Depuis la détermination des Objectifs du Développement Durable (ODD) par les Nations-Unies en 2015, dont le premier et le plus important est l’élimination de l’extrême pauvreté, la Banque mondiale utilise un chiffre équivalent à 1,90 dollar par jour et par personne pour déterminer le seuil d’extrême pauvreté au niveau mondial. Avec le changement des prix mondiaux cette année, le chiffre a été révisé à 2,15 dollars. En d’autres termes, toute personne vivant avec une somme inférieure est considérée comme souffrant d’extrême pauvreté selon les normes mondiales. Outre le seuil d’extrême pauvreté, la Banque mondiale utilise, en tant qu’institution internationale accréditée, deux autres indices pour déterminer le niveau de pauvreté en général dans les pays en développement. Ces indices ont également été ajustés pour refléter les variations des prix. C’est ainsi que le seuil de pauvreté dans les pays à revenu moyen avec les deux catégories, inférieure et supérieure, est passé de 3,20 et 5,50 dollars à 3,65 et 6,85 respectivement.
Cependant, ces changements ne reflètent que les variations des prix afin d’obtenir la même composante réelle des biens et services qu’un individu utilise. De plus, chaque Etat a un seuil de pauvreté général et un seuil d’extrême pauvreté qui doivent être révisés afin de refléter les changements de prix et d’identifier les personnes qui méritent l’aide par le biais des politiques publiques. Outre les chiffres du seuil de pauvreté fondés sur le revenu et la consommation, il est important de les compléter par un indice mesurant la pauvreté communautaire qui comprend l’évolution de la définition de la pauvreté et de ses déterminants, l’évolution du revenu et de la richesse de l’Etat, ainsi que l’indice multidimensionnel de pauvreté qui mesure les aspects de la pauvreté et de la privation au-delà des éléments monétaires de la pauvreté.
Selon l’indice révisé d’extrême pauvreté, le nombre de personnes en dessous de ce seuil atteignait 700 millions de personnes en 2017, alors qu’une étude de la Fondation Oxfam sur la pauvreté révèle que ce chiffre est passé au cours du premier trimestre de cette année à 860 millions. Cependant, cet indice ne reflète pas l’impact de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie après le déclenchement de la guerre ukrainienne, qui devrait augmenter ce chiffre de 65 millions de personnes.
Alors que le premier objectif du développement durable était d’éradiquer l’extrême pauvreté en 2030, le monde se retrouve aujourd’hui dans une situation pire que celle d’il y a 7 ans. Encore une fois, blâmer les crises et les chocs extérieurs ne suffit pas à cacher l’échec des politiques publiques, la faiblesse des institutions de développement et le gaspillage des ressources. Selon les rapports du développement durable de 2019, le monde n’était pas sur la bonne voie pour atteindre les ODD avant même le déclenchement de la pandémie du Covid-19 en 2020. Dans sa lutte contre la pandémie, l’action internationale n’a pas oeuvré de manière équilibrée, que ce soit en termes de fourniture de vaccins ou de soutien financier aux pays en développement, qui paieront cher l’injection généreuse de liquidités dans les pays développés, puis les coûts de leur retrait en éliminant les programmes d’assouplissement monétaire, en augmentant les taux d’intérêt et donc les coûts d’emprunt. Puis est venue la guerre ukrainienne avec ses répercussions qui ont intensifié les crises existantes et dévoilé les lacunes de la performance économique qui ne pouvaient plus être dissimulées par des billets de banque provenant de l’émission de liquidités.
Les promesses non tenues des pays développés
La situation économique mondiale actuelle, qui souffre de la baisse des taux de croissance, des menaces de stagflation, des crises dans des secteurs vitaux tels que l’alimentation et l’énergie et de l’augmentation des risques et des coûts de la dette internationale, n’est pas propice à la poursuite d’une approche réductrice des politiques de durabilité à un seul aspect de l’action climatique qui est la réduction du carbone, malgré son extrême importance. L’action climatique a été gouvernée par un groupe de pays qui ont réalisé d’énormes progrès concernant les taux de croissance, le niveau de vie de leurs citoyens en termes d’éducation, de soins de santé et de services publics. Des pays où l’extrême pauvreté a quasiment disparu alors que les taux de pauvreté ont nettement baissé. Ces pays dictent maintenant les conditions de la durabilité selon leurs intérêts qui sont contraires aux défis et aux priorités des pays en développement.
En effet, ils ont mis de côté les 17 objectifs du développement durable à l’exception du 13e qui est responsable de l’action climatique. J’aurais bien aimé que cet objectif ait été pris au sérieux dans sa globalité au lieu qu’il ne soit cantonné à la réduction des émissions nocives au climat. Dans cette frénésie mondiale d’appliquer à la lettre le 13e objectif indépendamment des autres, le monde a négligé, délibérément ou involontairement, la nécessité de trouver des alternatives d’énergies renouvelables, depuis l’énergie solaire, éolienne et l’hydrogène vert pour les pays en développement qui contribuent le moins aux émissions nocives à l’environnement. Sans oublier bien sûr les investissements et les techniques sophistiquées que cela implique.
En outre, les pays qui ont presque exclusivement formulé l’agenda des priorités de l’action climatique ont fermé les yeux sur les dommages accumulés qu’ils avaient causés en conséquence de l’usage de la technologie polluante et menaçante à l’environnement et à la Terre depuis la première Révolution industrielle. On trouve alors qu’ils se soucient peu du dossier d’adaptation aux effets de la hausse de la température terrestre qui a laissé ses empreintes évidentes sur les régions côtières transformant sa nature et sa structure fondamentale. En conséquence, les coûts de protection de ces régions et de réadaptation ont été énormes dans les secteurs de l’agriculture, des aliments et de l’eau.
Les pays développés ne savent que faire des engagements qui ne sont aucunement suffisants aux petites îles dont l’existence est menacée, et qui ont besoin de ressources pour protéger leurs moyens fondamentaux de vie qui sont un fardeau pour leurs budgets modestes. Ces derniers, s’ils sont versés dans leur totalité, ils ne pourront guère répondre à tous les besoins de l’action climatique. Si ces pays prêtent l’oreille aux recommandations des pays développés qui leur conseillent de recourir à l’endettement très coûteux des marchés financiers mondiaux pour payer les frais exorbitants, ils se trouveront obligés de saper totalement leurs bases financières et devront assumer un lourd fardeau que les générations actuelles et les générations futures ne pourront aucunement supporter.
Lorsque les pays développés ont été sollicités pour honorer l’engagement qu’ils avaient pris au cours du Sommet de Copenhague de verser les fameux 100 milliards de dollars en faveur des pays en développement, les réponses de désengagement ne sont pas du tout convaincantes. Avant le sommet de l’an dernier à Glasgow, les meilleures estimations avançaient que 79% des sommes requises ont été versés. Alors que selon Oxfam, les engagements n’ont été remplis que de 20 % seulement dans les domaines se rapportant aux émissions nocives, alors que les efforts d’adaptation ne suscitent pas l’intérêt qu’il mérite. Un autre rapport d’Overseas Development Institute (ODI) dit que 7 Etats développés seulement sur un total de 23 ont honoré leurs engagements, parmi lesquels la Suède, la France, la Norvège, les Pays-Bas, le Danemark et l’Allemagne. Les 4 premiers ayant programmé leurs engagements d’ici 2025. Sachant que les 100 milliards de dollars ne représentent pas plus que 5% de la totalité des dépenses requises à l’action climatique dans les pays en développement.
Il y a nécessité de reprogrammer l’action climatique dans le cadre des ODD qui servent de référence mondiale. Le monde doit arrêter d’agir comme des îles isolées en matière de coopération mondiale, au risque de porter préjudice au développement durable, aux conjonctures de pauvreté et à l’action climatique. Il faut adopter une méthodologie complémentaire de financement. Sachant que chaque dollar dans les domaines d’adaptation climatique vaut 2 dollars de revenus économiques. Le climat engendre des séquelles irréparables sur les niveaux de pauvreté, les secteurs de l’agriculture, les travaux agraires, l’alimentation, la pénurie d’eau, la santé et l’exode forcé des individus. Par ailleurs, l’investissement dans le développement du capital humain, dans l’éducation, la protection médicale, l’infrastructure, la technologie et la transition numérique a des effets durables qui se trouvent en connexion avec la société, l’économie et l’environnement. Cette tendance est consolidée par la localisation des actions relevant du développement durable pour atteindre tous les individus jusqu’aux villages et régions les plus pauvres. La croissance ne peut pas porter ses fruits sans efforts destinés aux plus démunis. Il n’y a pas d’alternative à la croissance inclusive qui réaliserait les ODD, y compris la lutte contre l’extrême pauvreté et la protection de l’environnement.
Article publié dans Asharq Al-Awsat, le 31 août 2022
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