirigé par Mme Suzanne Moubarak, épouse de l’ancien président Mohamad Hosni Moubarak, et ses membres étaient des personnalités de plusieurs pays tels la France, l’Angleterre, l’Italie, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et les Emirats. « Le comité exécutif était, lui, dirigé par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et formé de personnalités d’Alexandrie et du Caire, afin de garantir la dimension nationale. Il y avait notamment le président de l’Université d’Alexandrie et le gouverneur d’Alexandrie ainsi que des intellectuels, des écrivains et des journalistes ».

Pendant les étapes de construction de la bibliothèque, Mohsen Zahran a entamé l’acquisition des livres ainsi que la recherche de personnel. Il a ainsi contacté des éditeurs par le biais du Salon international du livre du Caire en Egypte et du Salon international du livre de Francfort en Allemagne. Certains intellectuels et hommes d’affaires ont aussi présenté des offres de leur bibliothèque personnelle. Par ailleurs, Zahran a supervisé la formation d’un certain nombre de bibliothécaires aux normes internationales grâce à des bourses de formation aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Italie, en Espagne et en Angleterre. Il a en outre créé des associations pour les amis de la bibliothèque (18 associations) du monde entier, afin qu’ils se réunissent chaque année en Egypte pour apporter leur soutien en nature et en matériel.

En mars 2001, après de longues années d’efforts et de don de soi sincère, Zahran a présenté sa démission et a quitté la bibliothèque. « Je suis redevenu professeur d’architecture à l’Université d’Alexandrie », dit-il. En remerciement et hommage pour son travail, Zahran a reçu de nombreux prix internationaux et nationaux, y compris l’Ordre d’excellence du premier degré d’Egypte pour son travail de planification du gouvernorat d’Alexandrie, ainsi que l’Ordre du mérite français pour son travail en lien avec la Bibliothèque d’Alexandrie et le Prix d’appréciation de l’Etat. Sur le mur de son bureau sont aussi accrochés de nombreux certificats d’appréciation, décernés notamment par l’Université d’Alexandrie, l’Association des architectes égyptiens et différentes institutions internationales et nationales.

Après ce long parcours plein de passion et de dévouement pour le travail académique qui se poursuit jusqu’à nos jours, le professeur d’université parle avec un certain regret de la réalité de la jeunesse d’aujourd’hui, disant : « Je pense que les valeurs de loyauté et de don de soi se sont affaiblies. Or, on a besoin de cet esprit et de ces valeurs que vous ne pouvez pas acheter, parce qu’ils sont basés sur l’éducation. L’amour ne se cultive pas et ne s’apprend pas, l’amour est acquis et donné. Et cela commence par l’éducation. Construire une personne est difficile et commence par la famille. La famille doit remplir son rôle et la société est obligée de faire son devoir. Les patries dépendent de leurs fils » l

Jalons :

Naissance à Alexandrie.

1958 : Diplôme de la faculté polytechnique de Aïn-Chams.

1978 : Doyen de la faculté d’architecture et de design urbain de l’Université arabe de Beyrouth.

1994 : Chef du département d’architecture de la faculté polytechnique de l’Université d’Alexandrie.

2009 : Prix d’appréciation de l’Etat.

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