Dans quelques jours commencent les travaux du sommet sur le climat dans la ville égyptienne de Charm Al-Cheikh dont l’objectif est de sauver le monde de la crise du changement climatique et de ses répercussions qui menacent l’existence des humains et des espèces vivantes et qui entraînent la sécheresse des terrains agricoles, l’érosion des littoraux, des incendies forestiers, la disparition des îles et l’inondation de terres dans certaines parties de la planète.
Dans une situation mondiale très turbulente, minée de crises géopolitiques croissantes : la guerre en cours en Ukraine, la détérioration des conditions économiques qui étouffe la croissance, la hausse des prix des carburants …, les pays en développement se trouvent pris en étau et lourdement endettés. Le prochain sommet devrait adopter des solutions pragmatiques et holistiques pour faire face à la crise climatique et mettre en oeuvre les engagements de l’Accord de Paris sur le climat signé en 2015.
Les solutions holistiques ne se limitent pas à l’atténuation des émissions nocives, à l’adaptation à leurs effets et à la question critique des pertes et préjudices subis, ainsi qu’au financement qu’elles exigent. Cette approche holistique ne sera atteinte qu’en refusant de limiter la question de la durabilité à l’atténuation des émissions de carbone. Cette globalité exige d’inscrire l’action climatique dans le cadre plus large du développement durable promis par les participants au sommet spécial des Nations-Unies tenu en septembre 2015.
Sept ans après les engagements en matière de climat et de développement, la situation mondiale est pire aujourd’hui qu’elle ne l’était alors. Les rapports scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous rappellent que les émissions nocives pour le climat, au lieu d’être réduites de 45 % jusqu’en 2030, ont augmenté de 14 % et qu’au lieu de réduire la pauvreté, le nombre de personnes vivant dans une extrême pauvreté est passé à 719 millions fin 2020 (sans inclure ni l’impact de la hausse des prix des aliments et de l’énergie due à la guerre en Ukraine, ni les conséquences socioéconomiques de la pandémie de coronavirus).
C’est le bilan du premier des Objectifs de Développement Durable (ODD), à savoir l’éradication de l’extrême pauvreté, que l’on espérait atteindre d’ici 2030. Encore une fois, il ne suffira pas de se servir des crises internationales comme excuse. Parce que l’échec des politiques publiques, la faiblesse des institutions de développement et le gaspillage des ressources étaient bien présents avant le déclenchement de la pandémie.
Dans le cadre des préparatifs du sommet de Charm Al-Cheikh, 3 échanges autour des priorités de l’action climatique ont eu lieu en octobre dernier avec d’éminents experts de la finance, du développement et de l’économie du climat. En voici les conclusions tirées :
Premièrement, le prétendu conflit entre le développement et l’action climatique va à l’encontre à la fois des preuves scientifiques et de la pratique sur le terrain. Lors d’une conférence de l’économiste Stéphane Hallegatte, conseiller senior à la Banque mondiale, sur la complémentarité et les tractations entre le climat et le développement, il a cité, preuves à l’appui, que les méthodes d’action climatique qui ne tiennent pas compte de la pauvreté et de la croissance dans la formulation nuisent gravement au climat et au développement, et que les populations appauvries dans cinq pays africains ont souffert de la flambée des prix alimentaires, de la baisse des revenus de l’activité agricole et des catastrophes naturelles telles que les inondations, la sécheresse et les crises sanitaires. Il a souligné qu’une approche holistique de la croissance et du développement était susceptible d’augmenter les investissements dans l’éducation, les soins de santé, la productivité agricole, ainsi que le développement des infrastructures qui soutiennent la production, et permettrait la création d’un système de protection sociale plus efficace. Il a également montré, en citant des chiffres, que les investissements dans l’infrastructure résistante aux chocs climatiques augmenteraient le coût de 3 % en moyenne, mais que leur rendement pour l’économie et la société est égal à 4 dollars pour chaque dollar dépensé.
Cependant, il a insisté sur le fait que les dépenses d’adaptation aux effets néfastes du climat doivent être accompagnées par des investissements importants destinés à réduire les émissions nocives et à promouvoir les énergies nouvelles et renouvelables, ce qui nécessite une coopération internationale. Un avis partagé par Homi Kharas, économiste à la Brookings Institution, qui insiste, lui, sur l’importance de surmonter les obstacles qui freinent le financement et ralentissent la mise à profit des développements technologiques et scientifiques.
Deuxièmement, l’action climatique exige l’intégration de la science et de la finance avec un changement de comportement pour pouvoir réaliser les priorités du développement durable, notamment l’éradication de l’extrême pauvreté. Cette conclusion, tirée de l’expérience des pays en développement, a été soulignée par l’économiste franco-américaine Esther Duflo, qui a remporté le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur la lutte contre la pauvreté.
Duflo a expliqué que les 10 % les plus riches du monde sont responsables de la moitié des émissions nocives, alors que les populations les plus pauvres vivent dans les régions les plus chaudes du monde et sont de ce fait plus exposées aux chocs climatiques qui affectent leur vie, leur santé et leurs moyens de subsistance.
Par conséquent, poursuit Duflo, tout travail lié à une transition juste vers un meilleur modèle économique au service du climat et du développement nécessite un investissement et une utilisation efficaces des progrès scientifiques et technologiques dans les domaines de l’irrigation, de l’agriculture et de la conservation des forêts. L’économiste a cité les expériences réussies de l’Inde et de certains pays africains et a souligné l’importance de fournir un financement adéquat, tout en encourageant un changement de comportement chez toutes les parties concernées : gouvernements, hommes d’affaires et populations.
Troisièmement, les besoins de financement annuels des pays en développement dépassent 10 fois les 100 milliards de dollars promis depuis la Conférence de Copenhague en 2009. Comme l’a constaté l’éminent économiste indien Montek Singh Ahluwalia, il existe différentes estimations des besoins de financement annuels de l’action climatique selon divers rapports et études économiques internationaux dont les plus importantes sont les suivantes :
— Estimation des besoins énergétiques du Comité scientifique des Nations-Unies : 2 800 milliards de dollars.
— Estimation des besoins du secteur énergétique par l’Agence internationale de l’énergie : 3 500 milliards de dollars.
— Estimation de McKinsey des besoins énergétiques et de l’utilisation des terres : 4 500 milliards de dollars.
— Estimation du Fonds monétaire international des investissements dans l’énergie et les secteurs connexes : 3 300 milliards de dollars.
— Estimation de la Climate Policy Initiative : 3 700 milliards de dollars.
Compte tenu de ces différentes estimations, une étude conjointe d’Ahluwalia avec Utkarsh Patel, qui sera bientôt publiée par la Brookings Institution, évalue le déficit de financement mondial entre 3 et 4 %. Cela dit, les besoins supplémentaires du secteur de l’énergie et des domaines connexes dans les pays en développement frisent les 1 300 milliards de dollars, soit 13 fois les 100 milliards promis à Copenhague, et qui n’ont d’ailleurs pas été entièrement acheminés vers les pays en voie de développement.
Ahluwalia et d’autres économistes, tels que Amar Bhattacharya, ont supposé que la moitié de cette somme pourrait être générée à partir de sources nationales dans chaque pays et que l’autre moitié proviendrait de sources extérieures, publiques et privées, à condition que les institutions internationales jouent un rôle prépondérant dans le financement direct, tout en soutenant les investissements privés et en réduisant les risques économiques.
A mon avis, il est absolument nécessaire de généraliser les règles de l’Association internationale de développement (IDA) en matière de financement concessionnel à long terme pour inclure les pays pauvres et à revenu intermédiaire, notamment africains. C’est une question que j’ai l’intention de discuter, entre autres, dans les salles de réunions à Charm Al-Cheikh.
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