Les cris de joie se font entendre au sein de la maison de la future mariée. Les youyous se fondent, annonçant l’approche de la fête. Toute la famille est à pied d’oeuvre. La célébration du mariage commence une semaine avant le jour J et se poursuit une semaine après. Le décor est typique. Le salon, la salle de séjour, les différentes pièces et le grand terrain de sable (appelé saha en langue nubienne) sont particulièrement bien décorés et illuminés par des guirlandes de différentes couleurs. Les yeux rayonnant de joie, les fillettes et les jeunes filles sont excitées de participer à cette soirée.
Le henné de la mariée, une tradition nubienne ancestrale.
Toutes les femmes des deux familles sont en train de cuisiner, tradition oblige. Trois repas sont prévus chaque jour. Certaines préparent des mets nubiens, d’autres de la fatta, de la moloukhiya, des légumes farcis et de la viande pour le déjeuner et le dîner. D’autres préparent des plats de viande de mouton, égorgé la veille pour l’occasion. La porte est grand ouverte pour accueillir chaleureusement les convives. Les invitées qui arrivent une et parfois deux semaines à l’avance doivent être bien accueillies. Toutes sortes de dessert, du thé vert parfumé et du café nubien aux épices sont présentés sur des plateaux argentés. Et les différentes soirées qui précédent la cérémonie du mariage sont animées par des danses folkloriques populaires.
Les invitées se pressent pour aller se changer et se mettre en abaya ou djellaba, tout en dansant aux rythmes de la musique et des chansons nubiennes et en exécutant des mouvements corporels gracieux et bien synchronisés. C’est la façon dont les femmes expriment leurs profonds sentiments de joie. Aujourd’hui, on célèbre la nuit du henné de Hosniya. Comme toutes les futures mariées, elle voudrait se faire tatouer au henné pour être la plus belle mariée devant ses cousines maternelles et paternelles, ses amies d’enfance et ses collègues de travail. Toujours minutieusement pratiquée, la pose du henné est un moment phare du mariage. Une tradition à ne pas négliger. Hosniya, la mariée, reçoit chez elle les jeunes filles, les femmes de sa famille, mais aussi des amies pour participer à la cérémonie.
Hosniya, la princesse de cette nuit inoubliable, habite à Maadi. Ses parents se sont installés au Caire depuis une trentaine d’années. Comme la plupart des familles nubiennes, la sienne a déménagé après la construction du Haut-Barrage en 1964. Tous ceux et celles qui ont été relogés sont passés d’une région relativement isolée et ethniquement homogène à des villages proches des centres urbains, où ils se sont trouvés en contact avec d’autres communautés égyptiennes. Des familles se sont installées en Haute-Egypte et d’autres au Caire, que ce soit dans des quartiers plutôt modestes comme Aïn-Chams et Boulaq, alors que celles qui avaient plus de moyens ont trouvé leur confort à Doqqi, Mohandessine ou Maadi (quartier huppé), comme la famille de Hosniya. La famille de cette dernière est originaire de la tribu Matoki (des nomades très riches), installée autrefois en Nubie. Les membres de la tribu ont l’habitude de demander une dot importante. Le père de Hosniya a exigé une dot et des bijoux d’une somme de 100 000 L.E.
Suivant la tradition, les deux tribus nubiennes Matoki et Fadicca exigent une dot sous forme de bijoux. Les Matokis réclament une dot de bijoux estimée entre 50000 et 100000 L.E. Tandis que les Fadiccas demandent des bijoux pas chers, qui ne dépassent pas les 20000 ou 30000 L.E.
Sublimer la future mariée
En fait, la nuit du henné, qui se déroule la veille des noces, est une occasion pour que les familles nubiennes se rencontrent. Pendant la soirée, la mariée porte une robe différente et même ses invitées sont toujours tirées à quatre épingles arborant des vêtements neufs, très à la mode. Car c’est aussi l’occasion de trouver le prince charmant… « Dans le passé, beaucoup de Nubiens refusaient que leurs enfants se marient avec quelqu’un d’un autre village. Cette culture se transmet encore », note le journaliste nubien Nabil Nour El Dine El Haddad, en expliquant que les deux tribus nubiennes, à savoir les Fadiccas (installée sur la partie sud, 18 villages) et les Kenzis (appelée aussi Matoki et occupant la partie nord de la Nubie égyptienne dans 17 villages) ont, chacune, leurs spécificités et leur propre dialecte.
Le jour du henné, la belle Hosniya se lève très tôt pour se faire tatouer par une professionnelle. Avec ses invitées, elle attend hadja Salima, la « hannana », d’origine nubienne. Cette dernière, qui exerce ce métier depuis 30 ans déjà, est chargée de la préparation de toutes les jeunes filles qui s’apprêtent à convoler en justes noces. Elle commence par faire à la mariée des dessins très fins et très jolis. Des tatouages sur chaque pied qui ressemblent à une petite chaussette. Elle dessine sur chaque pied des motifs symétriques et géométriques (cercle, triangle, cube, carré, etc.). Hosniya, la princesse de la journée, souhaite couvrir aussi ses chevilles, ses mains et ses poignets avec des mandalas et des dessins en forme de dentelles. Après avoir terminé le tatouage, la soeur de la mariée pose le henné sur un plateau en argent, cerné par deux grandes bougies.
Hadja Salima, la professionnelle, fait le tour des invitées. Elle s’adresse à chacune d’entre elles tout en montrant les motifs qui pourraient leur convenir, puisqu’elle connaît tous les secrets du métier. « Ce style est fait pour vous! Les motifs géométriques sont très tendance… Pour vous, un peu maigre, je préfère dessiner un motif pas trop chargé, composé de petits détails, par exemple des fleurs ou des figures aux fines lignes … », dit-elle. Hadja Salima s’arrête un instant puis dit en pointant du doigt: « Pour celle-ci, un peu plus grosse, je pourrais choisir un tatouage en forme de plante, de grands dessins ou des motifs arabesques ».
La fête, qui commence à 22h et se prolonge jusqu’à l’aube, est animée par les chansons folkloriques sur les rythmes de tambourine ou « daff » (dialecte nubien).
Conjurer le mauvais oeil
Selon les coutumes des deux tribus nubiennes les Matokis et les Fadiccas, l’heureux élu doit offrir à sa bien-aimée une dot importante sous forme de bijoux.
A vrai dire, cette tradition est avant tout un moment de partage, d’honneur et de bonheur pour toutes. Car, le henné est un symbole encore plus puissant qu’une alliance chez les Nubiens. « L’application du henné a une signification symbolique. La tradition dit qu’elle protège le nouveau couple du mauvais oeil. Il est habituel de croire que cela peut apporter une bénédiction (baraka) à cette union. Elle va aussi améliorer la santé, attirer la chance à la jeune famille et apporter bonheur et prospérité », explique hadja Salima, qui donne aussi quelques informations sur la préparation du henné. « La couleur de la pâte doit être d’une nuance marron, orange ou rouge, c’est le vrai. Si sa couleur est noire, vous devriez éviter de l’utiliser car il est additionné à des éléments inconnus. Et dans ce cas, il est dangereux pour la peau: il provoque des allergies et des eczémas graves ou un état d’hypersensibilité à certaines substances ».
Au cours d’une telle nuit de six à huit heures d’affilée de pose de henné qui séduit les jeunes filles et les adultes à la fois, une « hannana » professionnelle comme hadja Salima touche une somme entre 3000 à 5000 L.E., uniquement pour effectuer le tatouage de la mariée. Et chaque invitée peut verser entre 150 et 400 L.E., selon le nombre de dessins. « Pour une autre hannana qui ne possède pas le même talent, cela ne dépasse jamais les 1500 L.E. pour les dessins appliqués à la mariée et pas plus de 50 L.E. pour une invitée », dit Imane, une des amies intimes de la future mariée.
A chacun son henné !
Que ce soit la mariée ou le marié nubien, tous deux ont le droit d’appliquer cette poudre mélangée avec de l’eau de rose ou de fleurs. Pour la future mariée, cette pâte n’est qu’un cosmétique naturel, elle est posée sous forme de dessins symétriques ou géométriques dans différentes parties du corps, souhaitant « trouver grâce » aux yeux de son futur époux. « Le futur marié y a droit aussi. On lui met une boule de henné au creux de la main que l’on aplatit d’une manière traditionnelle et sans aucun modèle de dessin. Quant aux invitées de cette soirée sophistiquée, la femme mariée pourrait se faire faire des tatouages au henné sur la face dorsale et palmaire des mains et de la plante des pieds jusqu’aux chevilles. Cependant, une demoiselle n’y a pas droit. La hadja peut lui faire des dessins uniquement sur la face dorsale des mains, c’est une des traditions nubiennes », confie hadja Sabila, âgée de 70 ans, une Nubienne habitant Aïn-Chams.
Lors de cette même soirée, on pose sur une table un registre et un coffre qui sert pour les « noqout », une somme d’argent versée par les membres de la famille et les amies en guise de cadeau de mariage : parents, voisins de villages ou de tribus. Et chaque invité doit inscrire son nom sur le registre et la somme qu’il a versée. Il est 5h du matin, la soirée touche à sa fin. Une autre va commencer, celle d’« al-leila al-kébira », les noces.
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