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Adolescence : Un cadre sain pour s’épanouir

Dina Darwich, Lundi, 23 février 2015

Les adolescents méritent une attention particulière pour traverser cette période tumultueuse de la vie. Ainsi, et c'est une nouveauté en Egypte, des programmes sont lancés, publics comme privés, pour leur apporter un soutien psychologique. Focus.

Adolescence : Un cadre sain pour s’épanouir

« Je suis obèse. Une réalité qui me dérange. Quand j’ose porter un jean, il met en relief mes rondeurs et je sens tous les regards braqués sur moi. Mes parents me reprochent d’être grosse. Même mes amis prennent leurs distances lorsque je me promène avec eux, comme s’ils avaient honte de marcher avec moi », confie Hana, 14 ans. Un complexe qu’elle a tenu à écrire noir sur blanc avant d’en faire part à Sara, 13 ans, qui vit avec une déformation de la main droite. D r Liqaa Magdi inter - vient pour animer le débat avec un groupe de 8 adolescents, après avoir établi les règles du jeu.

« Aucun com - mentaire ni rire ne sont permis. Il faut apprendre à écouter les autres, à les regarder dans les yeux. La confidenti - alité est de rigueur. Personne ne doit rapporter ce qui se passe dans cette salle », dit-elle d’un ton ferme. Puis elle pose une question à Hana : « As-tu la preuve que tu ne te marie - ras jamais ? ». La jeune adolescente lui répond : « Je connais une parente qui a de l’embonpoint. Elle n’a réussi ni à trouver du travail, ni même à se marier ».

Les discussions vont bon train. Une autre affirme qu’elle connaît beaucoup de femmes obèses ayant réussi leur vie. Les regards sont braqués sur la psychiatre, qui explique : « La personnalité de cha - cune de vous c’est comme une table à trois pieds : le premier est l’estime de soi, le deuxième est le respect d’autrui et le troisième, c’est la responsabilité ou le rôle que l’on peut jouer. Qui pense qu’il a un pied plus fragile que l’autre ? ».

Et d'ajouter : « Je peux être grosse et avoir un sens de l’hu - mour, je peux lire et écrire, je suis intelligente, etc. ce qui veut dire que face à un point négatif je peux avoir une série de points positifs qui vont sans doute marquer ma singularité », commente D r Liqaa. Après huit séances, cette psychiatre a constaté que Sara ne dissimulait plus sa main dans sa poche, osait prendre la parole en levant sa main.

Cette scène fait partie d’une série de séances de psychothérapie collective mises en place par le département de l’adolescence et de la jeunesse à l’hô - pital Abbassiya, au Caire. En fonction depuis 6 ans, ce service présente un soutien psychique à cette catégorie de jeunes en période d’adolescence et qui sont livrés à eux-mêmes. Des 18 hôpi - taux dépendant du secrétariat général de la santé psychique, 10 disposent d’un service qui tente, à travers des séances collectives et individuelles, d’atténuer les conflits entre parents et adolescents.

« Qui suis-je ? », telle est la question que se pose l’adolescent en quête de son identité, selon D r Tamer Al-Bassiouni, vice-président du département, qui reçoit 290 cas par jour, et ce, malgré le nombre limité de médecins spécialistes en psychologie des adolescents en Egypte. Le nombre de médecins ne dépasse pas les 20, celui des psychologues atteint les 14 sans oublier les assistants sociaux. On en compte 10 seulement à travers tous les hôpitaux publics de santé psy - chique.

Orientation familiale Autre scène. Autre image. Dans une salle voisine, une séance d’orientation familiale a lieu. Soha, fonctionnaire de 38 ans, confie que son fils âgé de 13 ans est devenu désobéissant. Il se rebelle contre toute forme d’autorité. Ce qui révolte la mère qui ressent que son éducation donnée n’a pas porté ses fruits. Elle trouve qu’il est trop influencé par ses amis et n’hésite pas à le menacer de le mettre à la porte. Hind, femme au foyer, se plaint que sa fille de 14 ans est devenue insolente avec elle.

Au moment des disputes, l’adolescente va même jusqu’à mena - cer ses parents de se suicider. Une troisième confie qu’elle n’a pas réussi à bien élever sa fille de 15 ans qui veut ôter son voile et suivre peut-être le mauvais chemin. Cette mère n’hé - site pas à vérifier le portable de sa fille pour savoir si elle est amoureuse de quelqu’un. « Il y a un message que l’on tente de transmettre aux parents. En tant qu’adultes, il faut faire la distinction entre deux choses : détes - ter une conduite et non pas l’adoles - cent lui-même. C’est une bonne intro - duction pour que les parents puissent aimer leurs enfants sans condition, admettre leurs défauts et les aider à changer », explique D r Bassiouni, qui tente à travers ces séances collectives de donner de l’espoir aux parents et leur montrer que les problèmes avec leurs enfants sont résolubles.

A travers l’échange d’expériences, chacun expose les moyens qui lui ont permis de résoudre son problème avec son enfant en pleine crise d’adolescence. « Il arrive parfois que les parents nous demandent de transmettre leurs ordres à leur progéniture. Mais on refuse de jouer ce rôle puisque notre but est d’aider l’adolescent à avoir confiance en lui-même, être autonome et pouvoir prendre des décisions justes dans sa vie. Nous voulons aider les parents à comprendre les caracté - ristiques de cette tranche d’âge très délicate », assure D r Tamer qui pour - suit que ce genre de service à vu le jour quand les spécialistes se sont rendu compte que les besoins psycho - logiques d’un adolescent sont très différents de ceux d’un adulte.

Selon les chiffres du centre Baseera pour les recherches d’opinion publique, le nombre d’adolescents entre 13 et 19 ans atteint les 11,3 mil - lions d’individus, soit 13,4 % de la population égyptienne. Une large catégorie qui, cependant, est livrée à elle-même. Il s’agit d’une tranche d’âge qui se trouve à cheval entre le monde des adultes et celui des enfants, sans appartenir à aucun d’eux. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé, sur la santé des ados à travers le monde publié en 2014, montre que 84 % des pays pren - nent en considération les besoins de cette tranche d’âge en programmant leurs politiques, mais en ce qui concerne la santé reproductive et sexuelle seulement.

Selon la même source, seul le quart de ces pays attache de l’importance à la santé psychique et mentale des ados, et ce, bien que la dépression, le stress et le suicide soient les causes principales de la mort des ados dans le monde. Résultat : les gouvernements suivent leurs politiques et les ados suivent la leur. Une situation qui a poussé à la création d’organismes actifs dans le domaine de soutien psy - chique pour ados. Ces initiatives ne cessent de s’accroître et de prendre de l’ampleur.

Un mouvement mondial Face au manque d’informations sur cette tranche d’âge, l’Association égyptienne pour la science de l’ado - lescence a été créée en 2000. Une association qui fait partie d’un mou - vement mondial qui a débuté en Italie en 1992 et qui a élargi ses perspec - tives et activités, avec la fondation de l’Union mondiale pour la science des ados en 1994.

« Au départ, notre objectif était d’effectuer des études pour observer les problèmes de l’ado - lescence en Egypte où les jeunes refusent toute forme d’autorité, à commencer par l’autorité paternelle allant même jusqu’à celle des institu - tions religieuses en passant par l’école. Cela a entraîné une série d’autres problèmes tels que l’agressi - vité, le tabagisme, la toxicomanie, la transgression de la loi et l’école buis - sonnière, surtout que les différentes institutions où évolue l’adolescent ne comprennent pas la psychologie de cette période critique. Ce qui aggrave la situation puisque les deux parties sont prises dans un cercle vicieux, n’arrivant ni à se comprendre, ni à communiquer », affirme le professeur Nabil Al-Zahar, doyen de la faculté de pédagogie de l’Université d’Egypte pour la technologie et la science, et président de cette association.

L'association tente également d’échanger des expériences avec les autres associations mondiales actives dans ce domaine, surtout que les réseaux sociaux sont devenus l’apa - nage des ados. Dans ce monde virtuel, les idées se forment de manière col - lective et les jeunes se soutiennent psychologiquement. Un ado préfère recevoir le conseil d’un ado comme lui, qui se trouve à l’autre bout du monde, que d’écouter celui de ses parents qui vivent sous le même toit.

« Le monde est passé par diverses périodes, chacune marquée par ses slogans et ses priorités. Des droits de la femme, on est passé à ceux des personnes âgées, et à présent, on se rend compte que cette tranche d’âge mérite beaucoup plus d’attention. L’avenir de l’humanité est menacé si les peuples ne parviennent pas à gérer convenablement cette période de l’adolescence » , poursuit Al-Zahar. Techniques et conseils Dans une salle spacieuse située dans un appartement à Héliopolis, une tren - taine d’ados se retrouvent chaque semaine depuis quatre mois. C’est sur Internet avec par exemple Facebook que certaines églises et associations s’adressent aux ados. Elles leur offrent des techniques et conseils pour traver - ser paisiblement cette période cri - tique. Le programme « Cœur conscient », appliqué depuis 2004, a pu rendre service à plus de 15 000 adolescents au Caire et en Haute- Egypte.

« Ce programme a été spécialement conçu pour l’adolescent égyptien en tenant compte de la culture. Lors du stage, nous distribuons un livre qui présente un amalgame de slogans, de vers de poésie et de proverbes écrits dans un dialecte familier facile à assimiler », signale Jacqueline Ishaq, directrice du projet à l’association. Or, ce programme va de pair avec un autre pour la formation des leaders qui tentent de donner aux personnes, qui fréquentent les ados, une connaissance leur permettant de mieux traiter avec eux. Plus de 2 500 stagiaires ont pu bénéficier de ce service.

« Le problème c’est que le système d’enseignement en Egypte n’attache pas d’importance à l’intelligence émotionnelle », avance aussi Jacqueline Ishaq. Elle assure que lorsqu’un ado est en colère, ses parents le lui reprochent, alors que ces sentiments sont une forme d’énergie qui peut être investie. Parallèlement, le programme tient à ce que les ados extériorisent leurs sentiments tout en apprenant à les gérer. « On ne fait pas de morale, on les écoute et leur offre la chance de s’exprimer. A travers les 22 thèmes, les stagiaires discutent des sujets qui les préoccupent le plus, comme celui de leurs aspirations, leur vision d’eux-mêmes, leurs sentiments, leurs idées et leurs relations avec autrui. On les aide à vaincre ce conflit interne, à accepter leurs défauts et à découvrir leurs qualités. Le programme comprend trois étapes : je suis, j’ai et je peux », poursuit Jacqueline Ishaq, qui souhaite que ce programme soit introduit dans les écoles égyptiennes.

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