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L’islam, premier parti de France

Alban de Ménonville, Lundi, 23 février 2015

Soumission, le dernier roman de Michel Houellebecq, raconte l’histoire d’une France dirigée par le parti de La Fraternité musulmane. Avec tout son talent, l’écrivain parvient une nouvelle fois à cerner avec une incroyable justesse les mutations sociales qui l’entourent.

L’islam, premier parti de France

France, 2022. L’équivalent des Frères musulmans a pris le pouvoir. Opposé à l’extrême droite au second tour des présidentielles, leur leader, Mohamed Ben Abbès, réussit à rallier les autres partis politiques à La Fraternité musulmane. Son parti gouverne la France.

La Sorbonne devient une université islamique et l’une des plus riches du monde grâce au généreux soutien des pays du Golfe. Le chômage n’existe plus : les femmes n’ont plus le droit d’exercer un emploi public. La délinquance baisse, surtout dans les banlieues musulmanes. Bref, les effets positifs font vite oublier que les jupes sont censurées.

Coïncidence : le livre de Houellebecq est sorti en France le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo. Dans l’immense polémique infertile qui suivit, de nombreux pseudo-intellectuels n’ont pas hésité à qualifier l’auteur d’islamophobe. Il n’en est rien.

Car au-delà de l’islam, c’est de la culture qu’il s’agit. La France est depuis longtemps chez Houellebecq une société en faillite morale et économique qui rejoint doucement la catégorie « des pays moyens pauvres » de la planète ainsi qu’il la qualifie dans un précèdent ouvrage. Même chose pour la démocratie : les partis politiques centristes, dépourvus d’idées, n’attirent plus les électeurs qui, face au déclin inéluctable de leur pays, choisissent d’autres alternatives : Front National ou Fraternité musulmane. Cette dernière, menée par l’intelligent Ben Abbès, ne manque pas d’ambition : faire revivre l’Empire romain autour de la Méditerranée avec l’islam comme facteur unificateur. « Les premiers pays susceptibles de s’agréger à la construction européenne seront certainement la Turquie et le Maroc ; ensuite viendront la Tunisie et l’Algérie. A plus long terme, il y a l’Egypte — c’est un plus gros morceau mais ce serait décisif » : telles sont, en gros, les étapes de la construction méditerranéenne unifiant les peuples des deux rives et leurs deux principales religions, écrit Houellebecq.

Derrière les événements du livre, c’est le retour du religieux que l’auteur examine. Islam mais aussi christianisme ou évangélisme; Houellebecq insiste sur la religion comme base essentielle de toute société durable. A l’individualisme et au libéralisme, dénués de sens profond, l’écrivain oppose religion et patriarcat. « L’athéisme est difficile à vivre », précise-t-il dans une interview à France 2.

Pas vraiment croyant, le politicien Ben Abbès profite de cette volonté de retour à des valeurs traditionnelles, retour bien réel en France, pour se faire élire. Houellebecq le compare dans cette même interview à Napoléon qui, « si l’Egypte avait été un véritable enjeu, n’aurait pas hésité à se convertir à l’islam ». La conclusion est claire : les politiciens n’utilisent la religion que pour servir leur propre intérêt. Comment ne pas lui donner raison ? L’islam, aujourd’hui on ne peut plus manipulé par divers groupes, modérés ou extrémistes, en est un des exemples ; mais pas le seul, affirme encore Houellebecq.

Une réalité sans excès
Soumission est un roman modéré. Modéré par l’image des religions qu’il véhicule, modéré dans ses affirmations sur le déclin inéluctable de l’Occident, modéré dans ses propositions de rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée, modéré enfin dans la réaction des personnages face au succès de l’islam politique. Tout se passe normalement, comme découlant d’une suite logique implacable, sans heurts et sans fracas.

Ainsi, Ben Abbès, « là où (Tareq) Ramadan présentait la charia comme une option novatrice, voire révolutionnaire, lui restituait sa valeur rassurante, traditionnelle (…) la restauration de la famille ». Telle est, dans le livre, l’image que donne l’islam ; une religion « rassurante », bien loin des horreurs de Daech ou du rigorisme salafiste.

Un sentiment curieux, pas très agréable, se dégage du livre : comme un rêve où tout serait vrai, où chaque détail serait identique à la réalité, ou tout s’ordonnerait exactement comme dans le réel. Les mutations de la société y sont décrites avec la plus grande lucidité à travers une histoire qui semble n’être là que pour donner un cadre aux réflexions sur la religion, la politique ou les médias.

On ne peut, cependant, s’empêcher de sourire en lisant ce Houellebecq. Par exemple, alors qu’au Moyen-Orient on oppose chrétiens et musulmans, l’auteur les rapproche et y décerne, encore avec vérité, plus de points communs qu’autre chose. Importance de la famille, patriarcat, éducation religieuse : paradoxalement, l’islam est du pain béni pour l’ensemble des croyants.

Au-delà de sa justesse, Soumission est un roman facile à lire, souvent drôle et ponctué de scènes de sexe. On y retrouve les thèmes favoris de l’écrivain, son style et son humour piquant, son détachement et ce regard froid sur la société. A cela vient s’ajouter une vision éclairée des religions et des enjeux actuels qui y sont liés. Lire Soumission, c’est un peu comme regarder un documentaire paru en 2050 sur la société des années 2010 l

Soumission, Michel Houellebecq, éd. Flammarion, 2015

*Michel Houellebecq fait partie des écrivains français les plus lus et traduits à l’étranger. Soumission est actuellement l’ouvrage le plus vendu en France. Son précèdent roman, La Carte et le territoire, a reçu le prix Goncourt en 2010.

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