
Manifestation organisée par les parents devant l’école où il y a eu le viol de 5 élèves.
« Je ne serai apaisée que lorsque ce monstre sera condamné à mort », lance la mère hors d’elle. Son fils de trois ans et demi, scolarisé dans une école internationale au quartier de Madinet Nasr, a été victime de viol. L’inculpé n’était autre que l’agent de sécurité de cette école. Tout a débuté le 7 avril, quand l’enfant est rentré chez lui souffrant de douleurs. Omar, qui commence à peine à balbutier ses premiers mots, n’a pas compris ce qui s’est passé. Alors que c’est un enfant joyeux, il est tombé dans un mutisme total. Il ne jouait plus comme avant et restait en retrait des autres enfants. « J’ai senti alors que quelque chose n’allait pas. Deux jours plus tard, mon fils criait en raison des douleurs, lorsqu’il rentrait aux toilettes. Il m’a dit en pleurant qu’il avait un bobo aux fesses. En vérifiant, j’ai découvert qu’il avait des ecchymoses sur le corps et son sexe était enflé. Je lui ai demandé si quelqu’un l’avait touché ou lui avait retiré le pantalon, il m’a répondu que l’agent de sécurité l’avait emmené sur la terrasse et s’est mis à jouer avec lui à un jeu spécial tout en lui demandant de n’en parler à personne », rapporte la mère encore sous le choc. Cette dernière s’est empressée de porter plainte contre le présumé pédophile. Elle apprendra plus tard que l’agent de sécurité en question avait déjà abusé sexuellement de trois autres garçons et une fille. Les parents d’élèves organisent alors des manifestations devant les 22 branches de cet établissement dans divers gouvernorats. De plus, une campagne sur Facebook est lancée sous le titre « Touche pas à mon enfant », pour réclamer que le coupable soit condamné. Résultat : il a été arrêté et l’école a été placée sous contrôle administratif et financier du ministère de l’Education en attendant la fin de l’enquête.
Depuis quelques mois, des histoires d’abus sexuels sur des élèves défraient la chronique. Dans le gouvernorat de Minya, Omniya, une élève de 9 ans, a été violée par le planton d’une école primaire. Son père a porté plainte. Et le directeur d’une école à Guiza, âgé de 52 ans, a fait subir le même sort à 6 élèves de moins de 14 ans et a filmé la scène sur son téléphone portable. Enfin, un enseignant à Béheira a été déféré au Parquet général, impliqué dans le viol de six jeunes filles.
Peu de statistiques
Il existe très peu de statistiques sur la pédophilie en Egypte. Le Centre national pour la maternité et l’enfance a recensé 1 000 cas entre janvier et octobre 2014. Mais d’après Hoda Badrane, présidente de l’Union générale des femmes, il est difficile d’avancer un chiffre exact. « Prouver ce genre d’abus est difficile, car il faut vérifier si l’enfant dit la vérité ou non », affirme-t-elle. Elle pense qu’il y aurait au moins 3 000 cas de pédophilie chaque année en Egypte. « Cela a toujours été un tabou. Mais aujourd’hui, on commence à le briser », dit Badrane. Les enfants de moins de huit ans sont les plus exposés aux agressions. Ceci est dû, d’une part, au jeune âge des victimes qui ne leur permet pas de prendre conscience des pratiques scandaleuses liées aux agressions et, d’autre part, à leur incapacité à faire face aux pressions et aux contraintes. « Un pédophile choisit à la fois sa victime et le lieu de son crime. Il opte pour les endroits qui procurent aux enfants et à leurs familles sécurité et quiétude. En d’autres termes, les lieux où l’enfant passe quotidiennement une grande partie de son temps : domicile familial, écoles, clubs, orphelinats, etc. », explique Badrane. Hani Hilal, président du Centre égyptien des droits de l’enfant, dénonce : « Le silence observé face à ces violations dont sont victimes les enfants. Se taire, c’est propager la pédophilie. Se taire, c’est être complice », dit-il. Le fait que plusieurs cas d’abus sexuels sur des enfants ont eu lieu dans des établissements scolaires a choqué beaucoup de personnes. « Serons-nous amenés un jour à louer des gardes de corps pour assurer la sécurité de nos enfants dans les écoles ? », ironise Moustafa Kamal, père d’une fille en maternelle et une autre en préparatoire, qui s’en prend au ministère de l’Education qui est, selon lui, responsable de la sécurité des enfants dans les écoles. Mais Medhat Mossaad, ancien responsable au ministère de l’Education, affirme : « On a commencé à parler des abus sexuels dans la société égyptienne au début des années 2000. Mais on ne peut pas parler d’un phénomène. Il est vrai que certaines déviations ont eu lieu dans les écoles ou par des enseignants qui manquent de moralité. Mais il n’est pas de la responsabilité du ministère de contrôler la moralité des enseignants. Les fautifs doivent être licenciés définitivement et condamnés afin de ne pas nuire à la noblesse du métier de professeur », souligne-t-il.
Briser le silence

Les enfants de moins de huit ans sont les plus exposés aux agressions sexuelles.
Selon la sociologue Fadia Abou-Chahba, les enfants ne seront à l’abri de ces pratiques pervers que quand la pédophilie ne sera plus un sujet tabou en Egypte. « Au vu des mutations sociales qui s’accélèrent, il faut une prise de conscience, il faut briser les tabous, aller vers une éducation sexuelle pour empêcher de tels faits de se répéter », dit-elle. Et d’ajouter : « On entend parler de parents qui ont retiré leurs enfants des établissements préscolaires et qui préfèrent garder le silence que de porter plainte. Cet état de fait est plus répandu dans les zones rurales où la société est plus conservatrice. Comme quoi la sensibilisation est très importante ». Abou-Chahba pointe aussi du doigt la responsabilité des parents qui est mise en cause. Ces derniers étant appelés à observer leur devoir premier, à savoir faire preuve d’une extrême vigilance à l’égard de leurs progénitures afin de mieux les protéger. La loi égyptienne ne définit pas clairement le concept de pédophilie. C’est la raison pour laquelle les sanctions prévues en cas d’actes de pédophilie ne sont pas dissuasives. Ahmad Mosselhi, chef de la commission de la défense des enfants à l'ordre des Avocats, affirme que les agressions sexuelles à l’encontre des enfants sont parfois assimilées à de simples délits, alors qu’ils sont des crimes, car leurs conséquences du point de vue psychologique pour l’enfant sont destructives. Raison pour laquelle il réclame un durcissement des peines à l’égard des pédophiles.
Il reste à connaître l’impact psychologique de la pédophilie qui pourrait marquer à vie ces mineurs. « Le viol laisse chez la victime une empreinte indélébile et une souillure psychologique qui l’accompagnera toute sa vie. L’enfant demeure prisonnier de cet acte abject et condamnable tant qu’il n’a pas exorcisé son mal », explique le psychiatre Ahmad Abdallah. Tel est le cas d’Israa, une petite fille âgée de 9 ans, qui a confié que son professeur la forçait à se rendre dans les toilettes de l’école pour lui faire des attouchements sexuels après la fin de la classe. Depuis, elle vit dans un état de frayeur et de dépression chronique. Elle a du mal à trouver le sommeil et fait constamment des cauchemars. « Je l’ai supplié d’arrêter, mais il me menaçait … Je vis dans un cauchemar permanent », conclut Israa, qui n’arrive pas à se débarrasser de ce traumatisme.
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