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Adel Boulad : L’enfant terrible de la danse du bâton

Loula Lahham, Lundi, 03 juillet 2017

Il est le parrain du tahtib moderne, la fameuse danse égyptienne du bâton. Docteur en sciences physiques, Adel Boulad consacre sa vie à cet art martial inscrit au patrimoine de l’humanité par l’Unesco depuis le 30 novembre 2016.

Adel Boulad

Par sa mère, Adel est issu d’une famille de la ville d’Assiout en Haute-Egypte. Par son père, il est issu de la bourgeoisie syrienne com­posée de familles installées au Caire et à Alexandrie à la fin du XIXe siècle, après les massacres historiques de Damas en 1860. En effet, au Moyen-âge, les Boulad étaient spécialisés dans la fabrication des lames d’acier qui firent leur fortune, puis à partir du XVIe siècle, ils s’adonnèrent au grand commerce de soieries à Damas. Installée à la fin du XIXe au Caire et à Alexandrie, cette grande famille a ensuite donné à l’Egypte des indus­triels dans le coton, des entrepreneurs, des avocats et de hauts fonctionnaires.

Enfant énergique, dynamique, voire même « terrible », Adel Boulad part à l’âge de 5 ans de Port-Saïd, sur le Canal de Suez, vers la ville d’Assiout en Haute-Egypte (350 km au sud du Caire), parce que les Anglais, avec les Français et les Israéliens, y avaient débarqué pour recoloniser l’Egypte en 1956. Au début des années 1970, il quitte pour la France afin de continuer ses études supérieures, se spécialise en sciences physiques, déniche ensuite un doctorat, tout en n’oubliant pas d’approfondir sa passion pour les sports de combat. Il pratique avec ferveur le karaté, le judo et l’aïkido, obtient ses ceintures noires et les enseigne, parallèlement à son travail dans le monde des affaires.

En France, Adel Boulad mène des recherches sur l’uranium, le thorium et leurs isotopes dans les carottes du Bassin angolais, mais aussi sur la vitesse d’accrétion des nodules de manganèse des fonds océaniques. Mais il s’intéresse aussi, et surtout, aux arts martiaux. Il devient profes­seur d’Etat d’arts martiaux en 1975. Ensuite, il met sa passion en pratique en créant, en 1978 à Paris, l’associa­tion sportive Seiza, dédiée catégori­quement aux arts martiaux. « Probablement, elle est l’une des plus anciennes associations de ce type à Paris. Cette association s’affilie à la Fédération française de karaté et d’arts martiaux. Seiza a pour vocation initiale la pratique pluridiscipli­naire des arts martiaux, notamment les disci­plines japonaises », dit Adel Boulad, qui a encadré pendant plu­sieurs années la section karaté de l’Association sportive de l’Université Paris 7, avec plus de 400 adhérents par an.

Et de 1978 à 2001, il a été manager d’équipes opérationnelles multiculturelles dans la hi-tech (chez Digital Equipment Corporation, Compaq et Cisco Systems). Quand Adel revient en Egypte pour des visites familiales, il rencontre curieusement les grands maîtres du tahtib, et décide d’utiliser le bâton en bois d’une autre manière et pour une autre fin : « J’ai repris le bâton que mon oncle m’avait offert il y a 30 ans. Et dans les sessions de formation de leaders, j’utilisais les rythmes de la tabla (percussion égyp­tienne) et le bâton pour faire fondre la glace qui existait entre les partici­pants. Le manque de confiance en soi, le retrait et les inhibitions disparais­saient et s’installaient à leur place des visions communes, un partage fécond et une solidarité ».

Mais comprenons d’abord ce qu’est le tahtib. « L’art du tahtib est un art martial du bâton. Ce bâton est en bois, et le sens du mot tahtib signi­fie littéralement jouer avec un bâton en bois », dit Adel Boulad. C’est un art égyptien ancestral d’accomplisse­ment physique et men­tal de l’homme. « Tout au long des 5 000 ans de l’histoire de l’Egypte, cet art mar­tial est devenu festif et participatif. Ses règles et ses codes en tant qu’art martial sont décrits sur les gra­vures trouvées sur le site archéologique d’Abou-Sir (Ve dyn., 2800 av. J.-C.). Sa représentation festive est visible au Nouvel Empire (1500-1000 av. J.-C.) sur les murs des temples et des tombes de Louqsor et de Saqqara », poursuit-il.

Cependant, Adel Boulad insiste sur le fait que « l’art du tahtib est au-delà d’une technique d'autodéfense. En fait, sa pratique développe un com­portement approprié et efficace, une approche physique et mentale qui permet de régler pacifiquement des situations de conflits. L’art du tahtib apporte également une capacité de qualification des menaces, des risques, des opportunités. Il apporte aussi un sens concret à propos de la distance de sauvegarde, de la psycho­logie de l’autre, de la force et du contrôle qui, en fin de compte, aboutit à une relation pacifiée ».

Or, le tahtib moderne n’est plus un combat violent entre deux hommes comme dans l’histoire. Il est devenu un sport pratiqué avec des règles nou­velles qui apportent aux jouteurs et au public une énergie positive et harmo­nieuse. Avec ce grand changement dans la technique du jeu, Boulad orga­nise en 2007 la première session de formation au tahtib moderne dans la ville de Minya, en Haute-Egypte (240 km au sud du Caire). Puis le premier festival des sports de combat à Paris en 2010, avec une équipe franco-égyptienne composée de 25 per­sonnes, dont 3 femmes. Une première pour cet art ancestral consacré durant des siècles uniquement aux hommes.

En 2012, plusieurs manifestations culturelles sont tenues dans l’enceinte du Louvre et à l’Institut du monde arabe à Paris, avec le concours de 12 jouteurs égyptiens, venus spéciale­ment pour l’occasion. Pour le rendre accessible dans le monde urbain et moderne, Boulad actualise sa méthode de transmis­sion. Le 25 septembre 2013, le ministère du Sport lui donne mandat de déve­lopper le tahtib comme discipline sportive en Egypte, mais sans budget ni ressources. C’est alors que Boulad conçoit et dif­fuse en français et en arabe le livre Art du tahtib — Manuel de l’instructeur et l’élève.

Puis, il publie son livre Modern Tahtib — bâton de combat égyptien, en vente chez Amazon.com et partout dans le monde. En fait, ce livre est le résultat de l’actualisation de cet art qui s’est transmis sous la forme d’un art festif dans les villages égyptiens, aujourd’hui. Boulad explique l’im­portance de son livre : « Plus de 5 000 ans après les premières trans­criptions de cet art, il s’est modernisé pour répondre aux besoins requis d’un art pacifique. Aujourd’hui, le jeu se compose de mouvements et de joutes (combats) exécutés à l’aide d’un bâton en rotin de 1,30 mètre de long dans une ambiance festive et martiale (comme la capoeira) orches­trée par les musiciens et le public ». Le livre inclut plus de 2 000 photos et près de 200 dessins de scènes de com­bat, présente 70 techniques martiales dont 20 feintes. Il présente aussi une bibliographie et des références histo­riques couvrant 5 millénaires (jusqu’à 2600 av. J.-C.).

Boulad explique encore : « Cet ouvrage bilingue français-anglais s’adresse aux débutants comme aux enseignants qui y trouveront un guide d’apprentissage, mais également aux curieux s’intéressant à de nouvelles disciplines martiales, à la culture égyptienne, sans oublier les choré­graphes et les danseurs qui pourront s’en inspirer ».

Et en vue de reconnaître cet art au niveau culturel mondial, le dossier numéro 922 fut alors minutieusement préparé. Il renferme l’historique du jeu, sa description, ses règles, ses nouveautés, ses pratiques, ses cours et ses stages. « La demande était d’inclure le tahtib, le jeu de bâton égyptien, dans la liste de l’héritage culturel immatériel de l’humanité. Le dossier a été accepté et le certificat d’accréditation a été signé par Mme Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, en personne ». C’était le 30 novembre 2016, au cours de l’As­semblée générale de cette Organisation internationale tenue à Addis-Abeba, après un parcours laborieux que Adel Boulad a conduit pendant 5 ans. Il continue : « Avec l’inscription à l’Unesco, le dévelop­pement du tahtib devient une respon­sabilité de l’Etat égyptien. Pour maintenir cet art martial sur la liste du patrimoine culturel immatériel, le gouvernement égyptien devra, en l’espace de deux ans, déployer des efforts sur les sujets qui ont convain­cu la commission de l’Unesco de l’importance de sa reconnaissance. A savoir, l’expansion du tahtib dans les villes, son ouverture aux femmes et sa pacification ».

Le 19 février 2017, le ministère égyptien de la Jeunesse et du Sport lui a donné un mandat général auprès des centres de jeunesse et des clubs sportifs. En mars 2017, et tel qu’ins­crit dans le dossier de l’Unesco, Boulad procède à la certification des pre­miers instructeurs du tahtib moderne qu’il a formés, dont la 1re Egyptienne, Rania Medhat. Le jury est com­posé de 6 membres, dont les maîtres de la danse du bâton, Saad Salem de Sohag et Radwan Mansour de Louqsor.

Le 14 mai 2017, sous le haut patro­nage de Florence Berthout, maire de Paris Ve, Boulad organise le 1er tour­noi du tahtib moderne avec 7 équipes en compétition pour 4 coupes : Duel Libre, Tashkila, Joute Codifiée, Combat 360, etc. Pour le public égyptien, le 1er tournoi du tahtib moderne d’Egypte a eu lieu au Caire en ce début de juillet prochain avec 12 équipes en compétition. A 66 ans, Adel Boulad paraît toujours jeune et parfaitement en forme .

Jalons :

1951 : Naissance à Ismaïliya, en Egypte.
1975 : Doctorat en sciences physiques, de l'Université de Paris VII.
2001 : Création de PLI, cabinet de coaching opérationnel de dirigeants.
2013 : Le ministère égyptien du Sport lui donne mandat de développer le tahtib comme discipline sportive, mais sans budget ni ressources.
2014 : Publication de son livre Modern Tahtib — Bâton de combat égyptien, bilingue en français et anglais, par Budo Editions.
2016 : Production en 1re mondiale d’une démonstration du Modern Tahtib au Festival des arts martiaux à Paris-Bercy.
30 novembre 2016 : Inscription du tahtib au patrimoine de l’humanité de l’Unesco.

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