« J’ai été surpris de découvrir les falsifications d’archives nationales qui documentent la période qui a précédé la présidence de Moubarak, son vrai rôle dans la guerre du 6 Octobre. Aussi, une ambiguïté couvrait la destruction de l’avion du ministre de la Défense, le maréchal Ahmad Badawi, en avril 1981. Cette ambiguïté est due à la dissimulation de livres et de magazines par des mains habiles et bien formées », retrace le journaliste Karem Yéhia, auteur de l’ouvrage Al-Chabihane, sira mozdawag ali Moubarak wa Ben Ali (les similaires, une double biographie de Moubarak et Ben Ali).
Publié récemment, ce livre, en se basant sur les autobiographies comme celle de l’ancien président Anouar Al-Sadate, les livres référentiels de Mohamad Hassanein Heykal et les versions arabes des écrivains français Jean-Pierre Tuquoit et Nicolas Beau, et ce, sans oublier les brèves, les articles et les entretiens de presse, les discours, ainsi que les photos, met le point d’orgue sur le raisonnement limité des deux tyrans, Hosni Moubarak, l’Egyptien, et Zein Al-Abidin ben Ali, le Tunisien, ainsi que le rapport étroit entre leurs itinéraire éducatif et professionnel.
Pendant que leurs prédécesseurs — Anouar Al- Sadate pour Moubarak, et Al-Habib Bourguiba pour Ben Ali — glorifiaient leur enfance, leur formation éducative et politique, Moubarak et Ben Ali ignorent complètement la période qui a précédé leur vie présidentielle. Autre ressemblance : les origines de l’un et l’autre sont rurales. Si le village natal de Moubarak est Kafr Mosseilha dans le gouvernorat de Ménoufiya (Delta égyptien), celui de Ben Ali est Hammam Sousa. Ce passé a resurgi officiellement, couvert de plusieurs embellissements sur leur niveau scolaire, pendant leurs études militaires, ou lors de leur vie professionnelle.
Moubarak, qui a participé aux trois guerres contre Israël (1956, 1967 et 1973), avait avoué en 2005, lors d’un fameux entretien avec Emad Adib, que les avions militaires avaient été complètement détruits par l’ennemi en 1967. Alors que lui, en tant que chef d’une escadrille composée de 5 avions, avait décollé de la base de Béni-Soueif pour atteindre Louqsor.
C’est pourquoi cette escadrille a été sauvée de l’attaque ennemie. « Cette petite histoire a trouvé des écrivains et des journalistes pour souligner la sagesse et la juste intuition du président égyptien », retrace Karem Yéhia. « Et même, les raisons de sélectionner Moubarak pour former les pilotes militaires à Belbeis, pour devenir plus tard chef de l’armée aérienne, ne s’expliquent pas par sa compétence, mais plutôt par des conflits entre Sadate et ses généraux au sein de l’armée égyptienne, selon les mémoires du maréchal Saadeddine Al-Chazli qui ont été censurées sous les 30 ans de présidence de Moubarak », explique l’auteur dans son livre.
« Le rôle de l’armée aérienne était très modeste. Il était le plus grand point faible de toute la guerre », renchérit l’auteur, tout en assurant que personne ne pouvait clarifier cette vérité face aux exagérations et aux complaisances des moyens de communication, notamment les journalistes, les hommes d’affaires et les propriétaires des journaux privés, dont les intérêts étaient liés à ceux de Moubarak et sa famille. Et ce, sans oublier le rôle des experts en Photoshop, qui avaient remplacé le maréchal Al-Chazli côtoyant le président Sadate, au cours des opérations et de la préparation de la guerre de 1973 par Moubarak.
Parmi ces journalistes et ces écrivains, surgit Mohamad Hassanein Heykal. Il décrit Moubarak, dans l’un de ses livres, lors de leur première rencontre en 1975 : « Moubarak a la physionomie d’un assassin cruel ». Appréciation complètement modifiée en 1987 lors de son entretien publié dans le quotidien Akhbar Al-Youm. « Moubarak est l’unique candidat accepté après une expérience victorieuse », dit-il alors.
Un acte de bienveillance
L’hypocrisie et l’invention d’une histoire glorieuse pour Ben Ali, président tunisien, étaient elles aussi en vogue depuis son coup d’Etat contre son prédécesseur, Al-Habib Bourguiba, qui a vécu ses dernières 13 années en résidence surveillée.
Cependant, le discours officiel renforcé par la presse et les moyens de communication a fait de ce complot un acte de bienveillance qui a sauvé le pays. C’est un moyen d’exprimer la fidélité et de rendre hommage au grand chef. « Même le grand politicien Al-Bagui Qaed Al-Sissi, l’un des fidèles élèves de Bourguiba, a conforté le coup d’Etat du 7 novembre 1987, comme un changement de cap sous le drapeau de la démocratie », retrace l’auteur, selon l’ouvrage du journaliste tunisien, Al-Safi Saeid, Bourquéba, biographie presque prohibitive.
Seuls les écrivains français Jean- Pierre Tuquoit et Nicolas Beau ont décrit en détail ce complot contre Bourguiba avec l’aide des généraux de la police et de l’armée, afin d’isoler le grand chef et laisser tomber ses bravoures dans l’oubli au profit de Ben Ali.
D’autres inventions officielles se sont répandues en Tunisie : le coup d’Etat de Ben Ali a sauvé la Tunisie d’un autre coup d’Etat islamiste. Une histoire de Rachid Al- Ghanouchi qui avait avoué la planification d’un coup d’Etat islamiste pour éviter l’exécution des chefs islamistes par le gouvernement.
Même les complots ont trouvé leur terrain fertile composé d’hypocrites et de journalistes qui mobilisaient leurs plumes afin de rendre honneur à Ben Ali, dont la sagesse était incontournable.
Comme son voisin Moubarak, des politiciens et des analystes expliquaient au peuple la sagesse de leur président. C’est ainsi que naissent les tyrans.
Al-Chabihane, sira mozdawaga li Moubarak wa Ben Ali (les similaires, une double biographie de Moubarak et Ben Ali), du journaliste Karem Yéhia aux éditions de l’Organisme général des palais de la culture, 2014.
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