« Le monde est beaucoup plus vaste que je ne l’imaginais ». C’est ce que Faten Walid, étudiante de 21 ans, photographe et romancière, a constaté lorsqu’elle a dû affronter la société après avoir quitté l’orphelinat dans lequel elle a grandi. En sortant de cette institution, elle fait face au problème de l’identité dont souffrent beaucoup d’enfants qui n’ont pas choisi ce sort mais qu’ils subissent. Ce qui les oblige parfois à cacher leur statut d’orphelin pour éviter les effets de la stigmatisation à laquelle ils sont confrontés et les questions indiscrètes qui pourraient les importuner. « J’avais le choix entre trois options: révéler qui je suis, m’enfermer dans mon univers ou me réconcilier avec moi-même et admettre que le fait d’avoir grandi dans un orphelinat n’est pas une infamie », confie Faten, en ajoutant : « Il fallait avoir confiance en soi, trouver du travail pour créer un nouveau chemin et apprendre à vivre seule en dehors de l’orphelinat. Cela m’a pris du temps pour me convaincre que j’étais capable de relever tous ces défis. J’ai réussi et j’arrive aujourd’hui à m’imposer dans la société ». Faten raconte son expérience à travers le forum Sanad (soutien) placé sous l’égide de l’ONG Wataniya qui travaille en collaboration avec le ministère de la Solidarité sociale pour veiller à l’application des normes nationales relatives à la protection de l’enfant et aux soins alternatifs dans les orphelinats.
Le forum Sanad a été lancé en 2015, l’édition de cette année est une sorte de plateforme de dialogue animée par des jeunes (filles et garçons) privés de protection parentale. Cette année, l’objectif du forum est de promouvoir l’intégration des orphelins dans la société tout en leur assurant une bonne qualité d’enseignement dès leur plus jeune âge, et ce, pour devenir plus tard indépendants et autonomes. Pour la première fois depuis cinq ans, le dialogue est ouvert au public, outre les parties concernées telles que les ONG, les soignants, les représentants du ministère de la Solidarité sociale, afin de lutter contre les clichés et sensibiliser la société aux droits de ces jeunes. Le forum Sanad a parlé des difficultés rencontrées par ces orphelins privés de protection parentale tout en appuyant sur les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle.
Attention particulière aux filles
Le forum, qui se tient tous les quatre mois, a entamé sa séance sur un thème délicat : « L’intégration sociale des filles privées de protection parentale », car leurs problèmes sont plus compliqués. Lors de cette séance, les filles ont raconté leurs histoires inspirantes après avoir quitté l’orphelinat. « Il existe une sorte de contradiction en ce qui concerne l’attitude de la société envers l’orphelin: on fait preuve d’empathie envers les orphelins en bas âge, notamment à travers des dons, mais ça s’arrête là. Nombreux sont ceux qui peuvent se montrer réticents si leurs enfants ont des copains qui vivent dans des orphelinats, sortent avec eux ou les invitent à la maison sous prétexte de ne pas connaître l’éducation qu’ils ont reçue », explique Iman Abbas, responsable de communication à l’ONG Wataniya. Plus compliqué encore, selon cette même source, lorsque l’orphelin atteint l’âge de la majorité, et qu’il désire intégrer la société, il doit faire face, et très souvent, à de nombreux défis. Le rejet et le harcèlement moral traquent le jeune orphelin à chaque fois qu’il tente d’entamer un nouveau projet de travail ou de mariage. La situation est plus grave pour les filles, comme le pense Azza Abdel-Hamid, fondatrice et PDG de l’ONG Wataniya.
Selon la loi, un enfant doit rester dans l’orphelinat jusqu’à l’âge de 18 ans. Après cet âge, la question dépend de chaque institution. Certaines offrent aux jeunes hommes une période transitoire dans une maison annexe et donnent la chance aux filles de rester jusqu’au mariage, d’autres n’en ont pas les moyens.
Se trouver une place
Une fois sorti, le jeune orphelin entame un parcours d’insertion difficile. Il fait face à des problèmes identitaires, certes, mais aussi à une multitude d’autres défis. Comment trouver un appartement à louer, se comporter avec les voisins? Comment gagner sa vie? Bref, comment gérer sa vie ?
« En Occident, les jeunes deviennent indépendants dès l’âge de 18 ans et apprennent à gérer leur vie prématurément. Par contre, la famille égyptienne est surprotectrice, cela fait partie de notre culture. La question s’aggrave pour les enfants se trouvant dans les orphelinats, dont la marge de liberté est très restreinte, et ce, parce qu’en cas de problèmes, la responsabilité sociale et juridique est engagée. Du coup, ils ne savent pas se débrouiller seuls même dans les tâches les plus basiques », explique Noha Imam, directrice de l’unité de recherche à l’ONG Wataniya.
Nahla Al-Nemr, ambassadrice de la solidarité auprès du ministère de la Solidarité sociale, partage cet avis. Elle explique que dans les orphelinats où elle a séjourné, une équipe était chargée d’accomplir les tâches du quotidien. « Après avoir quitté l’institution, je devais faire plein de choses auxquelles je ne m’étais pas préparée. Et d’autres défis se sont ajoutés comme par exemple comment se comporter avec les voisins ou faire face à leurs regards gênants. Nous étions 5 filles qui avons décidé de manière collective de quitter l’orphelinat et vivre ensemble sans la présence d’un protecteur bienveillant », raconte Nahla Al-Nemr.
Quant à la question du mariage, Nahla confie que c’est plutôt délicat. « La famille égyptienne a tendance à se vanter de l’origine de celui ou celle qui va se marier avec sa fille ou son fils. Un(e) orphelin(e) aux origines inconnues est donc très mal perçu », confie Al-Nemr. Pourtant, certaines filles, qui ont fait des économies grâce aux dons, peuvent être exploitées.
Et en cas de divorce, la situation est encore plus dramatique. Car en cas de répudiation, la femme se retrouve dans la rue étant donné qu’elle n’a pas de maison familiale pour trouver refuge et elle ne peut pas retourner à l’orphelinat. Le problème s’aggrave quand elle a des enfants. Résultat, beaucoup d’orphelins hésitent à prendre la décision de quitter l’orphelinat et lorsqu’ils sont obligés de le faire, la période transitoire ne semble pas se dérouler sans remous.
Les suivre et leur apprendre l’autonomie
La solution? « Notre objectif, à travers le dialogue au sein du forum Sanad, est de garantir que la période transitoire orphelinat-société se déroule sans problème. On leur fournit d’abord un soutien psychologique qui peut les aider à surmonter ce problème d’identité avant de s’ouvrir au monde extérieur, leur indiquer les moyens de prévention et de protection pour faire face au harcèlement moral ou physique, aux situations difficiles et aux questions indiscrètes qui peuvent provoquer de la gêne. Bref, il s’agit là d’une sorte de réhabilitation psychosociale », explique Azza Abdel-Hamid. « On leur donne aussi quelques conseils et outils pour gérer le quotidien en dehors de l’orphelinat, comment louer un appartement, gérer un budget, couvrir leurs propres dépenses, retirer des documents officiels, signer un contrat. Et pour le côté professionnel, on leur apprend comment faire un CV, zapper sur les applications pour chercher un emploi tout en leur citant divers moyens pour développer leurs compétences », avance Azza Abdel-Hamid. Et d’ajouter que ce programme est appliqué dans 13 orphelinats en espérant que cette expérience trouvera écho auprès d’autres institutions.
Dr Hana Aboul-Ghar, fondatrice et directrice de la fondation Banati, une des institutions offrant ce genre de formation, raconte : « 12 filles avaient décidé de sortir de l’orphelinat (5 parmi elles remplissaient les conditions de sortie à l’âge de 20 ans). Quand elles ont décidé de louer un appartement, nous étions avec elles, mais en les laissant agir seules », explique Aboul-Ghar.
Et pour rendre ces jeunes plus autonomes, Dr Névine Al-Qabbag, ministre de la Solidarité sociale, a fait une suggestion. « Nous devons donner à l’orphelin l’occasion d’exprimer son opinion, comme refuser de manger un plat qu’il n’aime pas, par exemple, comme cela se passe dans les familles ordinaires, car pouvoir s’exprimer peut lui donner confiance en lui-même et l’aider à affronter la vie lorsqu’il sera autonome et indépendant ». Et d’ajouter : « Il est temps de former des groupes de soutien pour protéger ces filles et ces garçons et les aider à faire face à tous ceux qui les intimident, les exploitent ou les maltraitent. Il faut aussi former des groupes de thérapie narrative pour que ces jeunes puissent s’extérioriser et partager leurs maux et soucis ». Selon la ministre, sécuriser le mariage, surtout pour la jeune fille, et la protéger légalement, socialement et législativement sont une chose importante. « Et face au taux élevé du divorce dans la société, on doit leur assurer une protection efficace et protéger le minimum de leurs droits. Il faut que l’Etat pense à leur consacrer des appartements, afin d’avoir un endroit où habiter après le divorce, car elles n’ont pas de maison familiale pour y trouver refuge », conclut-elle .
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