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La mer, l’hiver, un envoûtement d’un autre genre

Dina Bakr, Mercredi, 27 janvier 2021

Se rendre à la Côte-Nord en dehors de la période estivale, il y en a qui en sont mordus. Focus sur ces fugitifs des grandes villes en quête d’un endroit paisible, loin de l’agitation de la haute saison. Reportage.

La mer, l’hiver, un envoûtement d’un autre genre

A 75 ans, Ezzat ne fait pas son âge. Peu de cheveux blancs, le corps svelte, très sociable et débordant d’énergie. Mais son âge lui donne la liberté de faire ce qu’il veut de son temps. Selon ses propos, l’hiver est la période idéale pour jouir pleinement de ses vacances sur la Côte-Nord et profiter de l’air marin, surtout en ces temps de coronavirus. « Je suis né à Ismaïliya, ma mère est de Port-Saïd et j’ai fait mes études universitaires à Alexandrie. J’ai toujours habité près du littoral, été comme hiver. Je ne crains ni la pluie, ni l’orage. Ma passion pour la mer ne date pas d’aujourd’hui. Passer un séjour au calme, entouré de la mer, permet de booster mon moral », confie Ezzat. Aller à la Côte-Nord en dehors de la saison estivale, c’est surtout l’occasion pour lui de vivre dans un climat de quiétude et de sérénité, de rencontrer des gens qui lui ressemblent et de profiter pleinement de cette petite escapade. Il n’est plus question pour Ezzat de satisfaire les caprices des membres de la famille qui varient entre réserver une bonne place sur la plage, faire un tirage au sort pour choisir un des restaurants préférés de ses enfants ou surveiller les gamins dont certains désirent rencontrer leurs amis l’après-midi, tandis que d’autres veulent jouer un match sur le terrain de foot du village touristique. « Durant l’été, je m’adapte aux rythmes imposés par les membres de ma famille parce que mes enfants et mes petits-enfants veulent profiter pleinement de leurs activités estivales car ils ne passent que deux semaines de vacances seulement. Alors, j’essaye de faire de mon mieux pour exaucer les désirs de chacun et satisfaire tout le monde malgré le rythme rapide et surchargé de ce quotidien d’été. Maintenant, c’est différent », explique Ezzat, qui a décidé de prolonger son séjour en bord de mer, seul.

Il n’a en effet pas demandé à sa femme de l’accompagner. « Je suis un homme indépendant, j’arrive à faire quelques corvées domestiques et préparer des plats délicieux que j’ai appris à faire en regardant ma mère cuisiner quand j’étais jeune », dit Ezzat, en ajoutant que ses petits-enfants lui demandent de préparer certains plats et pas à leur grand-mère. Ezzat passe son temps à faire de la marche à pied dans les rues du village touristique où les espaces verdoyants et la belle vue de la mer sont époustouflants. Il est aussi bien équipé pour les nuits fraîches, chauffage et couettes sont là. « J’éprouve de la joie lorsque la pluie tombe. La plupart du temps c’est le signe qu’il fera beau temps le lendemain. Ici, j’ai l’occasion de voir les arcs-en-ciel. Ces changements climatiques me font revivre un bon nombre de souvenirs d’enfance qui sont tous chers à mon coeur. Le fait d’avoir un espace personnel pour me détendre et accomplir des tâches et des activités en toute sérénité me permet de booster mon énergie et d’être apte à résoudre les problèmes auxquels je dois faire face au quotidien », déclare Ezzat, pour lequel ce séjour hivernal en solitaire est l’occasion de se ressourcer. Et de rappeler que le célèbre acteur Ahmad Ramzi, disparu en 2012, avait choisi de vivre les dix dernières années de sa vie à la Côte-Nord. Son dernier souhait était d’être enterré à Sidi Abdel-Rahmane, près du village touristique où il a vécu, et avec des funérailles simples loin des feux des projecteurs. « J’ai voulu m’éloigner, m’isoler, rencontrer les gens que j’aime et choisir à qui je veux parler. Le Caire n’est plus comme avant. Dans la capitale, les gens vivent sous stress sans oublier la pollution de l’air qui détériore la santé », avait-il déclaré dans une interview publiée dans le quotidien Al-Youm Al-Sabie.

Bien-être, confort et escapades hivernales

Des mots qui résument l’intérêt de l’artiste pour la nature, tout comme tous ceux qui, eux aussi, choisissent d’écouter les oiseaux chanter et d’observer la nature en automne et en hiver dans ce refuge idéal. « J’ai lu une étude sur un site Internet selon laquelle la mer et la verdure peuvent faire du bien à notre mental et à notre bien-être au quotidien. J’ai donc décidé d’en faire l’expérience. Et c’est vrai ! Une promenade au bord de la mer booste vraiment l’humeur, surtout quand la plage est vide », raconte de son côté Soha, une Alexandrine qui passe ses week-ends à la Côte-Nord, même en hiver.

La mer, l’hiver, un envoûtement d’un autre genre
En hiver, la Côte-Nord est le lieu idéal pour échapper aux embouteillages et au vacarme de la ville, mais aussi pour respecter les mesures barrières imposées par la pandémie.

Des séjours hivernaux à la Côte-Nord sont désormais possibles vu que la région n’est plus désertique comme auparavant. Habiter sur le littoral ne signifie pas être privé des choses essentielles qui répondent au style de vie de la capitale. Aux alentours des villes de la Côte-Nord, il existe des marchés qui offrent à ces « refugiés » tout ce dont ils ont besoin. A l’exemple d’Al-Hammam, Sidi Abdel-Rahmane et Dabaa ; on y trouve des fruits et des légumes à des prix abordables et les épiceries sont bien garnies tout comme dans la capitale. En fait, les résidents de la Côte-Nord ne vont pas dans les centres commerciaux où les prix sont nettement plus chers qu’ailleurs.

Plus qu’auparavant, cette année, la Côte-Nord est prisée par de nombreuses personnes qui travaillent à la maison. « Pour moi, c’est l’endroit parfait pour respecter la distanciation sociale en cette période de pandémie de coronavirus. Une mesure respectée dans tous les villages touristiques. Dans les villages de la Côte-Nord, des kilomètres séparent les chalets », dit Moustapha, 36 ans, comptable. Dès mars dernier, quand les premières mesures de lutte contre le coronavirus ont été prises, notamment le télétravail, il y a trouvé refuge. Et il est resté des mois sur place.

Ali, 55 ans, ingénieur, homme d’affaires et actuellement président de l’Union des propriétaires des villages touristiques, explique que les travaux de maintenance se font désormais en continu pour que l’endroit puisse accueillir les propriétaires ou les locataires 12 mois/12. « Je suis l’un des fondateurs de ce village qui date de plus de vingt ans. Les problèmes de coupure de l’eau et de l’électricité étaient très fréquents dans le temps », dit-il. Ali compte parmi les personnes qui ont fait des va-et-vient incessants dans des bureaux de responsables pour réclamer la mise en place d’un plan de continuité des services essentiels aux habitants et estivants. Pour lui, passer un hiver sur la Côte-Nord signifie travaux de maintenance. Il doit veiller au bon fonctionnement des services d’intérêt général pour que les estivants voient la différence d’une année à l’autre. Dernièrement, les membres de l’Union des propriétaires ont décidé de paver les rues du village et créer une unité de dessalement de l’eau.

Si ces séjours hivernaux ne sont pas adéquats à la baignade ou aux moments passés au bord de la mer pour se faire bronzer, les stations balnéaires ne se transforment pas forcément en villages fantômes durant l’hiver. « En fait, rares sont ceux qui savent que sur la Côte-Nord, on peut faire autre chose que se baigner. Il existe des endroits à visiter comme le Musée militaire, le temple du dieu Horus, ou encore les cimetières allemand et italien où sont enterrés les soldats morts lors de la Seconde Guerre mondiale à Al-Alamein. Mais rares sont ceux qui s’y rendent. Les estivants passent leur temps à s’attabler aux cafés, à se rendre dans les centres commerciaux ou à aller dans les restaurants de luxe », indique Azza Mahmoud, 30 ans, journaliste.

Rendre la région viable toute l’année

Mais les amateurs de la Côte-Nord en hiver restent peu nombreux. Le directeur d’un village touristique affirme que durant l’hiver, seuls 3 propriétaires de chalets sur les 150 existants s’y rendent ces temps-ci.

Cela dit, des efforts sont entrepris par l’Etat pour rendre la région viable toute l’année et pas seulement pendant l’été. « En fait, les villages touristiques situés sur la Côte-Nord sont une valeur immobilière dont on ne tire aucun profit. Des sommes énormes ont été dépensées et les résidences secondaires ne sont occupées que le quart de l’année. D’après un rapport du ministère du Logement, il y a 12,8 millions de logements fermés, et la Côte-Nord compte 4 millions de logements fermés en hiver », énonce l’urbaniste Ahmad Zaezae. Il a calculé qu’à peu près 16 % des Egyptiens se rendent sur la Côte-Nord uniquement en été. En fait, la nouvelle ville d’Al-Alamein est conçue de telle sorte que n’importe qui peut envisager d’y vivre toute l’année. Une université et d’autres institutions sont en cours de construction et vont changer la donne. « Je rêve d’adhérer au corps professoral de l’Université d’Al-Alamein. Là-bas, la qualité de vie est meilleure. Il faut s’attendre à ce que les résidences secondaires soient occupées toute l’année. Il est temps de changer de discernement : ne plus s’attacher à son lieu de naissance et participer à l’urbanisation des villes nouvelles », conclut Fayrouz Fouad, professeure de linguistique à la faculté des langues.

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