Bâtisseur, Hussein Sabbour est un ingénieur qui a su se construire une réputation auprès d’une large clientèle. « Mon bureau reçoit quotidiennement une centaine d’appels téléphoniques de gens qui demandent des informations à propos de nos projets en cours ou parfois même des projets à concevoir », affirme Sabbour d’une voix sûre et satisfaite du succès réalisé. Normal. Son bureau détient le plus grand nombre de projets de construction dans le pays. D’abord, il avait pour mission de développer les infrastructures telles que des autoroutes, des routes, sans compter encore des aménagements liés à l’eau et à l’électricité. Il est le constructeur de plus de 52 complexes résidentiels de luxe au Caire, à la Côte-Nord et à Hurghada. Il est le seul bureau en Egypte à avoir à son actif un nombre pareil de projets d’habitation.
Son portable ne cesse de sonner. La secrétaire rentre pour lui rappeler un rendez-vous ou lui transmettre un message. Et voici un employé qui rentre pour lui demander de signer un chèque. Assis sur son fauteuil en cuir, Sabbour est très attentif et bien concentré. A l’image de son bureau, il est organisé, élégant et simple. En effet, ce sont les mots d’ordre de cet intérieur. Un esthétisme, une convivialité et un art de vivre se dégagent de cette lumière qui enveloppe les lieux où tout reflète une passion pour le travail et une aspiration au succès.
Un succès en croissance qu’il n’a pas connu toutefois du jour au lendemain. « Pendant l’année préparatoire à la faculté d’ingénierie, j’avais été malade pendant plus de six mois. Les médecins qui ne savaient pas à l’époque de quoi je souffrais exactement m’ont conseillé de rester au lit. Une fois rétabli, j’ai passé les examens et ce fut la grande catastrophe : j’ai échoué pour la première fois de ma vie. Moi qui étais toujours le premier de ma classe ! », raconte Sabbour en se souvenant de sa jeunesse. Il a été admis à la faculté sous le règne du roi Farouk et l’a quittée alors que Mohamad Naguib était président. Une nouvelle ère pour l’Egypte et une nouvelle conception de vie pour Sabbour. « J’ai appris qu’échouer ne signifie jamais la fin de la vie. Bien au contraire, échouer conduit à se poser des questions remettant en cause ses connaissances, sa conception ou sa logique, tout novateur risque un échec. Il ne faut pas se décourager. L’échec doit être une source de motivation », insiste-t-il.
Fils d’un ingénieur civil d’origine turque, et d’une mère francophone issue d’une famille aisée de la campagne, Sabbour a appris très tôt l’importance de l’enseignement et la valeur de la science. « Mon frère était très studieux. Il a choisi de s’inscrire à la faculté de médecine. Moi, j’étais un grand amoureux de littérature et d’histoire. Or, mon oncle paternel, qui était ambassadeur, m’a conseillé de m’inscrire à l’une des deux facultés qui avaient du prestige. A l’époque, ce furent les facultés de médecine et d’ingénierie de l’Université du Caire ». Convaincu, Hussein cède à son rêve de s’inscrire à la faculté de droit pour s’inscrire à la faculté d’ingénierie.
Licence en poche avec mention bien, il a décidé de fonder un bureau avec deux de ses collègues de la faculté. « C’était un choc pour ma famille qui s’attendait à ce que je sois embauché comme fonctionnaire. Car c’était plus sûr et très à la mode à l’époque ». Tous les jours, pendant six mois, de 8 à 17h, les trois amis restaient dans l’attente du premier client. En vain ! « Un jour, un homme chrétien modeste est venu nous voir au bureau. Il n’avait en poche que 150 L.E., tout ce qu’il a su épargner pendant des années pour se construire une tombe. Heureux, nous avons bien sûr accepté et nous avons réussi de faire un bon travail, sans réaliser un sou de bénéfice », raconte-t-il d’un ton nostalgique. Et de poursuivre : « Cette tombe a attiré l’attention d’un millionnaire chrétien qui, à son tour, nous a demandé de lui construire un mausolée. Avec un budget énorme de 2 000 L.E., nous avons fait des travaux avec du marbre et du bronze. Nous y avons posé aussi un grand tableau de La Cène ». Toutefois, le partenariat entre les trois amis s’est effondré. « Un ami a dû partir aux Etats-Unis après avoir obtenu une bourse, l’autre, qui était d’une famille très riche, a dû partir à destination du Canada, suite à la nationalisation sous Nasser ». En 1962, Sabbour se trouvait seul et dans l’obligation de recommencer un parcours encore plus dur. De nouvelles lois ont réduit les loyers de 15 % puis de 20 %. Résultat : les gens ont cessé de bâtir des immeubles. « Nasser avait voulu que l’argent soit versé dans la construction d’usines plutôt. Or, cette politique économique a créé une crise immobilière dont on continue de souffrir jusqu’à nos jours ». Et d’ajouter : « Je me suis orienté donc vers la construction des usines ». Quelques années plus tard, la situation s’aggravait, surtout avec la défaite de 1967. Faute de travail, Sabbour est parti pour la Libye, en quête d’une nouvelle aventure. Et pourquoi pas ? Un pays riche qui a besoin d’infrastructures et manque de professionnels qui ont de l’expérience. « J’avais de la chance, car un grand homme d’affaires libyen, qui avait fait ses études en Egypte, a aimé l’idée de travailler avec un Egyptien. Il m’avait donc choisi. A l’époque, la Libye comptait près d’un million de citoyens. Et ce pays avait besoin de bâtiments, ponts, barrages, lignes de transmission d’énergie, de barrages de tunnels, etc. ».
En septembre 1969, un coup d’Etat dirigé par le capitaine Mouammar Kadhafi, alors âgé de 27 ans, renversa le roi et proclama la République arabe libyenne. « Mon partenaire s’est enfui vers l’Italie, et tous les ministres avec qui je travaillais ont été mis en prison. Ainsi, j’ai quitté mon bureau pour rentrer au Caire ».
Mais comme le régime de Kadhafi calqua ses structures sur celles de l’Egypte nassérienne, il était normal de rechercher des experts égyptiens. « J’ai aussitôt rouvert mon bureau là-bas pour me lancer dans des projets immenses ». Le nom de Sabbour résonnait partout. Il a été même connu à l’étranger plus qu’à son pays natal. Le président Sadate a fait appel à lui pour refaire les infrastructures du pays. « C’est mon bureau qui a été chargé d’élargir l’autoroute Le Caire/Alexandrie ainsi que celle du Caire/Assouan. On a proposé pour la première fois le système de péage ».
Réussi, des séries de projets lui ont été confiées : planification de nouvelles citées telles Al-Sadate, 6 Octobre, nouvelle Béni-Soueif, ainsi que les réseaux d’eau du Caire et les deux premières lignes du métro. Aujourd’hui, Sabbour est propriétaire de trois grandes entreprises de construction. Luxueuses et trop chères, les résidences de Sabbour ont fait des chiffres de vente importants malgré la situation économique du pays. « En effet, de prime abord oui, c’est paradoxal. Mais, d’après une analyse socioéconomique, il n’y a pas de paradoxe : alors que la majorité de la population souffre d’un taux de revenu très bas, une minorité vit dans le luxe et se trouve même en mesure de faire des économies. C’est ma clientèle ».
Toutefois, Sabbour préfère habiter au Caire. Au début à Héliopolis, puis à Zamalek, dans un appartement. « C’est vrai que je suis devenu un homme très riche, mais cela ne veut rien dire à part plus de responsabilités à l’égard des ingénieurs et des employés embauchés dans mes entreprises ». Il adore sa vie de famille et consacre deux semaines chaque année pour passer des vacances en famille.
Cet ingénieur doué a refusé à plusieurs reprises le poste de ministre. « Je ne peux pas m’empêcher de dire mes opinions ouvertement. C’est pourquoi je n’ai jamais pensé joindre un parti politique. Je me rappelle encore le jour où Osman Ahmad Osman, ministre du Logement, m’a présenté à Sadate comme quelqu’un de ministrable. Sadate m’a demandé de proposer des solutions à la crise du logement, je lui ai répondu qu’il valait mieux d’abord remettre en question tout le système de gouvernement ».
Sa franchise dérange encore. Les Frères musulmans l’ont qualifié d’athé, suite à son opinion selon laquelle il faut interdire la omra (petit pèlerinage), afin d’épargner de l’argent aux secteurs qui en ont besoin, les gauchistes n’hésitent pas de l’attaquer non plus. « Je suis tout à fait contre les subventions alimentaires. Il vaut mieux vendre les produits à leurs prix réels, et donner aux défavorisés des allocations. Pourquoi des hommes riches dont je fais partie achètent l’huile ou le riz subventionnés ? », s’exclame-t-il, et d’ajouter : « Je continuerai à exprimer mes opinions franchement, et qu’ils me qualifient comme ils voudront ! ».
Jalons :
1936 : Naissance au Caire.
1957 : Licence de la faculté d’ingénierie de l’Université du Caire.
1961 : Mariage.
1968 : Départ pour la Libye.
2017 : Participation à la conférence immobilière Cityscape.
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