Suite à sa publication en 2023, par Green Card Voices, une ONG basée à Minneapolis aux Etats-Unis et qui relie les immigrants et leurs communautés grâce à la narration multimédia, le livre illustré Our Stories Carried Us Here (nos histoires nous ont transportés ici, volume 2) reçoit le prix du Moonbeam Children’s Book Awards. Il s’agit d’un livre illustré de 30 pages, en noir et blanc. Ce volume fait partie d’une anthologie de romans graphiques pour enfants et jeunes, composés de 10 volumes et narrant l’histoire de dix immigrants et réfugiés du monde entier, notamment ceux en résidence permanente et légale aux Etats-Unis. C’est à eux qu’Our Stories Carried Us Here offre un espace pour raconter leurs histoires. Parmi ces migrants, la Yéménite née en Somalie Zaynab Abdi, 28 ans. Le deuxième volume de cette série est consacré à l’histoire de cette conteuse engagée, narrant son voyage de la Somalie au Yémen, passant par l’Egypte, puis par Minnesota aux Etats-Unis, le pays de sa résidence permanente.
Ecrivaine et avocate, Zaynab Abdi est une conférencière en termes de migrants-réfugiés et défenseuse des droits des femmes auprès de Green Card Voices. Ses mémoires graphiques rédigés en anglais et traduits en arabe, dans Our Stories Carried Us Here, sont accompagnés de BD signées par l’illustrateur égyptien Ashraf El-Attar. Lui, après avoir obtenu par la Fondation Ford une bourse d’études en illustration, a choisi de résider à Washington. Son travail est publié dans les magazines Baystate et Washingtonian.
Quant à Zaynab Abdi, cette passionnée par la justice sociale et le plaidoyer, elle espère un jour retourner vivre au Yémen. Elle le confirme dans son livre : « Au début, il m’était difficile de m’adapter à ma nouvelle vie d’immigrante aux Etats-Unis. Quelque temps plus tard, en Amérique, j’ai trouvé mon refuge et mon éducation. Maintenant, j’utilise ma voix et je m’exprime afin de promouvoir plus de justice dans le monde ». Et d’ajouter dans son livre : « Suite au meurtre de Georges Floyd (un Afro-Américain tué par la police le 25 mai 2020, à Minneapolis), la musulmane émigrante, en voile et à la peau brune, venue du Moyen-Orient (comme elle se décrit dans son récit), se révolte. Il est important de savoir quel est l’impact de l’injustice sur ma personne et sur la société à laquelle je m’appartiens. C’est temps d’arrêter le meurtre de sang-froid, l’expulsion et tout acte d’intimidation à l’égard de quiconque ».
Le récit illustré scrute les minimes détails de la vie de Zaynab Abdi, depuis sa naissance en Somalie, son déplacement au Yémen, puis en Egypte et aux Etats-Unis. Et ses études au Wellstone International High School, à Minneapolis, puis en 2016 ses études en sciences politiques et en philosophie à l’Université de Sainte-Catherine, et en 2023 en administration publique et développement à l’Université de Columbia. Avec le soutien de la militante pakistanaise des droits des femmes et prix Nobel Malala Yousafzai, Zaynab réussit dans sa première visite à New York à forger une place aux Nations-Unies, afin d’assurer une éducation de qualité pour les apprenants réfugiés, notamment les filles en situation de vulnérabilité.
Les textes de Abdi et les illustrations de Attar, libres comme le vent, se synchronisent ensemble dans une beauté délassante, interactive et engagée, captivante et audacieuse, non conventionnelle et surtout émotionnelle. Le tout, chronologiquement narré dans la simplicité des phrases courtes et directes, voire palpitantes, réclame une justice sociale.
Des BD miroir d’une vie tourmentée
« Le choix du noir et du blanc charbonneux très sobre, inspirés de l’histoire de Zaynab, menant une vie de combattante, couronnée à sa fin de réussites signées au féminin, s’impose. D’ailleurs, le drame qu’elle a vécu a beaucoup inspiré mes illustrations. D’où des hachures qui usent de l’encre noir sur papier blanc. Des zones de tonalité et d’ombrage sombre et tourmenté. Des lignes parallèles et fermées qui apportent un surcroît d’incarnation et de justesse ... Telle est la vie de l’immigrante Zaynab, découpée en images vibrantes, miroirs de ses multiples défis, de ses déplacements déchirants et épais, à chaque nouvelle station de sa vie », déclare El-Attar. Telle est la magie de la BD accompagnant un récit signé à la première personne du singulier.
L’illustrateur ajoute : « J’ai aimé accentuer la tragédie poignante de Zaynab, notamment la crise des camps de réfugiés au Yémen qu’elle a vécue. Des tragédies humaines profondes qui transcendent les frontières, narrées dans son récit. Son asthme est illustré par des BD centrées sur ses yeux qui reflètent une âme atteinte d’une maladie grave. D’autres illustrations accentuent sa tenue vestimentaire tenant étroitement à ses us et coutumes, ceux d’une fille originaire du Yémen et de la Somalie. Tous les deux pays sont représentés dans les maisons, les camps de déplacés greffés sur les flancs de collines volcaniques noires qui entourent la protagoniste Zaynab. Cette dernière portant son voile partout où elle se déplace, demeure cette fille qui n’a pas changé de look ».
La mère de Zaynab, une Somalienne titulaire d’une carte verte en jouant à la loterie américaine, était éligible pour parrainer sa fille. Au moment où Zaynab pensait comment faire pour émigrer chez sa mère à Minnesota, vers un nouveau monde, la révolution yéménite éclata, perturbant ainsi tous ses rêves. Zaynab a choisi de s’installer en Egypte. En 2013, une nouvelle révolution, dans cette vague du Printemps arabe, s’est déclenchée. Zaynab se dirige vers l’ambassade américaine au Caire et gagne en 2014 son visa. Elle se rend à Minnesota.
Tout au long des 30 pages, Zaynab Abdi n’a pas voulu focaliser sur le côté dramatique. « Aujourd’hui, cette Yéménite combattante et engagée est une ambassadrice des jeunes immigrants et réfugiés à Minnesota », écrit Zaynab dans son récit. Elle croit en elle-même, coûte que coûte, en sa capacité à faire face aux défis et à réaliser ses rêves.
Le volume 2 d’Our Stories Carried Us Here suscite des interrogations multiples, liées à la question de l’identité, de l’appartenance, de l’égalité et de la justice sociale, de la discrimination, des rêves des émigrants, de la vie de communauté, de l’autonomie, de la liberté d’expression, des liens familiaux, de la citoyenneté, de la révolution, de la carte verte, du Printemps arabe, des droits de l’homme et notamment des femmes réfugiées ... Autant d’interrogations qui touchent au vrai sens de l’humanité.
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