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Maladies rares : Une double souffrance

Manar Attiya, Mercredi, 15 septembre 2021

Les patients atteints d’une maladie rare font face à d’énormes défis : diagnostic difficile, traitements chers,inaccessibles ou tout simplement inexistants. Un calvaire qui n’en finit pas.

Maladies rares : Une double souffrance
Le dernier film de Tamer Hosni raconte les souffrances d’un patient atteint d’une maladie rare.

Mech Ana (ce n’est pas moi), c’est le titre du film du chanteur et acteur égyptien Tamer Hosni. Une comédie noire écrite par Hosni et réalisée par Sara Wafiq qui met en lumière le quotidien difficile du jeune Hassan, atteint du syndrome de la main étrangère (une maladie neurologique rare et très troublante). Ce film a remporté un grand succès dès le premier jour de sa projection au cinéma et a rassemblé plus de 10 millions de vues sur YouTube. La main droite du personnage principal du film fait toujours ce qu’elle veut sans qu’il puisse la contrôler, comme si cette main ne lui appartient pas. Il évite alors d’utiliser sa main droite qui lui pose beaucoup de problèmes. Dans le film, le personnage marche dans la rue et soudain, sa main attrape un poteau et ne le lâche plus, et il reste agrippé malgré lui. Il prend sa brosse à dents de la main gauche pour se laver les dents ; brusquement, la main droite la lui retire et la replace dans le verre. Et s’il enfile son pantalon avec la main gauche, la main droite le retire presque aussitôt. Il roule en voiture et brusquement sa main droite tourne le volant alors que la main gauche tente d’empêcher ce geste. Il ouvre une porte de la main gauche, tandis que sa main droite s’efforce de la refermer. Et au moment de régler ses achats dans un supermarché, il sort son argent et le dépose sur le comptoir, mais avant que le caissier n’ait eu le temps de le ramasser, la main droite s’en empare et remet les pièces dans sa poche.

Confusion

Des scènes à l’apparence comiques, mais qui pointent du doigt la réelle souffrance que vivent les patients atteints de ce mal rare. « Soudain, je sens que ma main droite est incontrôlable, comme si elle ne faisait pas partie intégrante de mon corps. Ce syndrome m’a obligé à changer souvent de boulot », se plaint Ahmad Abdel-Samad, chauffeur de taxi. « Tout a commencé par une dispute banale. Je voulais régler un détail avec le patron, car il avait oublié d’ajouter les heures supplémentaires sur ma fiche de paye. Une dispute a éclaté. Et j’ai commencé à lui donner des coups de poing avec ma main droite sans pouvoir maîtriser mon geste. Il m’a chassé tout de suite du travail en prenant les clés de la voiture », raconte-t-il. « Je ne peux plus prendre d’initiative dans mon quotidien, je n’ai plus ni de motivation ni de projets, et je perds tout intérêt pour mes activités antérieures. Il faut souvent que mon entourage me stimule pour entreprendre une activité, m’habiller, me laver, etc. Ces symptômes font parfois penser à tort que je souffre de dépression », raconte une patiente citée par son médecin traitant.

Le syndrome de la main étrangère est une maladie neurologique gênante, surnommée aussi la main capricieuse ou la main du diable. Seules 14 personnes dans le monde sont recensées souffrant de cette maladie rarissime. Ce syndrome peut affecter un membre ou deux, soit la main gauche ou la main droite, la jambe gauche ou droite. Accidents vasculaires cérébraux, tumeurs cérébrales, maladies neuro-dégénératives, attaques cérébrales ou tumeurs cérébrales sont les causes les plus fréquentes d’une telle maladie.

Outre cette maladie que le film Mech Ana met en scène, il existe de nombreux maux peu connus, voire totalement inconnus. D’après une étude de l’European Journal of Human Genetics, plus de 300 millions de personnes dans le monde vivent aujourd’hui avec une maladie rare. Et selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’une personne sur 2 000. Elles se comptent par milliers, entre 6 000 et 8 000. Si presque toutes les maladies génétiques sont des maladies rares, toutes les maladies rares ne sont pas génétiques. Il y a des maladies infectieuses très rares par exemple, ainsi que des maladies auto-immunes et des cancers rares. Pour un grand nombre d’entre elles, les causes demeurent inconnues. Elles sont, en fait, très nombreuses et très variées et peuvent affecter le système musculaire, squelettique et nerveux.

Premier défi : Le diagnostic

Pour les personnes qui sont atteintes de l’une d’elles, la souffrance commence dès les premiers symptômes. Mettre la main sur l’origine du mal est en soi un parcours du combattant. Il est souvent nécessaire de rencontrer de nombreux médecins avant d’être orienté vers les professionnels experts. La démarche diagnostique est longue et difficile. Par exemple, pour ce qui est de la maladie de la main étrangère, les premières années de l’évolution peuvent prêter à la confusion, car cette pathologie présente souvent des caractéristiques cliniques ressemblant à celles de la maladie de Parkinson (tremblements, lenteur des mouvements et raideurs musculaires, fatigue, troubles digestifs …). « Les patients de ce genre sont transférés de médecin en médecin vu la difficulté du diagnostic », confie le professeur Amr Nadim, tout en justifiant qu’il est quasiment impossible de prêter attention à toutes les maladies rares.

Hoda, âgée de 42 ans, atteinte de la maladie de Pompe, une maladie génétique neuromusculaire progressive qui entraîne une faiblesse musculaire progressive, a dû passer 14 ans avant de savoir de quoi il s’agissait. A l’âge de 17 ans, un test sanguin de routine a montré une anomalie dans le CPK, un indice musculaire. Vers 25 ans, les premiers symptômes apparaissent : troubles musculaires et faiblesse au niveau du bassin, des épaules et du diaphragme. D’où un état de fatigue permanent qui l’a contrainte à démissionner de son poste d’enseignante et qui a fortement affecté sa vie personnelle. Résidente du gouvernorat de Qéna, elle a d’abord consulté les spécialistes de sa région. Les médecins ont pensé à un problème avec le foie, puis le coeur, puis les muscles. Elle a dû venir au Caire pour plus d’investigation et a fini par découvrir après un long combat qu’elle était atteinte de cette maladie rare.

Traitements rares et hors de prix

Une fois le diagnostic fait, un autre parcours du combattant attend les malades : le traitement. En effet, moins étudiées par la communauté scientifique que les maladies communes, parfois mal prises en charge par les personnels de santé, elles bénéficient rarement de traitements adaptés et si des médicaments existent, ils sont trop chers. Leurs cas sont souvent trop particuliers pour qu’on y consacre des recherches importantes. C’est sans doute pour cela qu’on les appelle aussi maladies orphelines.

Après une longue bataille, une patiente égyptienne atteinte du syndrome de la main étrangère a dû se procurer des traitements onéreux importés des Etats-Unis pour soulager ses maux. Une chance que tout le monde n’a pas. Récemment, l’histoire du jeune Rachid a défrayé la chronique, avec le hashtag Sauvez Rachid, lancé par ses parents pour collecter l’argent nécessaire pour sauver la vie de leur fils. Cet enfant est atteint d’amyotrophie spinale musculaire (SMA), une maladie génétique rare (une naissance sur 10 000) qui cause une atrophie musculaire des membres inférieurs et supérieurs, ainsi que des difficultés respiratoires. « Les enfants qui souffrent de cette maladie n’atteignent généralement pas les deux ans. Leurs muscles, y compris le coeur, deviennent si faibles qu’ils perdent la vie », explique Dr Solafa, cheffe du département des maladies génétiques à l’hôpital universitaire de Aïn-Chams.

Or, son traitement est hors de prix : pour sauver la vie d’un enfant atteint de cette maladie, on a besoin d’une seule injection de médicament qui coûte 2,1 millions de dollars, soit 34 millions de L.E. C’est le médicament le plus cher au monde, le Zolgensma. Si ce traitement existe, il reste inaccessible. Dans d’autres cas, il n’y a aucun traitement. Dans la plupart des cas, il n’existe pas de traitement curatif, mais uniquement des soins appropriés visant à améliorer la qualité de vie, ou encore à traiter les symptômes.

Et entre le mystère entourant ces maladies, le diagnostic difficile, le traitement introuvable ou inexistant, les patients vivent un vrai cauchemar, ou tout simplement perdent leur vie.

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