La statuette pour laquelle il a remporté le Prix d’Encouragement de l’Etat cette année est une oeuvre abstraite. Il s’agit d’une femme, en granit noir, dont la tête et le buste sont en bronze et en nickel chrome et qu’il a intitulée « La Reine ». Celle-ci est représentative de toute une série, associant le granit et le bronze. Après 27 ans de carrière, Nagui Farid est toujours en quête de nouvelles techniques, de nouvelles formes, variant les matériaux, les styles et les disciplines.
Sa Reine est délicate et féminine. Malgré la dureté du granit noir, le corps apparaît souple, révélant les petites rondeurs de sa majesté. La tête et le buste argentés sont bien luisants. « J’ai posé deux fois ma candidature pour recevoir le Prix d’Encouragement décerné annuellement par l’Etat. Cette année, je l’ai enfin remporté, après avoir soumis six sculptures, déjà exposées au Centre Al-Guézira des arts en 2014. La Reine est ma sculpture la plus mûre, la plus accomplie, au niveau du sujet, de la technique et du volume », souligne Nagui Farid.
Son premier prix en sculpture remonte à 1989, lors de la première édition du Salon des jeunes (une exposition collective organisée par le ministère de la Culture pour les jeunes de moins de 35 ans). Farid était alors encore étudiant, en quatrième année à la faculté de pédagogie artistique (après avoir échoué dans ses études de droit). Il avait participé au salon avec une sculpture figurative montrant un homme, en ferraille, qui essaye de se lever. « Un jour, je me suis arrêté devant une carcasse de voiture qu’on avait mise à la casse. Je l’ai achetée à 10 L.E. et je l’ai amenée chez moi avec un chariot à cheval à 12 L.E. Avec la ferraille, j’ai exécuté la sculpture qui a remporté le premier prix du salon, à l’époque 3 000 L.E. Ensuite, la sculpture a été acquise par le Centre Hanaguer contre 3 000 L.E. également. Le reste de la voiture m’a servi l’année suivante, car j’ai fait une autre sculpture laquelle a remporté le premier prix du salon, l’édition d’après. Encore une fois, j’ai eu un prix de 3 000 L.E. et l’oeuvre a été achetée par Monsieur Farouq Al-Gohari, toujours à 3 000 L.E. », raconte Farid en souriant. Grâce à ces deux prix, le jeune sculpteur a été bien introduit sur la scène artistique. Et d’ajouter : « Sans doute, un jeune sculpteur en Egypte affronte pas mal d’obstacles. Il est vraiment difficile de se consacrer entièrement à l’art et d’en faire son seul gagne-pain. Mais moi, j’ai décidé de ne faire que de l’art et je ne le regrette pas. Dans la vie en général, je rejette tout sentiment négatif. C’est ma nature ».
A l’école préparatoire, Farid passait son temps, pendant les vacances, à tailler des portraits et des oeuvres en plâtre, sans savoir que c’est de la sculpture. « Mon seul plaisir était d’acheter du plâtre, le modeler et en faire des formes de tailles différentes », dit-il. Et de poursuivre : « Mon père était un simple fonctionnaire, mais sa vraie passion était la menuiserie. Il fabriquait des meubles chez nous à la maison. J’ai hérité de lui l’habileté de travailler avec les mains ». Après la mort de son père, Nagui a repris tous ses outils de menuiserie, toute la famille l’encourageait à faire de l’art. « A l’école secondaire, j’ai commencé à fréquenter les expositions artistiques. L’art abstrait m’étonnait. Au vernissage d’une exposition, j’ai fait la connaissance du sculpteur talentueux, aujourd’hui disparu, Abdel-Hadi Al-Wéchahi. On se croisait souvent dans les galeries et l’on discutait sporadiquement de l’art ». Al-Wéchahi trouvait en ce jeune plasticien un artiste prometteur et lui a conseillé de se joindre aux beaux-arts. Mais Nagui Farid a opté pour des études en droit, pour défendre les gens ordinaires et établir la justice. « Un rêve naïf », lance-t-il.
A l’Université de Aïn-Chams, il a quand même participé à un concours artistique et a décroché le premier prix. Al-Wéchahi et Zakariya Al-Zeini étaient parmi le jury. A la cérémonie des remises de prix, il a rencontré de nouveau Al-Wéchahi. « Je lui ai tendu la main pour le saluer, alors il m’a grondé et m’a crié au visage : Nom de Dieu, mais qu’est-ce que tu fais en droit ? Ta place n’est pas là ».
Le professeur d’art avait raison. Car Nagui Farid a complètement échoué dans ses études et s’est inscrit ensuite à la faculté de pédagogie artistique. Puis il abandonne cette dernière faculté pour suivre des cours d’Al-Wéchahi en auditeur libre à la faculté des beaux-arts.
Pendant ses années de préparation, il était plutôt de nature effacée, travaillait en silence et personne ne remarquait sa présence. « J’étais très timide, je le suis toujours d’ailleurs ».
En participant à de multiples expositions, il fait la rencontre d’un autre maître de la sculpture, un autre mentor : Adam Hénein. « A la cinquième édition du Salon des jeunes, j’exposais une sculpture monumentale de 3 m de hauteur qui tournait. Hénein était en train de contempler mon oeuvre et m’a félicité à haute voix. Ensuite, il m’a invité dans son atelier à Harraniya ». Le jeune sculpteur timide se trouvait dans l’embarras, et craignait la visite : « Que faire devant Hénein ? ».
Ce n’est que trois mois plus tard qu’il l’a rencontré une deuxième fois dans une exposition. Hénein renouvelle son invitation. « Les sculptures d’Adam Hénein me fascinent. En travaillant, il s’intéresse aux minutieux détails, il accorde une grande attention à la surface de l’oeuvre. J’ai beaucoup appris à ses côtés ».
Fidèle au maître, il l’aide dans la gestion du Symposium d’Assouan sur la sculpture en tant que vice-commissaire depuis l’an 2000. C’est justement à travers le symposium qu’il a pu percer les mystères du granit. Ses sculptures recèlent désormais quelque chose de pharaonique. « Les Anciens Egyptiens sculptaient pour vénérer les rois et les dieux. Moi, j’écarte toute influence religieuse et m’intéresse plutôt aux techniques et aux concepts esthétiques », souligne le sculpteur, réputé surtout pour l’association de la pierre et du métal. « J’avais un petit bloc de granit dans mon atelier au Caire, avec une grande fissure. En travaillant, le bloc s’est cassé. Que faire ? J’ai donc pensé couvrir la partie endommagée par un morceau de métal. Les deux matériaux, le bronze et le granit, font contraste. Cela a donné naissance à une série de sculptures depuis 1998 jusqu’à présent ».
Même dans ses récentes sculptures en bronze, plus humaines, plus contemporaines au nickel chrome, il avoue avoir recours à des lignes et des traits abstraits et simplifiés, s’inspirant de l’art pharaonique. Dans sa dernière exposition Mémoires visuelles, il a associé à son travail habituel la photographie et la typographie. « Les métaux me permettent plus d’expérimentation et d’aventures. J’ai créé ma propre fonderie de métaux. Le bronze et le nickel chrome m’offrent une belle surface bien polie et luisante, on dirait une sorte de miroir, invitant le spectateur à s’impliquer davantage. J’ai eu recours à la photographie et à la typographie, afin d’ajouter d’autres dimensions, d’autres connotations à l’oeuvre, afin de mieux communiquer avec le public ».
Qu’il travaille la ferraille, la pierre ou le bronze, on reconnaît tout de suite ses retouches. « Je choisis souvent des sujets qui reflètent mes soucis et mes expériences personnelles ». Et d’ajouter : « Plusieurs sculpteurs ont tendance à tailler des formes qui leur ressemblent, physiquement. Moi aussi j’opte pour des formes qui reflètent ma personnalité et mon attitude vis-à-vis de la vie tout courte ».
A partir de 2017, Farid sera le commissaire général du Symposium d’Assouan sur la sculpture, succédant à Adam Hénein. Il espère faire bouger les choses, laisser son empreinte. « La 22e édition se tiendra à Charm Al-Cheikh. Le symposium est devenu une rencontre annuelle reconnue dans le monde. Le Sinaï abonde de carrières de granit et la station balnéaire a besoin de se redorer le blason, après tant de crises touristiques », conclut Farid, non sans enthousiasme.
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