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Les marchands de mort

Manar Attiya , Mardi, 25 septembre 2012

Depuis la Libye, des convois de contrebandiers traversent l’Egypte pour se rendre jusque dans le Sinaï. A bord de 4x4, ces trafiquants roulent la nuit et évitent les routes. Leur business est particulièrement lucratif. Reportage.

Les marchands de mort

A 750 km du Caire, sur la route désertique Salloum-Marsa Matrouh, un convoi de 15 véhicules dévale la chaussée à toute allure. Des 4x4 Land Rover, des Jeeps et des camions Toyota double cabine. A bord de ces véhicules : des trafiquants d’armes, des Egyptiens, des Libyens, des Soudanais et des Tchadiens. Certains sont très jeunes, d’autres semblent plus âgés.

Le convoi, parti d’Al-Jaghboub, oasis perdue dans le nord-est libyen, se dirige vers Salloum à la frontière égyptienne, d’où il prendra la direction de l’oasis de Siwa, pour arriver à Dabaa et partir ensuite vers Le Caire, Alexandrie ou la Haute-Egypte (le plus grand marché d’armes en Egypte à cause des vendettas).

Le convoi ne se déplace que la nuit. Au volant d’un 4x4, Magdi, un jeune homme au regard perçant, parvient à franchir tous les points de contrôle sans être fouillé. Après chaque passage réussi, ses compagnons tirent des coups de feu en l’air. « C’est une manière d’exprimer notre joie parce que le trajet se déroule sans problème », dit-il.

Abou-Hamed, un autre contrebandier, ajoute : « On faisait ce trajet facilement pendant la révolution et les mois qui l’ont suivie car la police était inexistante en Egypte ». Aujourd’hui avec le redéploiement de la police, les trafiquants d’armes sont obligés d’emprunter des itinéraires peu connus de la police et des gardes-frontières. Les 4x4 et les Jeeps traversent les dunes de la Grande Mer de sable (cordon de dunes immenses de 650 km de long et de 325 km de large), ou du Désert blanc, (situé dans la dépression de Farafra à 500 km du Caire) pour repartir ensuite vers les villes de la Haute-Egypte, Le Caire ou Alexandrie.

Certains trafiquants vont jusqu’au Sinaï, plateau caillouteux surplombé de bloc montagneux.

Sayed et Ziyad sont les guides du convoi. Dans leur voiture, il n’y a pas d’armes, tandis que les autres véhicules transportent tout un arsenal. Des lance-roquettes RPG, des grenades, des mitrailleuses de fabrication coréenne, des roquettes antichars, des revolvers, des fusils à jumelles, des charges explosives et même de l’artillerie lourde. Pour ces contrebandiers c’est un commerce qui rapporte. « Un kalachnikov coréen se vend à environ 1 700 dollars, une mitrailleuse à 2 300 dollars », explique l’un des trafiquants.

Les trafiquants cachent les armes sous le châssis ou sous les fauteuils du véhicule. Sayed et Ziyad étaient trafiquants de stupéfiants et se sont convertis, avec le conflit armé en Libye, au trafic d’armes. « Les affaires marchent bien », se félicitent-ils, en se frottant les mains. Ils avouent avoir transporté des quantités importantes d’armes et de munitions vers l’Algérie et l’Egypte.

Cet arsenal de guerre a été volé dans les dépôts de l’armée libyenne après la chute du régime de Kadhafi, fin août 2011. Ce trafic très dangereux est un métier de famille transmis de père en fils. Sayed et Ziyad sont membres de la plus grande tribu de Matrouh, celle de Awlad Ali(les fils de Ali) originaire de la Libye. Ils habitent le désert situé entre Alexandrie et Matrouh. Les membres de la tribu du côté libyen siègent à 240 km de Tobrouk (ville portuaire de l’est de la côte libyenne, près de la frontière avec l’Egypte).

La construction des villages touristiques sur la Côte-Nord a économiquement profité à cette tribu, qui est à l’origine de la propagation du trafic de drogue dans la région. « Pourquoi continuer dans le trafic des stupéfiants, alors que celui des armes est plus rentable ? », s’interroge un membre de la tribu. Il explique que les itinéraires autrefois empruntés pour le trafic de stupéfiants sont aujourd’hui empruntés pour le trafic d’armes entre la Libye, l’Algérie et l’Egypte.

Depuis les années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, les trafiquants de Marsa Matrouh utilisaient des dromadaires et des ânes pour acheminer les armes et la drogue provenant de Libye et d’Italie. « Les dromadaires et les ânes connaissaient le chemin par coeur », avoue un bédouin de Matrouh.

Depuis le début de la révolution du 25 janvier 2011 et la chute de l’ancien régime, l’Egypte connaît un recul de la sécurité qui fait que le trafic d’armes se répand. « Des milliers de pièces d’armes sont passées entre les mains des contrebandiers, entre janvier 2011 et juillet 2012 », estime une source de sécurité, ayant requis l’anonymat.

Depuis le début du Printemps arabe, le trafic d’armes a pris de l’ampleur. Des armes de toutes sortes en provenance de Libye inondent le marché égyptien depuis la chute de l’ancien régime libyen, surtout que les frontières entre les deux pays sont faciles à percer.

Le trafic d’armes et de munitions provient en grande partie de Libye.« Néanmoins, les forces de sécurité n’ont réussi à saisir que 10 % seulement des armes illégales en Egypte », explique un officier de police, qui travaille aux frontières. « Le problème est qu’on ne possède pas d’équipements sophistiqués permettant la saisie des armes qui passent par les frontières », ajoute-t-il.

Le Sinaï, refuge de contrebandiers

De Salloum à la péninsule du Sinaï, le décor et le trajet sont différents. Le Sinaï arrive en 2eposition dans les ventes d’armes. Ici, le principal fournisseur d’armes était auparavant le Soudan-Est et ses régions conflictuelles, mais après la chute de Kadhafi, la Libye est devenue une source supplémentaire de trafic. Pour cacher leurs armes, les contrebandiers creusent des cachettes dans la montagne. Dans ces cavernes de Ali Baba, on trouve de nombreux types d’armes de fabrication russe, italienne et israélienne en provenance de Libye, du Soudan et du Tchad.

La Mont Al-Halal ou Jabal Al-Halal où il y a de nombreuses grottes est la plus connue dans la région du Sinaï. Elle est constituée de collines rocheuses d’une altitude de 2 000 m et est habitée par les tribus Al-Sawarka aunord et Al-Tarabine et Al-Tayaha au centre.

Cette Mont, très fameuse, a toujours été le refuge des groupes extrémistes et des hors-la-loi. La montagne est riche en pâturage et les gens vivent de l’élevage. Les monts du Sinaï avaient déjà été la cible d’attaques et d’opérations par les forces de sécurité. « Le 11 février 2012, dans le Sinaï, l’Egypte a saisi une cache d’armes contenant plusieurs tonnes de TNT et de missiles antiaériens destinés à être passés en contrebande dans le secteur de Gaza, ces armes proviennent certainement de la Libye », déclare une source de sécurité.

Pour détourner les regards des policiers, la plupart des bédouins cherchent une façade derrière laquelle ils peuvent se cacher. Ils font des activités commerciales qui n’ont aucune relation avec le trafic d’armes. Par exemple, le cheikh Hamada possède un magasin d’épices et d’herbes aromatiques, situé à Cheikh Zowayed. Mais quand il est question de trafic d’armes, il se cache le visage avec un voile blanc pour ne pas être reconnu. Et pour les coups de fil, il a l’habitude d’utiliser un portable de fabrication chinoise qui transforme sa voix en voix d’enfant ou de femme.

« Pour nous, le trafic d’armes est légal car on le vend aux moudjahidines (combattants) palestiniens qui défendent leurs terres », justifie Mehasseb, un jeune trafiquant de 20 ans qui se déplace pieds nus pour donner l’impression qu’il est démuni, alors qu’il a accumulé une grande fortune grâce au trafic d’armes. Selon un de ses cousins, il possède des millions de L.E. et 1 500 feddans de terrains.

Les trafiquants traversent aussi parfois le tunnel du martyr Ahmad Hamdi reliant la partie est du Caire à la péninsule du Sinaï. Là un guide les attend sur une route parallèle à la route désertique du Sinaï jusqu’à Rafah.

Après les attaques sanglantes de Rafah pendant le mois du Ramadan dernier, la police et l’armée ont mené une campagne destinée à détruire les tunnels clandestins entre Rafah et Gaza, par lesquels passaient les armes vers le secteur. « Le 30 août, 31 tunnels ont été détruits dans des opérations qui ont également permis aux forces égyptiennes de saisir des armes automatiques ainsi que des lance-roquettes et leurs munitions », note un responsable de la Sûreté d’Etat.

Dans ce trafic, les bédouins jouent un rôle pivot. Mohamad, un bédouin de 23 ans, a l’habitude de faire des allers-retours vers Gaza via les tunnels. « L’armée ne pourra pas nous empêcher d’aller voir les membres de notre famille qui habitent de l’autre côté de la ligne frontalière ! Nous ne respectons pas ces frontières », martèle-t-il.

Réaliste, Mohamad poursuit : « Tant que vous payez, vous pouvez tout faire passer, de la nourriture, des médicaments, des hommes et principalement des armes ! ». Cela veut dire que certains gardes-frontières perçoivent des pots-de-vin, allant parfois à 20 000 L.E., pour faire passer les produits. « Ce n’est rien en comparaison avec ce que les magnats de ce commerce gagnent. Ils ferment les yeux à cause de leurs salaires trop faibles. Ils restent postés pendant de longues heures en plein désert sous la chaleur du soleil ou sous l’effet du froid cinglant de l’hiver », témoigne un chauffeur, qui a l’habitude de faire des allers-retours Le Caire-Sinaï. « Ces gardes-frontières corrompus savent parfaitement qu’ils peuvent être frappés à mort s’ils osent déroger aux règles du jeu », ajoute-t-il

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