« ma fille est ravagée par la drogue depuis 6 ans. Elle a goûté à tous les stupéfiants. Son père et moi avons tout essayé, mais elle ne veut tout simplement pas se passer de cette addiction. Elle n’habite plus avec nous. Peut-on trouver une solution chez vous ? », c’est le message d’une maman en détresse lancé sur la page Facebook du centre U-turn. « Cette maman a posé un tas de questions ... elle m’a émue jusqu’aux larmes », confie Amani Al-Tounsi, directrice du centre. Ce genre de messages de détresse a encouragé Al-Tounsi à ouvrir un centre antidrogue réservé aux filles. Premier du genre en Egypte, il accueille les filles issues de milieux modestes qui peuvent y suivre une cure de désintoxication gratuitement. Celles qui ont les moyens doivent néanmoins débourser 8 000 L.E. pour une cure de six mois. « Ce centre a aidé ma fille à se réintégrer dans la société, à retrouver le goût de vivre », confie avec joie une maman. Sa fille Nayera s’en est sortie après deux ans de soins. Aujourd’hui, elle travaille comme directrice des relations publiques dans une société privée. Nayera s’était mise à boire pour oublier un chagrin d’amour. Issue d’une classe aisée, elle raconte son histoire : « C’était mon premier amour. Nous avons vécu 6 mois de bonheur, il était tout pour moi, mais je n’étais qu’un objet pour lui. Il voulait que je me prostitue. J’ai vécu un cauchemar.
J’étais perdue. Poussée par lui, j’ai avalé un verre d’alcool. Et par la suite, toute la bouteille ». Et c’est ainsi que le cauchemar a commencé. Jour après jour, Nayera buvait chaque fois plus pour oublier ... Plus tard, l’alcool ne lui suffisant plus, elle a commencé à fumer du haschich. « Comme un pompier, joint après joint, sans jamais m’arrêter. J’ai même snifé de la cocaïne. En fait, je prenais tout ce qui me tombait entre les mains, pour planer et oublier », se souvient-elle … Aujourd’hui, si Nayera est sauvée, c’est grâce à ses parents. « Je ne sais pas comment ils ont découvert ce
centre. Ils m’y ont envoyée et j’y ai passé six mois. A U-turn, je ne connaissais personne, j’étais entourée de psychologues, de sociologues et de jeunes filles malades, comme moi. Elles sont toutes devenues mes amies. Les premières semaines ont été extrêmement difficiles. Mais, petit à petit, j’ai commencé à me plier à cette dure abstinence, en me disant qu’une fois dehors, je m’offrirais une overdose. Mais une fois la cure de désintoxication terminée, le revirement a été total ! Je ne supportais plus l’odeur de la cigarette et le goût de l’alcool me dégoûtait », témoigne-telle, en remerciant ses parents de l’avoir aidée à reprendre le goût à la vie.
Plus de 10 % d’adolescentes concernées
Le nom du centre, édifié en 2009, est très significatif : U-turn signifie demi-tour. Ce centre, qui lutte contre tous genres de stupéfiants, donne de l’espoir aux parents dont les enfants prennent de la drogue. « Avoir une enfant toxicomane n’est pas la fin du monde. Il y a toujours un espoir, ouvrir un nouveau chapitre de sa vie sans alcool ni drogue est vraiment possible. Si la personne en a le désir, elle parviendra à s’abstenir », explique la directrice. « J’ai décidé d’ouvrir ce centre pour aider les mamans qui souffrent le martyre d’avoir une fille toxicomane », ajoute-t-elle. Son diplôme en sciences polytechniques en main, Amani Al-Tounsi a eu l’idée de monter ce projet après avoir constaté qu’un bon nombre de jeunes filles vivaient ce calvaire. Selon une étude effectuée par le Conseil national pour la lutte contre la toxicomanie, 12,21 % de lycéens entre 15 et 18 ans prennent de la drogue. 9 % consomment du bango (marijuana), 3 % du cannabis, et 0,21 % de l’héroïne, de l’opium et de la cocaïne. Les chiffres concernant l’alcool ne sont pas disponibles. Analysant les circonstances qui mènent ces adolescents à la toxicomanie, l’étude démontre que 59 % d’entre eux commencent la prise de drogue par curiosité, 36 % à cause de problèmes sociaux, tels que le divorce des parents, tandis que 15 % s’y adonnent sous l’influence de leursamis.Une étude de l’hôpital psychiatrique du Dr Adel Sadeq montre que 20 % de la population quiutilise de la drogue sont des femmes, de tout âge. Environ 10 000 personnes par an s’adressent à un psychiatre pour en guérir.
30 % de rechute
Le centre U-turn peut héberger 18 pensionnaires par an. Le taux de réussite de la cure est de 70 % : sur 10 personnes admises, 3 en moyenne rechutent. Les parcours de toxicomanes qui passent par U-turn pour suivre une cure de désintoxication sont divers et variés. La toxicomane peut être aussi bien une fille de la rue qu’une fille issue d’une famille aisée. Beaucoup ont pris de la drogue à cause d’un problème sentimental ou familial. Il y a cette jeune fille, folle amoureuse d’un garçon et qui a commencé à fumer du haschich pour lui faire plaisir ou celle-ci dont les parents ont divorcé et qui s’est mise à prendre du bango car elle ne supportait pas que son père se sépare de sa mère. Une 3e dont la maman est morte à la suite d’un accident de voiture, et qui n’a pas supporté le choc, s’est mise à snifer de la cocaïne, une autre encore est devenue alcoolique à cause de problèmes familiaux. Soigner et guérir les drogués nouvellement dépendants est compliqué, en particulier dans le cas d’une jeune fille. « Nous vivons dans une société très conservatrice. C’est une honte et un scandale pour les parents d’avouer que leur fille est toxicomane. La plupart nient et disent : Ma fille est normale, elle n’a jamais consommé de drogue et il n’y a aucun besoin de la guérir. La maman découvre plus tard, une fois que le problème s’est aggravé et que l’addiction s’est installée, que sa fille s’adonne à des pratiques qui n’honorent ni la famille, ni son entourage », explique Noha, sociologue du centre. Noha est elle-même passée par cette expérience. Elle s’est mise à consommer de la drogue à la suite du divorce de ses parents. « J’ai commencé par prendre du cannabis à l’âge de 14 ans. Je dépensais tout mon argent pour ça alors que je n’en avais pas les moyens. Puis je suis passée à l’héroïne. Je n’avais aucune idée des dégâts que cela pouvait provoquer », se souvient-elle. C’était il y a trois ans.
Programmes intensifs pour oublier
Aujourd’hui, Noha est tout une autre personne. Elle se réveille à 9h pour s’occuper des 10 pensionnaires du centre. Elle donne des ordres aux surveillantes (elles-mêmes anciennes toxicomanes) pour préparer le petitdéjeuner. A midi pile, les jeunes filles commencent leurs activités sportives dans le jardin de la villa, équipé d’une variété de jeux : portique, toboggan, balançoire. « On essaie de leur fournir tout ce dont elles ont été privées », dit le Dr Mohamad Helal, psychiatre. Bien sûr, chaque week-end, les parents passent leur rendre visite ou les emmènent loin du centre. A leur retour, on leur fait subir deux tests de dépistage : urinaire et salivaire. « Pour s’assurer que la jeune fille n’a pas rechuté », explique le Dr Samir Morcos, spécialiste en analyses médicales. Après avoir consommé de la drogue, certaines filles sont devenues elles-mêmes trafiquantes. Par le biais de ce trafic, Nada gagnait beaucoup d’argent, plusieurs milliers de livres par mois. Depuis sa cure de désintoxication, elle se satisfait d’un salaire de 300 L.E. par mois au sein de l’équipe de U-turn. « On craignait qu’elle ne rechute car elle adorait l’argent, mais elle a rencontré un homme d’affaires très riche qui a demandé sa main. Je n’ai pas osé lui dire que ma fille était toxicomane. Pour ce Saïdi, une femme qui fume la cigarette est déjà mal vue », confie la maman de Nada. Quant à Magda, elle prenait du Tramadol, à cause des problèmes qu’elle avait avec son mari. Elle en a pris pendant deux ans. « On m’a dit que c’était efficace pour les relations sexuelles et que cela permettait d’être plus performant ! », confie-telle. Au début, seule dans sa chambre, elle prenait le Tramadol, puis poussait le volume de la musique à fond, pour goûter à une forme d’extase et de fuite. « C’est l’un des effets du Tramadol, puissant analgésique, proche de la codéine, lorsqu’il est consommé par une personne en bonne santé », explique le Dr Helal. Magda consommait le « faraoula » (fraise), le surnom que les drogués donnent au petit cachet blanc. La vente de ce genre de pilule a explosé depuis la révolution. Le médicament a, en effet, d’autres effets que les indications mentionnées sur la notice. Magda affirme qu’il donne le sentiment d’être sûr de soi, à l’aise en toutes les circonstances. Prendre un cachet par jour pendant deux semaines et demie suffit pour créer l’addiction. Magda assure qu’elle en avalait jusqu’à vingt par jour, dosés de 50 à 500 mg. « Certaines jeunes filles rechutent dans les jours qui suivent la fin de leur cure de désintoxication, le plus souvent parce qu’elles ne peuvent pas supporter de retourner vers des situations familiales difficiles, vers les mêmes conditions qui les ont poussées à prendre de la drogue », conclut Amani Al-Tounsi, ange gardien et directrice de U-turn .
CENTRE U-TURN
www.facebook.com/Uturnbanat9bass
10, rue Al-Nasr, Maadi
Tél. : 011 1 7726 1885 ou
02 2520 3240.
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