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Karima Mansour : Maât danse toujours

May Sélim, Dimanche, 08 décembre 2019

Chorégraphe, danseuse et directrice du Centre du Caire de Danse Contemporaine (CCDC), l’Egyptienne Karima Mansour fête le 20e anniversaire de sa troupe de danse Maât.

Karima Mansour
(Photo:Bassam Al-Zoghby)

15h. Elle vient de ter­miner le cours qu’elle donne aux jeunes danseurs du Centre du Caire de Danse Contemporaine (CCDC), à Mohandessine. Un petit moment de repos durant lequel elle bavarde avec son équipe et fait des câlins à son chien Zolo. Puis, elle reprend rapide­ment le travail, notamment la prépara­tion de la programmation célébrant les 20 ans de sa troupe de danse contem­poraine, Maât. Deux semaines de fête du 7 au 21 décembre.

« Il s’agit d’une belle occasion pour les étudiants du CCDC de montrer leurs créations au théâtre Al-Falaki», indique Karima Mansour, soulignant que des confé­rences et des rencontres auront pour but de mieux faire connaître la danse contemporaine au grand public. En outre, une coopération est prévue avec les espaces indépen­dants Cimathèque et Medrar afin de projeter des extraits des créations de Maât, réalisés ces 20 dernières années. Toute personne intéressée pourra aussi participer à des cours de danse gratuits, offerts par les enseignants du centre, toute la jour­née du 14 décembre, dans les locaux du CCDC et le 21 décembre au B-Hub à Al-Tagammoa, dans le Nouveau Caire.

Dans les salles de cours, Karima se sent comme chez elle, entourée de ses étudiants qu’elle considère comme sa grande famille. Ses che­veux noirs et ses grands yeux ne sont pas sans rappeler les traits des femmes de l’Egypte Ancienne. D’une certaine manière, elles sont sa source d’inspiration. D’où le nom qu’elle a donné à sa troupe dès sa fondation : Maât, la déesse de l’équité, de l’équilibre du monde, de la vérité et de la justice dans la mythologie égyptienne.

Mansour aspire à cet équilibre dans ses chorégraphies, dans les mouve­ments, mais aussi dans la vie. « Depuis deux ans, nous travaillons avec des associations civiles ciblant les jeunes et les enfants des milieux défavorisés, telles Banaty, Ana Al-Masry, Face et Agouza Girls Home. On essaye de les aider à surmonter leurs traumas par le biais de la danse. Ainsi, les enfants peuvent mieux comprendre les limites de leurs corps, respecter ceux des autres ». Ces groupes vont donner, le 13 décembre au théâtre Al-Falaki, quatre spectacles conçus par des cho­régraphes diplômés du CCDC. « Un boulever­sement pour ces jeunes qui se produisent sur scène pour la première fois », annonce-t-elle avec les yeux qui brillent. Karima pense instaurer ainsi, à sa manière, la justice et l’équité sociale. Elle en est fière. « Le fait de changer quelqu’un pour le mieux me donne satisfaction », ajoute-t-elle.

Ses spectacles attirent souvent un public averti. Elle défend la danse contemporaine face aux clichés et tente de la rapprocher des gens. « En Egypte, on entend souvent répéter des clichés du genre : la danse contemporaine est étrangère à notre société. C’est un art occidental, etc. Or, si on remonte dans l’Histoire, on découvre que la danse était repré­sentée sur les murs des temples pha­raoniques. La danse faisait partie de la vie de l’Egypte Ancienne. Et même aujourd’hui, dans les mariages, les anniversaires, dès que les gens entendent la musique, ils se mettent à bouger. La danse contemporaine a sans doute ses techniques, ses règles et son langage propre, mais elle s’inspire toujours des mouvements du quotidien, d’où son originalité » estime-t-elle.

La petite Karima a commencé à danser dès l’âge de 5 ans. C’est sa vocation innée. « Durant mon enfance, la famille était installée à l’étranger. Mes parents m'ont encou­ragée à pratiquer la danse », raconte la chorégraphe.

De retour au Caire après le bacca­lauréat, elle a cherché partout à faire de la danse contemporaine de manière plus profes­sionnelle. « J’avais très envie d’apprendre, de mieux comprendre, mais malheureuse­ment, ce genre d’études n’existait pas en Egypte. J’ai alors rejoint l’Institut du cinéma, et en même temps, j’ai suivi le cur­riculum de lettres anglaises. Le monde du cinéma m’a fasci­née, surtout que j’avais d’excellents professeurs, dont Salah Qonsouah, Rafiq Al-Sabbane et Mohamad Kamel Al-Qalioubi. Petit à petit, j’ai abandonné la faculté des lettres ».

Elle n’a cependant jamais aban­donné ses cours de danse. De temps en temps, elle suivait des ateliers de formation, animés par des choré­graphes et des danseurs étrangers de passage à l’Opéra du Caire. « A Chaque fois que j’assistais à un spectacle de danse à l’Opéra, je m’infiltrais dans les coulisses pour rencontrer les danseurs, choré­graphes et les metteurs en scène. Je leur demandais d’assister aux répé­titions », se rappelle-t-elle.

Un jour, ce fut le grand boulever­sement. L’Opéra du Caire avait invi­té la troupe de Renato Greco. Comme d’habitude, la jeune femme friande de danse se montre pendant les répétitions. Vers la fin, le choré­graphe italien de renom lui dit : « J’ai une école en Italie. Si un jour vous passez par là-bas, venez nous rejoindre ». Ces mots lui ont ouvert la vraie voie professionnelle. Car à l’époque, le ministère égyptien de la Culture offrait aux jeunes des bourses pour étudier l’italien à l’Académie égyptienne à Rome.

Elle décide alors de poser sa candi­dature pour une bourse de trois mois, avec en tête, sans doute, l’idée de rejoindre l’école de Greco.

Deux ans passés en Italie ont été suivis par cinq ans en Angleterre. Karima Mansour explique: « Avant mon séjour en Italie, j’avais l’habi­tude de passer, chaque été, un mois d’atelier en Angleterre, à la London Contemporary Dance School. Après avoir terminé mes études en Italie, j’ai appris que l’école anglaise tenait un ate­lier là-bas, alors je l’ai suivi et j’ai passé aussi le test d’admission à l’école. Un mois plus tard, je me suis rendue en Angleterre pour poursuivre mes études de danse. J’ai juste appelé mes parents, pour les informer de mon départ pour l’An­gleterre ».

Pendant sept ans, Karima Mansour a étu­dié de manière intense les différentes techniques de la danse contempo­raine. « Pour gagner ma vie, je tra­vaillais comme caméra-woman au théâtre de l’école de danse. Il fallait profiter quand même de mes études cinématographiques au Caire », dit-elle en riant. Et d'ajouter: « Je tra­vaillais, je suivais des cours de danse pendant 8 heures par jour et je passais des audition parce que j’étais avide de danser. Au bout, j’étais épuisée, je ne pouvais plus continuer ainsi. Après avoir terminé mon master, je suis rentrée en Egypte ».

Aujourd’hui, regrette-t-elle cette décision ? Non, bien au contraire. Malgré le choc de retourner dans un pays où la danse contemporaine était quand même à ses débuts sur le plan professionnel, elle a insisté pour s’y mettre.

Au départ, elle fut embauchée pour entraîner la compagnie égyptienne de danse-théâtre, entre 1999 et 2001 ; elle était professeure assis­tante à l’Institut du Ballet, auprès de l’Académie des arts. « Je cherchais à tout prix à danser et à créer un spectacle. Et pour ce faire, j’ai dû fonder ma troupe Maât et donner mon premier spectacle en Egypte : Tarwid (apprivoisement) ».

Depuis, elle a multiplié les choré­graphies, affrontant tant d’obstacles. « Je cherchais des lieux de répéti­tions, un théâtre sur lequel je pou­vais danser, des danseurs profes­sionnels, des subventions financières afin de payer l’équipe, etc. c’était la guerre ». Toutes ces difficultés l’ont incitée à fonder une école et un espace dédiés à la danse contempo­raine. « En travaillant à l’Académie des arts, j’avais même proposé l’idée d’un projet d’une école de danse contemporaine au président de l’académie à l’époque, le professeur Fawzi Fahmi ». Malgré son encoura­gement, le temps n’était pas propice à un tel projet. Ce rêve n’est donc devenu réalité qu’en 2011. « Le ministre de la Culture au lendemain de la Révolution, Emad Abou-Ghazi, a approuvé mon projet, soutenu par le Fonds du développement culturel ainsi que par des institutions et des formateurs étrangers. Le centre a été inauguré en 2012. Au bout de deux ans, il était évident que le Fonds ne pouvait plus fournir de soutien maté­riel nécessaire à la survie du pro­jet ». Il était donc nécessaire de revenir au statut « d’indépendant », loin des auspices du ministère.

Et pour continuer d’exister, Karima Mansour a tout sacrifié pour préserver son centre de forma­tion et trouver une aide financière. « Malgré tant de hauts et de bas, de menaces et de soucis, cet espace a survécu. J’ai tou­jours pensé à mes étu­diants et à mes colla­borateurs », affirme Karima, en faisant remarquer les pro­blèmes qu’elle a affrontés en 2016, en montant son solo Who Said Anything About Dance ? En tant que chorégraphe indépendante, les documents qu’elle présentait aux donateurs exigeaient beaucoup de travail. « Le choré­graphe français olivier Dubois m’a proposé de produire l’un de mes spectacles. Au départ, je n’étais pas intéressée, car plutôt occupée par la préparation des documents pour recevoir les subventions nécessaires au centre. De plus, je ne pouvais pas créer un spectacle sans être vraiment hantée par une idée pré­cise. Puis d’un coup j’en ai trou­vé », conclut Karima, qui tient à son école, à sa troupe, comme à la pru­nelle de ses yeux. Elle aime confier au public sa vie au quotidien, en dansant avec un zeste d’humour .

Jalons :

17 août … : Naissance au Caire.
1991 : Départ en Italie pour étudier la danse contemporaine.
1999 : Fondation de sa troupe Maât et lancement de son premier
spectacle Tarwid (apprivoisement).
2012 : Création du Centre du Caire de Danse Contemporaine (CCDC).
2016 : Spectacle Who Said Anything About Dance ?

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