« Le père Noël n’arrive pas à réaliser nos vœux ». Tel est le cri de détresse et de désespoir de Fayka, une fille palestinienne de 13 ans à peine, qui accueille Noël sans joie. « C’est une autre année vécue dans le chagrin. On prie pour que la guerre finisse. L’année dernière, j’ai perdu ma meilleure amie lors d’un raid qui a ciblé l’église grecque orthodoxe. Les festivités sont devenues un luxe. Un souvenir d’antan. Les beaux jours de Noël où ma maison était bondée me manquent. Les tables où le mansaf (plat palestinien authentique composé de riz et de viande d’agneau), les légumes farcis et la mloukhieh garnissaient les festins ne sont plus là. Mon lit me manque, surtout par ce froid de canard. Tout cela n’est plus que souvenir, nostalgie. Comme j’aimerais retrouver notre vie normale ! », témoigne avec tristesse Fayka, qui vit aujourd’hui avec sa famille au sein de l’église catholique de la Sainte Famille à Gaza.
Fayka fait partie de quelque 150 enfants chrétiens obligés de passer Noël sous les bombes. La joie de Noël a laissé place à la tristesse et au désespoir. Adieu les cadeaux, les sapins, les guirlandes et les cloches retentissantes des églises qui annonçaient la fête. Les chansons de Noël ont laissé place aux bruits assourdissants des raids. Les parades du scoutisme qui rassemblaient les enfants de Gaza de toute confession disparaissent.
Gaza a pourtant toujours connu les festivités de Noël, depuis que le christianisme est arrivé dans cette ville au deuxième siècle après J.-C. Aujourd’hui, seuls la peur, la terreur et les pleurs racontent la vie quotidienne de ces petits privés de tout.
Un millier avant la guerre, quelque 600 aujourd’hui
Aujourd’hui, bien que les chrétiens qui vivent à Gaza représentent une petite minorité, nombreux sont ceux qui ne veulent pas partir coûte que coûte. Selon les chiffres de l’église grecque orthodoxe, le nombre des chrétiens atteignait avant le déclenchement de la guerre, le 7 octobre 2023, 1 020 personnes, réparties entre trois églises : orthodoxes, catholiques et évangéliques. « Cette guerre représente un tournant. Il ne reste plus aujourd’hui que 600 chrétiens à Gaza, répartis équitablement entre les églises catholique et orthodoxe (chacune abritant 300 personnes déplacées) après la fermeture de l'église évangélique à la suite du ciblage de l'hôpital baptiste », affirme Kamel Ayad, directeur des relations publiques de l'église grecque orthodoxe à Gaza, dont la mère, âgée de 80 ans, a essayé de quitter la ville à destination du Caire parce qu'elle possède des papiers d'identité égyptiens, mais n'a pas pu le faire en raison de la séparation entre le nord et le sud et des routes dangereuses soumises à des bombardements incessants. D’ailleurs, avant la guerre, la ville de Gaza abritait plus de 14 organisations chrétiennes actives dans le domaine du service communautaire pour les chrétiens et les musulmans. Parmi elles figuraient Caritas, l'Association de la jeunesse chrétienne, l'hôpital arabe Al-Ahli, le Patriarcat grec orthodoxe et le Centre orthodoxe arabe, outre les écoles chrétiennes. Mais ces institutions ont été à leur tour ciblées par les bombardements israéliens. « Il suffit de citer que 20 personnes parmi cette minorité ont trouvé la mort le 19 octobre lors d’un bombardement sans avertissement d'un bâtiment administratif appartenant à l'église grecque orthodoxe. Dix jours plus tard, le 29 octobre, 150 autres personnes ont été blessées dans le bombardement du Centre social culturel orthodoxe, un bâtiment de 6 000 m2 où se réunissait l'ensemble de la communauté gazaouie, construit grâce à des dons et dont la construction a duré 25 ans. Celui-ci, qui abritait 1 500 personnes déplacées ayant fui les feux de la guerre à travers la ville, a subi de graves pertes », raconte Ayad. Et d’ajouter : « Le 16 novembre 2023, une femme et une fillette ont été tuées lors d'un raid qui a ciblé l'église catholique. Les deux martyrs ont trouvé la mort alors qu'elles priaient. Personne ne peut imaginer la situation à Gaza, nous sommes soumis à une guerre génocidaire ».
« La nuit de Noël, la haine est effacée ... La nuit de Noël, la terre fleurit ... La nuit de Noël, la guerre est abolie ... La nuit de Noël, l'amour grandit ». Un hymne chrétien décrit la nuit de la fête, mais à Gaza, cette année, la scène a complètement changé. La vieille ville a éteint ses lumières pour pleurer ses habitants qui sont piégés dans les deux églises de Gaza, menacés de mort par les bombardements ou les tirs, sans nourriture ni boisson et sous un blocus étouffant.
Des célébrations a minima
Cependant, la vie continue, malgré tout. Majed Tarazi, membre du bureau exécutif des scouts orthodoxes de Gaza, qui abrite l’église catholique, estime que « malgré ces conditions, on va animer la messe de Noël, allumer des bougies et prendre quelques moments de détente avec les enfants. Mais toujours à l’intérieur de l’Eglise, car en sortir est une aventure à grand risque. Malgré cela, je ne veux plus quitter Gaza quelles que soient les conditions. Je suis né et j’ai vécu ici. Là, j’ai tissé un grand réseau de relations sociales chaleureuses et j’ai fait ma vie et ma carrière », explique Tarazi, en racontant qu’il essayait de trouver un lieu où il peut avoir accès à une connexion Internet à l’abri du danger pour que l’on puisse poursuivre notre interview via un appel WhatsApp. Il confie que lui et sa femme possèdent un visa pour l’Australie, mais qu’il a décidé de rester avec sa communauté dans sa ville natale. Il trouve qu’il a un rôle à jouer pour atténuer la pesanteur de la guerre le jour de la fête. « Quelques jours avant Noël, chrétiens et musulmans échangeaient le plat Berbara, un plat à base de blé, de raisins secs et de liqueur préparé pour la fête de la Sainte-Barbe ou la fête de la martyre Barbara, qui est célébrée le 4 décembre par les chrétiens du Moyen-Orient ». Mais cette année, en plus de la guerre, pour préparer ce plat, la facture va être salée, jusqu’à 200 dollars, comme le confie Majed Tarazi !!
Poursuivre la charité malgré tout
Le couvent de la Charité de Mère Teresa continue de servir de refuge et accueille environ 70 personnes, malgré les dégâts qu’a subis le lieu en raison de la guerre : un raid israélien a provoqué un incendie qui a détruit la moitié du couvent, y compris le réservoir de carburant et le générateur d'électricité. Pourtant, les trois missionnaires et les six religieuses refusent de céder. « Les sœurs dirigent un foyer pour 60 enfants musulmans handicapés et quelques blessés, leurs familles sont réfugiées et dispersées partout, personne ne peut venir les chercher, elles sont restées et toute la communauté est restée. Nous vivrons ensemble, nous mourrons ensemble, nous resterons près de Jésus, près des églises », a déclaré la chef des sœurs lors d’une interview publiée dans le journal français La Croix le 19 novembre 2023. Un périple qu’elles ont décidé de poursuivre jusqu’au bout malgré les conditions intenables. Elles insistent à faire ce devoir humanitaire dans le silence. Une volonté de fer qui fascine tout le monde. Même leur confrère. Pierbattista Pizzaballa, responsable des Missionnaires de la Charité à Jérusalem, a rapporté au cours de la même interview : « Nos sœurs de Gaza me surprennent, elles ont toujours un sourire dans la voix malgré les bombes et le manque de tout ».
S’attacher à un fil
Et ce n’est pas tout. Certaines familles semblent ressentir le goût de l’exil même au sein de Gaza. Khalil Al-Sayegh, qui vit aux Etats-Unis et tente difficilement de communiquer avec sa famille pour prendre de leurs nouvelles et les féliciter à l'occasion de la fête, explique que, bien que toute la famille se trouve à Gaza, elle était également dispersée sous le siège : sa mère et sa sœur se trouvaient à l'intérieur de l'église de la Sainte Famille, tandis que son autre sœur se trouve actuellement à l'intérieur de l'église Saint Porphyrios et son frère est soigné dans un hôpital dans le sud, et ce, après le départ de son père suite à une attaque cérébrale due à une peur extrême à cause des raid et des tirs inachevables. L’une de ses sœurs a rejoint le même sort de son père quand elle a décidé de regagner le sud du pays. Elle a trouvé la mort sous la chaleur torride de l’été pendant son voyage. Aujourd’hui, la famille se trouve dispersée entre les quatre coins. Khalil, le fils aîné, vit à New York, sa sœur et ses fils à l’église orthodoxe à Gaza, alors que sa mère et son frère ont regagné l’Egypte pour se soigner de l’insuffisance rénale.
La résistance continue encore et toujours, et malgré les souffrances, l’Eglise reste pour cette communauté la bouée de sauvegarde, car en dehors de ses murailles, c’est un risque qui peut leur coûter la vie. Pour eux, l'église est devenue non seulement un lieu de culte, mais aussi un abri pour ces personnes déplacées, une école pour les enfants, un terrain de jeu pour eux, voire une fosse commune pour enterrer leurs morts. La vie continue à la recherche d’un fil qui leur engendre l’espoir. « Chaque semaine, des messes sont célébrées dans les deux églises, et comme nous n'avons pas d'accès à Internet pendant toute la journée, nous les diffusons en direct sur notre page Facebook quand la connexion est récupérée », conclut Ayad.
Lui, comme tous les autres chrétiens de Gaza, compte malgré tout allumer les bougies le jour de Noël, tournant ses regards vers le ciel et priant pour que la paix revienne enfin.
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