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Mekkawi Saïd : Les pires aspects dans lesquels la société égyptienne est noyée sont encore bien là

Doaa Elhami, Mardi, 28 janvier 2014

Au 3e anniversaire de la révolution du 25 janvier, le romancier Mekkawi Saïd reprend ses notes des 18 jours où il dépeint des portraits attrayants, et les relie aux différents lieux ayant marqué la rébellion. Entretien.

Mekkawi Saïd
Mekkawi Saïd.

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes connu comme romancier. Pourquoi avez-vous quitté le monde de la fiction pour vous pencher sur l’écriture discontinue de portraits dans Le Cahier de Tahrir ?

Mekkawi Saïd : Pendant les 18 jours de la révolution du 25 janvier 2011, j’ai commencé à noter dans un petit carnet mes observations journalières, pour ne pas oublier les nuances les plus fines. Ces petits détails sont ignorés de la plupart du peuple qui suivait les événements à travers les écrans de la télévision. Raison pour laquelle j’ai décidé de les publier enveloppés d’une écriture littéraire attirante. Je considère Le Cahier de Tahrir comme une accumulation de petits romans, puisque chaque chapitre renvoie à un monde à la frontière du fantastique et du réel.

— Nombreux sont les livres qui ont traité des 18 jours de la révolution. Pourquoi publier le vôtre 3 ans après ?

— Déjà 18 livres ont été publiés sur le sujet. Mais ils ont été publiés à la hâte, sans être bien étudiés. J’ai préféré alors présenter un ouvrage littéraire dense et consciencieux. En effet, chaque chapitre met le point d’orgue sur une scène entamée dans la révolution.

— Pourquoi avoir dédicacé l’ouvrage à trois types de personnes ?

— Il y a des penseurs qui ont anticipé le soulèvement de la révolution, sans la voir se réaliser, tels Ahmad Abdallah Rozza et Ahmad Al-Saïd Sayed. Il y a de simples amis, et enfin les journalistes et chercheurs qui ont rejoint la révolution, mais qui nous ont quittés avant d’en voir les fruits. C’est l’exemple d’Ahmed Loutfi et l’expert en économie Samer Soliman. Chacun de ces groupes a eu son empreinte et sa contribution pour changer le réel misérable dans lequel vivait le peuple égyptien sous le régime de Moubarak jusqu’au déclenchement de la révolution.

— L’exemple de la jeune « Sabrine », enfant de la rue, qui a côtoyé les jeunes révolutionnaires pendant les 18 jours, puis qui a été avalée par la foule avec le départ de Moubarak, reflète-t-il que rien n’a véritablement changé ?

— Cette scène représente deux volets : le premier celui des deux jeunes révolutionnaires Hend et Yasmine qui ont cru que la révolution avait réussi après le départ de Moubarak. Et par la suite, Hend et Yasmine, comme tous les révolutionnaires, ont quitté la place. Cependant, la petite Sabrine, plus consciente grâce à son expérience de la rue, a estimé que le départ de Moubarak n’était pas une réussite et rien n’avait changé. Les pires aspects dans lesquels la société égyptienne est noyée sont encore bien là.

— D’après vous, comment la place Tahrir a-t-elle pu regrouper tous les courants politiques alors qu’ils en sont sortis ennemis ?

— Celui qui regarde la place de loin ne voit que la foule. Mais avec l’observation plus proche de la place, on aperçoit qu’elle était répartie en groupes : ici, l’équipe des cultivés, plus loin, les représentants du courant libre, à l’autre bout de la place, les conservateurs, bref, chaque courant a gardé ses principes. Mais un lien spirituel les réunissait. La peur et la préservation de l’âme. Ceci dit, tout le monde étouffait à cause de la fumée des gaz lacrymogènes et était aussi exposé à la mort d’une seconde à l’autre. C’est pourquoi ils s’entraidaient malgré leurs divergences. Avec le départ de Moubarak, plusieurs courants se sont précipités pour saisir les fruits de la révolution.

— Comment percevez-vous la différence entre la révolution du 25 janvier et celle du 30 juin 2013 ?

— Le 25 janvier est vraiment la révolution déclenchée par la communauté culturelle. Tandis que le 30 juin est plutôt l’une des vagues de cette révolution, pour corriger sa voie. Mais si les mauvaises conditions sociales, économiques et politiques ne sont pas réglées, il y aura d’autres émeutes. Les souverains croyaient que le peuple ne bougerait pas et ne se révolterait jamais. C’est qu’ils ne le connaissaient pas. Le peuple égyptien supporte pendant un temps. Puis ses révoltes sont très fortes.

— Pourquoi liez-vous dans Le Cahier de Tahrir les événements et les lieux ?

— La place Tahrir et son entourage composent le centre-ville, elle est la vraie capitale de l’Egypte, puisqu’elle se situe au coeur du Caire. A son tour, l’Egypte est la capitale du Proche-Orient. La place Tahrir est alors sensible aux événements qui s’y déroulent. Le déclenchement de la révolution a eu lieu dans cette zone, en l’exportant ensuite aux différentes places du pays. D’ailleurs, la géographie de la place, en forme de cercle avec toutes les rues et les ruelles adjacentes, a permis aux révolutionnaires d’échapper aux attaques de la police. Ajoutons aussi les appartements dont les propriétaires avaient ouvert les portes pour abriter les révolutionnaires, notamment les filles parmi eux. En outre, la révolution a rendu la valeur au centre-ville, tombé dans l’oubli pour plusieurs décennies. Je parle des nouvelles générations qui avaient déserté cette zone pour le profit des nouveaux quartiers comme Al-Tagammoe Al-Khamès ou les villes nouvelles à l’instar d’Al-Réhab et Madinati. De manière générale, les vrais héros de la révolution ont disparu avec le départ de Moubarak, laissant la place à d’autres personnes qui cherchaient un héroïsme illusoire.

Karasset Al-Tahrir, hékayat wa amkéna (le cahier de Tahrir, des histoires et des lieux), aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2014.

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