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Campagnes anti-frères: Le boycott, arme politique

Manar Attiya, Mardi, 01 janvier 2013

Plusieurs d’entre elles ont été lancées sur les réseaux sociaux appelant au boycott des produits vendus ou fabriqués par la confrérie. Une première qui suscite un vif débat sur la toile.

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« Campagne de boycott des marchandises des Frères musulmans pour sauver la révolution », « Campagne de boycott des magasins, des supermarchés et des entreprises détenus par des Frères musulmans », « Campagne de boycott du business islamo-politique », « Campagne de boycott économique des islamistes qui ont vendu le sang des martyrs ». Ce sont les noms de quelques-unes des campagnes lancées sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, et appelant au boycott des commerces gérés par le courant islamiste. Mais il n’y a pas que les réseaux sociaux. Les e-mails et les SMS sont eux aussi massivement utilisés afin d’inciter les citoyens à boycotter les commerces ou les entreprises gérés par les Frères musulmans.

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L’appel au boycott a été lancé la nuit du 5 décembre, lors de la grande manifestation en face du palais présidentiel. Des centaines de milliers de citoyens sont venus dénoncer le décret présidentiel du 22 novembre attribuant de larges pouvoirs au président de la République. Mais, c’est surtout après les accrochages entre les pro et les anti-Morsi, ayant fait 7 morts, que l’idée a été reprise par des internautes de différents courants politiques. Ahmad Fathi, qui a créé une page Facebook le 30 novembre et qui accueille actuellement des centaines de personnes, a surnommé le Parti Liberté et justice le parti « des intérêts politiques et de la lâcheté ». Les adhérents à la page affichent des photos d’agressions commises contre les révolutionnaires, comme celle où on voit l’ancien ambassadeur, Yéhia Negm, mains et pieds liés et violemment battu par les « milices » des Frères musulmans, celle de Héba Shohba, militante anti-Frères, qui a le visage enflé et plein d’hématomes, et d’autres photos de personnes torturées devant le palais présidentiel début décembre. « Ils nous ont attaqués alors que notre manifestation était pacifique. Nous allons utiliser le boycott pour lutter contre eux, car c’est avec notre argent qu’ils financent leur parti et achètent des armes qu’ils utilisent pour nous tuer », écrit l’internaute Hadir Charqaoui, qui fait partie des 52 internautes ayant appelé à la campagne du boycott.

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Chérif Al-Béblaoui est un membre du mouvement du 6 Avril. Il vient d’écrire sur sa page : « Boycottez les Frères, ceux qui ont vendu le sang des martyrs ». « Nous sommes un groupe de jeunes militants qui tiennent à transmettre la voix du peuple », écrit Chérif Al-Béblaoui.
Sur Twitter, les débats sur ces appels au boycott vont bon train. « Comment pourrais-je savoir si ces produits appartiennent vraiment aux Frères ? », demande un internaute. L’acteur Khaled Aboul-Naga répond : « Chers concitoyens, dignes fils d’Egypte, j’ai pensé à établir, grâce à votre aide, une longue liste des commerces gérés par les Frères et de leurs entreprises répandues aux quatre coins du pays. Un nombre considérable de supermarchés, tels que Saoudi, Awlad Ragab, Kheir Zamane et Al-Mahmal en font partie. Il y a également des pharmacies comme Seif, des agences de tourisme comme Virginia, des agences de divertissement comme Agyad, ainsi que de nombreuses usines comme Cottonil et High Care pour les médicaments et des boutiques de prêt-à-porter de marque comme Zara, sans oublier les écoles et les agences de location de voitures ». Et la liste est longue. Les internautes font un simple constat : les prix offerts par ces commerces sont souvent excessifs, à l’exception d’Al-Tawhid wal-nour et Al-Tawhid wal-imane. Pourtant, certains sont contre le boycott. « Ce n’est pas facile de boycotter des magasins où l’on vend de très belles choses et à des prix abordables à la portée des citoyens modestes. Où pourrais-je trouver des vêtements bon marché pour mes enfants si je dois boycotter Al-Tawhid wal-nour ? », s’interroge une femme au foyer sur la page Facebook de l’une des campagnes appelant au boycott.

Le boycott, une réaction qui paie

En fait, ce n’est pas la première fois que le boycott est utilisé en Egypte. En 2005, plusieurs mouvements ont appelé au boycott des produits danois, suite à la publication de 12 caricatures portant atteinte au prophète Mohamad dans la presse danoise. L’indignation et la colère dans les pays musulmans ont été très vives. Plusieurs pays musulmans avaient décidé de recourir aux sanctions économiques pour punir ce pays. Arabie saoudite. Des supermarchés ont placé au-dessus des rayons de fromage des affiches indiquant qu’ils ne vendaient plus de produits danois. Ce boycott est appliqué dans d’autres pays, comme l’Egypte, le Qatar, le Yémen, la Libye, le Koweït et les Emirats arabes unis. Parmi les premières victimes de ce boycott, il y avait le groupe laitier Arla Foods, puis des sociétés comme le groupe pharmaceutique Novo Nordisk, le fabricant de pompes Grundfos et des jouets Lego. Mais, les produits alimentaires et les médicaments ont été les plus touchés. Ils représentaient respectivement 30 % et 10 % des exportations danoises vers le Moyen-Orient. « Nous avons senti que l’arme du boycott était assez influente. La banque danoise Jyske Bank avait déclaré à l’époque que si le boycott durait un an, il pourrait coûter au Danemark quelque 11 200 emplois et un milliard d’euros en manque à gagner », se rappelle Chérif Al-Béblaoui.

Le boycott qui fait peur

Ce jeune appelle les initiateurs de cette campagne à utiliser tous les médias, y compris les réseaux sociaux, les messages téléphoniques et les tracts distribués dans les rues et les mosquées. Selon lui, « boycotter un produit est un moyen de faire pression ».
Ces jeunes ont décidé de fixer une période de 15 jours afin de mesurer l’efficience de cette arme. « On n’est pas obligé d’acheter ce dont on a besoin dans leurs commerces. On doit respecter cet appel au boycott au moins durant 15 jours. Il faut aussi fixer une date précise pour qu’ils sentent que notre campagne est sérieuse. Ce sera notre message », dit ironiquement Salwa, femme au foyer.
Sur Twitter, Ali écrit avec sarcasme aussi : « Puisque les islamistes possèdent toutes ces entreprises et usines, toutes ces agences commerciales, cela veut dire que la majorité d’entre eux sont des millionnaires ou des milliardaires. Pourquoi craignent-ils autant notre appel au boycott de leurs commerces ? Ils n’arrêtent pas de répéter que la plupart d’entre eux étaient emprisonnés à l’époque de Moubarak. Aujourd’hui, le peuple égyptien voudrait tant être persécuté de la sorte pour posséder des milliards comme eux ».
Noha, 49 ans, portant un foulard aux couleurs du drapeau égyptien, explique la raison pour laquelle elle est d’accord avec ce boycott. « Il faut boycotter leurs commerces pour faire pression sur eux. Et pour que Morsi comprenne nos intentions. On n’a pas fait cette révolution pour être obligé de le subir. On veut une vraie démocratie. L’ère des pharaons est révolue. Il n’est pas question de revenir en arrière », dit-elle d’un ton ferme.
L’écrivaine Farida Al-Choubachi partage l’avis des boycotteurs. « Les Frères n’arrêtent pas de mentir. Ils avaient dit qu’ils n’allaient pas obtenir la majorité parlementaire et ils l’ont obtenue, qu’ils n’allaient pas présenter de candidat à l’élection présidentielle, ils l’ont fait. Nous devons les combattre en les privant de notre argent avec lequel ils financent leur parti », poursuit Choubachi.

Ne sont-ils pas des musulmans ?

Et si de nombreux citoyens sont pour, d’autres par contre refusent ce boycott. « Est-ce légal d’appeler au boycott de produits vendus par des musulmans comme nous ? C’est à croire que ce sont nos ennemis ! », s’interroge May, professeur de français dans une école privée. May rappelle la campagne de boycott pour protester contre l’offensive israélienne dans les Territoires palestiniens et le soutien américain à Israël. La campagne avait touché surtout les chaînes de fast-food, les boissons gazeuses, les produits de consommation et même les médicaments. « Avant de boycotter les produits égyptiens, il faudrait peut-être commencer par le boycott de tous les restaurants de fast-food américains comme on l’avait fait en l’an 2000 », lance May.
Salwa, une fonctionnaire, cliente fidèle de la chaîne Al-Tawhid wal-nour, réplique : « Je trouve ce genre de boycott illégal. C’est immoral et j’y suis tout à fait hostile. Ce sont des commerces où travaillent des milliers de personnes. A qui voudrait-on faire du mal ? Pourquoi pénaliser les Egyptiens qui travaillent dans ces entreprises ? », ajoute-t-elle avec colère.
Elle répond à la question qu’elle se pose : « Peut-on boycotter 90 % du commerce égyptien ? Oui, c’est la réalité, les Frères sont les propriétaires de la plupart des magasins et supermarchés en Egypte, si vous ne le savez pas … Jetez un coup d’oeil sur les réseaux sociaux et vous allez vous en rendre compte par vous-mêmes. Presque tous les commerces leur appartiennent ».
Les citoyens hostiles à ce boycott recourent à la sunna du prophète pour étayer leur refus. Cheikh Mohamad, propriétaire d’un café au centre-ville et membre des Frères musulmans, se défend : « L’imam Al-Boukhari rapporte d’après Abou-Ayyoub Al-Ansari que le prophète a dit : Il n’est pas permis au musulman de rester fâché contre son frère plus de trois jours ». Le prophète, lui-même, effectuait ses achats chez un juif. « Ce boycott aura des répercussions négatives sur l’achat et la vente, et plus précisément sur l’économie égyptienne qui est en crise actuellement », précise cheikh Mohamad, qui poursuit : « Tant que les produits sont licites, on peut acheter nos provisions chez n’importe qui, qu’il soit chrétien, juif ou bouddhiste et peu importe sa provenance ». Il craint que ces appels au boycott ne touchent son propre café.

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