En tant que lecteur, ma première rencontre avec Modiano était avec son roman Rue des boutiques obscures qui a remporté le prix Goncourt. J’ai acheté le roman à la maison d’édition Al- Hilal, à la rue Al-Nabi Daniel, à Alexandrie. Cette rue qui zigzague tel un serpent, et qui nous livre tant d’histoires terrifiantes, ressemble beaucoup aux endroits privilégiés de Modiano, dans les ruelles d’un Paris sombre. Une histoire sur le cimetière d’Alexandre qui a affolé de nombreux chercheurs, une autre sur une femme qui rentrait avec son mari, après une belle soirée et qui a disparu dans la pénombre nocturne dans les années 1980.
Je me rappelle avoir eu le plaisir de lire le roman au cours d’un voyage en train Le Caire- Alexandrie. Dans l’ambiance du roman, le protagoniste était un homme qui a perdu la mémoire, qui se trouve sur la plage de la Riviera avec des inconnus. Il n’existe qu’une seule personne sur l’image. C’est la personne qui apparaît dans ta vie, partage des moments avec toi, prend de l’éclat et se ternit sans laisser de traces, sauf que sa présence est toujours liée à l’événement, c’est pourquoi cette personne a mérité le nom de l’homme des plages.
« L’homme des plages ». Quand j’ai lu cette expression, le roman est tombé de mes mains, je me suis levé en disant : Homme des plages. C’était la clé pour entrer dans le monde de Modiano, et pour y plonger jusqu’à l’ivresse. Je partage avec lui l’angoisse quotidienne du démantèlement de la mémoire, de sa perte. Je partage avec lui la chute de la conscience dans les couloirs de l’oubli.
Je me rappelle qu’en 2003, je lui ai envoyé un courrier électronique pour lui dire combien j’ai aimé son écriture, et lui demander pourquoi il n’avait pas abordé en détail la soirée avec le roi Farouq. Après quelques semaines, j’avais perdu tout espoir de recevoir une réponse. Il m’a répondu exprimant sa joie d’apprendre qu’il avait un lecteur en Egypte. En écrivant, il n’avait pas imaginé avoir un lecteur méditerranéen d’Alexandrie. Il m’a écrit une belle phrase : « Tu aurais marché dans un endroit que mon père avait fréquenté un jour sur le quai du port d’Alexandrie, et où vous vous serez donc croisés ». Il a ajouté qu’il ne restait rien dans sa mémoire sur l’histoire du roi Farouq, celle de son père juif fuyant le Gestapo, ou de sa mère l’artiste, sauf ce qu’il a rapporté dans son livre. Peut-être dans un jour prochain, l’aborderaitil d’une manière plus vaste. Je me suis rappelé la phrase de Michel Riffaterre affirmant que l’écrivain imagine, sans doute en écrivant, un lecteur imaginaire qui lui insuffle quelque chose en filigrane, tout en étant sûr qu’un jour, ce lecteur apparaîtra et lira ce que l’écrivain avait en tête au moment de la créativité .
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