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Hamed Abdalla, un peintre de l'universel

Soheir Fahmi, Mardi, 18 février 2014

Fidèle à ses origines, le peintre Hamed Abdalla (1917-1985) demeure un artiste méconnu. Un livre lui rend aujourd'hui hommage, replaçant son art d'avant-garde dans le contexte de l'époque, soulignant en même temps les traits universels d'une peinture atemporelle.

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Soulève-toi, 1982. Pochoir et aérosol sur papier.

« Ma règle principale — comme l’artiste oriental — est de peindre la nature telle que je la vois dans mon esprit, et non pas telle qu’elle paraît à l’oeil ». Cette citation qui ouvre le livre donne le ton de tout ce qu’on lira dans les pages qui suivront. Ce très beau livre sur Hamed Abdalla, paru aux éditions Al-Bachari, donnera lieu à plusieurs événe­ments en Egypte et ailleurs.

Hamed Abdalla, qui a écrit cette réflexion en 1960, résume son parcours et se pose aux confins des civilisations. Tout en vivant au Danemark et en France, et tout en puisant dans toutes les cultures du monde, il a su comprendre et puiser en lui le prolongement des civilisations pharaonique, copte et arabe, pour créer son propre style, profondément et authentiquement égyptien et oriental.

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Retrouvailles, 1980. Acrylique sur papier.

Cet artiste, fils de fellahs pauvres de la Moyenne-Egypte de Sohag qui se sont instal­lés à Manial Al-Roda au Caire, ne s’est jamais coupé de ses racines. Passionné par les petites gens qui peuplaient les cafés de Roda où l’artiste aimait s’installer, il gardera envers elles une fidélité à toute épreuve en dépit de ses périples à l’étranger. Sa peinture, dont les planches abondent au fil des pages étayées de réflexions de nombreux critiques, en est l’exemple, sans oublier ses réflexions philosophiques sur l’art et le monde.

Peintures et citations étayent les pages tan­dis que le texte de Roula El Zein tisse la fresque de cet artiste qui n’a jamais cessé d’évoluer et de se forger ce style. Un style qui, tout en étant d’avant-garde, reste très profondément oriental, issu de tous les mondes pharaonique, copte et folklorique toujours très présents.

Dons et rébellion

Conscient des dons de son fils, le père de Hamed Abdalla a voulu en faire un artisan sophistiqué. Hamed s’inscrit aux arts appli­qués. Très vite, sa nature profondément indé­pendante prend le dessus. Arrive son premier clash avec son professeur d’art, qui insiste à lui faire copier des oiseaux. Il se rebelle face au style hideux de son professeur qui le punit en le forçant à dessiner des sabots et des pan­toufles que Hamed préfère cependant de loin aux oiseaux sans âme qu’il lui fallait peindre. Hamed essaye ensuite de s’inscrire aux beaux-arts, mais en vain. Il fait une rencontre décisive avec un nommé Yanakakis, Egyptien d’origine grecque, marchand d’éponge et militant de gauche qui l’aide à s’ouvrir sur le plan politique et culturel. Il ne cessera dès lors de s’intéresser au monde extérieur.

La situation politique de l’Egypte ne sera jamais absente de son monde. Les événe­ments ouvriers, la nationalisation du Canal de Suez, la défaite de 1967, la mort de Nasser et les accords de Camp David, pour ne citer que ceux-là : tout sera repris dans sa peinture dans un style où lettres, mots et calligraphie peuplent l’espace de la fresque, pour créer avec eux, et à partir d’eux, des mondes qui dialoguent et interfèrent.

Ce livre qui le raconte reprend la même idée : les textes en français, en anglais, et surtout en arabe dans leur monde calligra­phique à la spécificité propre, dialoguent pour nous présenter cet artiste qui, au-delà de ses racines orientales, a su devenir authenti­quement universel.

Le livre, dont la direction éditoriale est supervisée par Karim Francis, Kirsten Abdalla, la femme du peintre, et Samir Abdalla, le fils, et sous la direction artistique de Khéridine Mabrouk, se referme sur ses trésors qui ne font que nous inciter à en vou­loir plus et à plus contempler les oeuvres de Hamed Abdalla. Une exposition sur Hamed Abdalla a actuellement lieu à l’Opéra du Caire.

25 toiles de Hamed Abdallah sont exposées au Musée d’art moderne à l’Opéra du Caire. Jusqu’au 2 mars, de 17h à 21h.
L’oeil de l’esprit : Hamed Abdalla. Editions Al-Bachari, 2014.

Limons et pulsations
Par Andrée Chédid

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liberté, 1970. Acrylique sur papier et toile.
D’abord : des êtres, des paysages, surgis d’une surface craquelée,Charriant limon et pulsations.

Hamed Abdalla les appelait « Signes ».

Papiers froissés, couleur des rocs et du sable.

Qu’importe !

Son univers était là, mêlé à celui de l’Egypte.

Cette Egypte qui, une fois vécue, demeure dans l’intense

battement du sang

Ce fut ensuite une recherche sur vitres

Des couches de nitrate d’argent rayées de tons vifs.

Il les appelait « Talismans »

Qu’importe !

L’univers de Hamed Abdalla s’affirmait, se bâtissait sous d’autres formes,

se cherchait dans le dessin de l’écriture.

Poussant plus loin que l’alphabet et sa géométrie décorative,

Plus loin que l’inscription du mot qui a commencement et fin,

il tenta d’imprimer dans la toile — au moyen de la lettre même — un lieu de plénitude, un instant d’éternité.

Enfin, ses lettres se mirent à foisonner, à se chevaucher, créant horizons et profondeurs.

Parfois aussi l’une d’entre elles s’amassait

Solitaire, palpable, souveraine, elle s’immobilisait ;

devenait semblable à la pierre antique,

traversée par les siècles, veinée par les temps.

La voie d’un artiste est pleine d’avenues et sans clôtures

Il va sans cesse. Il peine.

Il poursuit le sens toujours obscur, toujours vibrant, des choses.

Il met au jour par bribes son monde intérieur.

Ces choses que son oeil aux aguets nous font redécouvrir.

Ce monde qui contient une part des nôtres.

Pour approcher une oeuvre, les paroles semblent toujours de trop.

Il suffit d'une attention passionnée, il suffit d’un regard.

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