Il est 13h, des élèves accompagnés de leurs parents franchissent le portail de l’école pour s’inscrire. Chacun dépose son passeport à l’entrée ainsi que 2 photos et prend un formulaire. Le flux des parents est incessant. Ils sont accueillis par 4 jeunes Syriens aimables qui font tout leur possible pour leur faciliter les choses. Ceux-ci jouent aussi le rôle d’agents de sécurité, car ils auraient appris que deschabihas (hommes de main) seraient venus de Syrie pour semer le chaos. Ils sont vigilants envers toute personne qui accède à l’école.
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« On ne dira jamais non à qui que ce soit. Près de 500 élèves ont déposé leurs demandes. C’est vraiment un fardeau pour l’administration de l’école. Désormais, la journée commence à 8h et se termine vers 20h », précise Obaïda, professeur d’histoire. Cet établissement éducatif renferme 5 salles pouvant accueillir 20 à 30 élèves chacune, soit au total entre 150 et 200 élèves. Il abrite tous les cycles scolaires, allant de la première année primaire jusqu’en terminale.
« Je remercie Dieu d’avoir enfin trouvé une école syrienne afin d’inscrire mes enfants qui sont restés un an et demi à la maison sans école, à cause de la guerre sanglante qui se déchaîne dans notre ville de Homs », explique Oum Yasser, une Syrienne expatriée depuis 2 mois. Son fils est obligé de passer un examen d’évaluation de niveau afin de déterminer la classe qu’il devra rejoindre. Pour la maman, peu importe que son enfant redouble. L’essentiel est d’avoir une école syrienne dans la ville du 6 Octobre où réside une grande communauté syrienne. On y trouve en effet plus de 450 familles.
L’école se trouve dans un immeuble. La façade porte une enseigne sur laquelle on peut lire : Centre éducatif pour les cours particuliers. « C’est le Conseil national de la Syrie (groupe d’opposition) qui nous a donné la permission d’ouvrir cette école pour recevoir les Syriens résidant en Egypte », explique Ibrahim Al-Diri, président de la communauté syrienne et principal mécène de l’école. Il souhaiterait cependant obtenir l’accréditation du gouvernement égyptien pour la création d’une école plus spacieuse afin de pouvoir l’aménager avec une vingtaine de classes, une aire de jeux et une cour.
« Ici l’enseignement est gratuit, car nous savons très bien que les parents ont d’énormes dépenses, qu’ils doivent payer les loyers qui s’élèvent à 3 000 L.E. par mois. De même, les frais de scolarité dans les écoles privées égyptiennes s’élèvent à 4 000 L.E. par an au minimum. Il est difficile pour les parents d’y inscrire leurs enfants d’autant plus qu’ils ne savent pas quand ils pourront rentrer chez eux », explique Al-Diri.
Programmes simplifiés
Les dépenses de fonctionnement de cette école s’élèvent à 130 000 L.E. par an. Les différents cours récupérés via Internet sont imprimés et remis gratuitement aux élèves. Le loyer est de 7 500 L.E. par mois outre les rémunérations d’une trentaine d’enseignants.
Les programmes sont purement syriens et n’ont pas été modifiés, mais la révolution y a mis son empreinte. La matière appelée éducation nationale n’existe plus. Cette matière n’avait qu’un seul objectif : effectuer une sorte de lavage de cerveau pour convaincre les enfants des avantages du président éternel de la Syrie. Les élèves se trouvaient obligés d’apprendre par cœur les citations du président Hafez Al-Assad.
Ces propos du président éternel représentaient les deux tiers de cette matière. « L’élève ne pouvait modifier un mot ou placer un synonyme au lieu d’un autre dans les propos du président. C’est comme si les élèves apprenaient le Coran par cœur », avoue Zobaïda, enseignante à la retraite. Elle est venue avec sa nièce qui a inscrit sa fille unique à l’école.
Elle se souvient qu’à l’époque, elle faisait partie des professeurs qui avaient modernisé les programmes de mathématiques et d’arabe. Ils avaient présenté leurs propositions au comité de rédaction des livres. Mais personne ne pouvait oser toucher aux matières de l’éducation nationale ou de l’histoire. « Celui qui ose évoquer ces matières risque de perdre la vie », dit-elle en blaguant. Cette vieille dame semble être heureuse de vivre ce moment de l’Histoire et de voir le régime d’Al-Assad sur le point de disparaître.
Ammar, 14 ans, est content d’apprendre de son professeur d’histoire qu’il n’y aura plus d’éducation nationale ni de mensonges historiques. « J’ai par exemple appris en première année préparatoire que ce sont les Alaouites qui ont libéré la Syrie de la colonisation française. Ce sont les Syriens qui ont libéré leur pays du colonialisme », dit-il. Cet élève fait allusion au fait que la faction religieuse de la famille du président a été mise en relief dans l’histoire du pays.
Hassan, avocat, est en train de remplir les formulaires de ses 2 enfants. Il se souvient encore aujourd’hui du calvaire de l’enseignement des matières théoriques. Il se souvient de son dépit d’apprendre par cœur les paroles et les réalisations du président tout au long du cursus scolaire. « Les réalisations du président étaient pour le président et non pas pour le peuple », constate aujourd’hui Hassan.
Des sentiments contradictoires émergent, entre la joie de pouvoir placer ses enfants dans une école et la crainte de l’avenir incertain. « Je ne veux pas que mes enfants vivent comme moi dans l’ombre de la famille Al-Assad. Dans l’hymne national, dans les rues, partout le président était présent », raconte Khaled Aboul-Nour, architecte et père de 4 enfants. Il précise qu’à chaque fois qu’il critique le président, il ressent une peur interne qu’il ne peut contrôler malgré son âge. Il espère que ses enfants ne connaîtront jamais ce sentiment. Il estime que purifier le programme syrien des mensonges qui bourrent l’esprit des enfants est déjà une bonne chose. Ces enfants qui sont aujourd’hui en Egypte ont plus de chance d’apprendre ce que c’est la liberté et la démocratie.
Traumatismes
Beaucoup d’enfants gardent de mauvais souvenirs de la Syrie. Rana, 8 ans, demande à sa maman : « Est-ce que les études seront interrompues comme en Syrie ? Est-ce que je ne vais plus revoir mes camardes ? ». La maman répond en souriant que l’Egypte est beaucoup plus stable et qu’elle aura de nouveaux camarades pour toujours.
Si les Syriens ont pu supporter pendant une quarantaine d’années l’enseignement de programmes scolaires déformés, ils n’ont pu supporter ni les massacres quotidiens, ni les explosions. « Alors que les enfants sont à peine arrivés à l’école, on reçoit des appels pour aller les récupérer. Arrivés à l’école, on découvre que la direction de l’école a pris des mesures de sécurité en fermant les portes jusqu’à l’arrivée des parents », raconte Oum Amin. Cette dame remercie Dieu d’être loin de tout cela aujourd’hui.
Même chose pour Abdel-Hadi, 10 ans, qui se souvient que lorsqu’ils entendaient en classe les explosions, ils se mettaient tous à plat ventre par terre, puis ils descendaient dans un abri. La maman de ce jeune garçon, mince aux yeux vifs, espère qu’il pourra surmonter cette période d’instabilité scolaire vécue en Syrie. « Je pense que le plus grand problème des professeurs dans cette nouvelle école sera d’effacer de la mémoire des enfants les traces de cette expérience sanglante et amère », avance cette mère.
Cette école a l’intention d’accueillir une majorité de Syriens sunnites qui représentent la majorité des réfugiés en Egypte. Le nombre de chrétiens, d’Alaouites et de Druzes est beaucoup inférieur malgré le fait qu’ils sont parmi les premières victimes de la guerre civile.
Le président Mohamad Morsi a annoncé, lors de sa visite à la Ligue arabe il y a 2 semaines, sa décision de traiter les étudiants syriens en Egypte sur un pied d’égalité que leurs camarades égyptiens. En outre, l’Egypte est entrée en contact avec la Turquie pour coordonner l’envoi de professeurs égyptiens dans les camps des réfugiés syriens en Turquie. Mais l’espoir pour tous est de pouvoir au plus vite rentrer chez eux dans un pays calme où la paix serait enfin revenue.
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