Al-Ahram Hebdo : Vous avez réalisé la meilleure performance égyptienne en 2017. Comment évaluez-vous la saison ?
Mohamad Ihab : Cette saison était très difficile pour moi. J’ai fourni de grands efforts pour réaliser mes objectifs. J’ai eu une saison en or, j’ai décroché 11 médailles d’or internationales : 3 aux Mondiaux, une aux Jeux de la solidarité islamique, 3 aux Championnats d’Afrique, 3 aux Championnats arabes, une aux Championnats afroasiatiques, en plus d'une médaille aux Championnats d’Egypte et une aux Championnats d’Egypte des entreprises.
— En décrochant 3 médailles d’or aux Mondiaux d’Anaheim, vous avez réalisé une première pour l’Egypte. Décrivez-nous vos sentiments ...
— Je suis très heureux et très fier de réaliser une première dans l’histoire africaine en devenant le premier Egyptien et Africain à remporter 3 médailles d’or dans une seule édition des Mondiaux. Mais ce qui me rend plus heureux c’est la joie des Egyptiens. En soulevant 165 kg à l’arraché, 196 kg à l’épaulé-jeté et 361 kg au total aux Mondiaux d’Anaheim en Californie (Etats- Unis), j’ai remporté 3 médailles d’or, devenant ainsi le premier Egyptien et Africain à remporter un triplé d’or aux Mondiaux d’haltérophilie et le premier Egyptien à décrocher une médaille d’or aux Mondiaux depuis 1951, lorsque Saïd Khalifa Gouda (60 kg) et Ibrahim Chams (67,5 kg) avaient gagné 2 médailles d’or pour l’Egypte. De plus, je suis le premier Egyptien à remporter des médailles dans 3 Championnats du monde consécutifs : 2 médailles d’argent aux Mondiaux 2015, 2 médailles d’argent et une de bronze aux Mondiaux 2014 dans la catégorie des 69 kg et le triplé réalisé aux Mondiaux de cette année. La joie me comble, car j’ai pu honorer mon pays. Bien sûr, je tiens à être à la hauteur des ces exploits. Je ne peux pas me permettre de baisser de niveau.
— L’Egypte possède une grande histoire en haltérophilie. Quel est votre sentiment en devenant une partie de cette histoire ?
— L’Egypte est une grande nation de l’haltérophilie. Le palmarès de l’Egypte aux Mondiaux d’haltérophilie est très prestigieux, puisque les Egyptiens ont remporté aux éditions précédentes des Mondiaux un total de 32 médailles dont 9 d’or, 11 d’argent et 12 de bronze. Ainsi, réaliser un exploit au milieu de ces légendes de l’haltérophilie est un grand honneur. L’âge d’or de l’haltérophilie égyptienne remonte, lui, aux années 1946 à 1951. Durant cette période, les Egyptiens avaient décroché un total de 8 médailles d’or aux Mondiaux, grâce à Khedr Al-Touni (3 médailles), Ibrahim Chams (2 médailles), Mahmoud Fayyad (2 médailles) et Saïd Khalifa Gouda (une médaille). Aujourd’hui, en réalisant un triplé d’or aux Mondiaux, je sens que je deviens à la hauteur de ces anciennes légendes. C’est un grand honneur d’inscrire mon nom au côté de ces grands noms.
— C’était une saison exceptionnelle, comment avezvous réalisé ces exploits, surtout avec le manque de moyens financiers ?
— Cette saison était la plus difficile à cause de la décision du ministère du Sport de suspendre tous les stages à l’étranger. De plus, j’étais en manque de vitamines et de substances nutritives essentielles en raison du manque de moyens financiers. Mais pour moi, le mot impossible n’existe pas. Sans perdre du temps, je me suis entraîné lors du stage de préparation au Centre olympique de Maadi. Avant les Mondiaux, j’ai participé à deux compétitions internationales dont les Jeux de la solidarité islamique et les Championnats d’Afrique, durant lesquelles j’ai remporté l’or.
— La suspension de 9 pays pour cause de dopage a-t-elle joué un rôle dans votre victoire ?
— Cette saison a témoigné de la suspension de 9 pays pour cause de dopage, suite à la décision de la Fédération internationale d’haltérophilie (IWF) de suspendre pour un an, à compter du mois d’octobre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Chine, la Moldavie, le Kazakhstan, la Russie, la Turquie et l’Ukraine. Après cette suspension, la concurrence est devenue plus ouverte et nos chances ont augmenté. La lutte contre le dopage est très importante. Aujourd’hui, tout le monde participe à chances égales.
— Durant votre carrière, vous avez passé des moments difficiles. Comment avez-vous vécu la période de votre suspension ?
— En 2012, 3 mois avant les Jeux olympiques de Londres, j’ai effectué un test antidopage, malheureusement, le résultat était positif. Cette partie de ma vie a été la plus difficile. J’ai traversé des moments durs durant ma suspension. Au début, j’ai mal vécu cela, mais grâce au soutien de mon entraîneur au sein du club Fayoum, Mohamad Eweis, je suis revenu à l’entraînement en 2013. Pendant plus d’un an, je me suis entraîné seul avec mon entraîneur dans sa ville natale, Fayoum. Après avoir réalisé de bons records et un niveau convenable, j’ai intégré le club de l’Institut militaire à Ismaïliya.
— Et comment êtes-vous revenu en force ?
— Avec l’entraîneur Amr Ramadan, j’ai commencé une nouvelle ère. Il m’a dit que je devais réaliser un exploit international pour oublier le passé. Ainsi, j’ai commencé à m’entraîner d’une manière professionnelle dans le but de réaliser une prouesse. J’ai travaillé sur mes records personnels pour les améliorer grâce à un programme bien établi, tout en mettant devant moi les records mondiaux. Pour retourner à la compétition, je devais faire 3 tests antidopage auprès de la Fédération égyptienne pendant les mois de mars, avril et mai. Le 3 septembre 2014, j’ai disputé ma première compétition après la suspension en participant au Championnat des entreprises. Pendant ce tournoi, j’ai battu les records des haltérophiles de la sélection nationale. Après avoir remporté la première place, j’ai intégré de nouveau la sélection nationale. Mon but n’était pas de réintégrer la sélection et de disputer les Mondiaux, mais de monter sur le podium mondial. Pendant un mois et demi, je n’ai fait que m’entraîner. J’ai fermé mon portable et mon laptop. J’ai travaillé sur mes records. Grâce à mon obstination et ma volonté de vaincre, j’ai pu réaliser mon but en dérochant 2 médailles d’argent et une de bronze aux Championnats du monde au Kazakhstan 2014 à la grande surprise de tous.
— Racontez-nous vos débuts dans cette discipline ...
— J’étais habitué à me rendre dans la salle d’haltérophilie depuis l’âge de 3 ans. Mon père était un champion d’haltérophilie, il m’a habitué à l’atmosphère de l’entraînement depuis mon enfance, puisque je l’accompagnais. Un jour, l’entraîneur Galal Eweis m’a vu avec lui au club de Fayoum. Il a insisté pour que je m’entraîne alors que je n’avais que 8 ans. Lorsque j’ai eu 14 ans, j’ai intégré l’école des athlètes talentueux. Dès mes débuts, j’étais champion d’Egypte de ma catégorie d’âge. A l’âge de 16 ans, j’ai intégré la sélection égyptienne junior avec laquelle j’ai disputé les Championnats du monde juniors en 2007, où j’ai terminé 5e. A 20 ans, j’ai disputé les Jeux panarabes en 2007. J’ai décroché 3 médailles de bronze. En 2008, j’ai commencé à récolter les médailles internationales juniors en remportant 2 médailles de bronze et une d’argent aux Mondiaux juniors, puis une médaille de bronze aux Mondiaux juniors 2009. Au cours de la même période, j’ai remporté des médailles aux Championnats d’Afrique seniors.
— Pensez-vous que vos exploits puissent changer la situation de l’haltérophilie en Egypte ?
— Je suis sûr que l’avenir sera meilleur. En fait, l’Egypte possède des haltérophiles d’un très haut niveau qui ont besoin qu’on leur accorde un peu d’intérêt pour exploser sur les scènes internationale et olympique. Nous réalisons ces exploits avec très peu de préparation. Mais cela doit changer, surtout avec le nouveau système de qualification olympique qui sera individuelle et non pas par équipe. Donc, chaque haltérophile doit participer à un bon nombre de compétitions pour récolter des points et se qualifier pour les JO. J’espère que les exploits de l’haltérophilie égyptienne pourront attirer des sponsors.
— Aujourd’hui, vous êtes champion du monde et médaillé de bronze olympique. Quels sont vos besoins pour poursuivre votre élan ?
— Je m’occupe de ma part de responsabilité, je m’entraîne bien, je travaille avec mes entraîneurs selon un programme spécifique, j’améliore mes records personnels, je m’occupe de ma santé. Le reste ce n’est pas mon travail, mais plutôt le travail des responsables du sport en Egypte. La voie du succès est très claire et très connue. Le champion a besoin d’un bon entraînement, d’un bon stage de préparation en Egypte dans un endroit qui fait de la nourriture convenable pour les haltérophiles, des suppléments et des vitamines, un cadre technique complet avec un masseur et un entraîneur mental, plusieurs tournois internationaux durant l’année et un stage de préparation à l’étranger avant chaque tournoi.
— Quels sont vos prochains objectifs ?
— Mon objectif principal c’est le titre olympique aux JO de Tokyo 2020. En route vers cet objectif, je pourrai réaliser de nouveaux exploits.
Focus
Né le : 21/11/1989.
Club : L’Institut militaire d'Ismaïliya.
Palmarès :
2017 : 3 médailles d’or aux Mondiaux, une médaille d’or aux Jeux de la solidarité islamique, 3 médailles d’or aux Championnats d’Afrique, 3 médailles d’or aux Championnats arabes, une médaille d’or aux Championnats afro-asiatiques, une médaille d’or aux Championnats d’Egypte, une médaille d’or aux Championnats d’Egypte des entreprises.
2016 : Une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rio de Janeiro.
2014 : 2 médailles d’argent et une de bronze aux Mondiaux (69 kg).
2015 : 2 médailles d’argent aux Mondiaux.
2009 : Une médaille de bronze aux Mondiaux juniors.
2008 : 2 médailles de bronze et une d’argent aux Mondiaux juniors.
2007 : 5e aux Championnats du monde juniors, 3 médailles de bronze aux Jeux panarabes.
Ses records durant l’année 2017
Mars : 155 kg à l’arraché et 181 kg à l’épaulé-jeté en catégorie 77 kg lors des Championnats d’Egypte.
Mai : 158 kg à l’arraché et 190 kg à l’épaulé jeté en catégorie 77 kg aux Jeux de la solidarité islamique.
Juillet : 158 kg à l’arraché et 190 kg à l’épaulé jeté en catégorie 85 kg aux Championnats d’Afrique.
Octobre : 162 kg à l’arraché et 195 kg à l’épaulé-jeté en catégorie 85 kg aux Championnats des entreprises.
Novembre : 165 kg à l’arraché et 196 kg à l’épauléjeté en catégorie 77 kg aux Championnats du monde.
Décembre : 160 kg à l’arraché et 190 kg à l’épauléjeté en catégorie 77 kg aux Championnats arabes et afro-asiatiques.
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