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Lacouture, un témoin du siècle

Dina Kabil, Mardi, 16 octobre 2012

L’écrivain et journaliste Ahmed Youssef dépeint la vie de Jean Lacouture, dont le nom a toujours été lié à l’Egypte de Abdel-Nasser et à la période de décolonisation du monde arabe.

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Les participants à la table ronde entourent Jean Lacouture, Ahmed Youssef et Amal Al-Sabban, conseillère culturelle : Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, l'écrivain Robert Solé, Pierre Hunt, ancien ambassadeur français en Egypte, Chérif Khater, attaché d'enseignement, Mahmoud Ismaïl, directeur du centre culturel d'Egypte, Iman Al-Gamal, attachée culturelle.

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Ecrire la biographie d’un biographe. C’est le défi qu’a relevé Ahmed Youssef en s’engageant à raconter le parcours de Jean Lacouture, ou le biographe de Gamal Abdel-Nasser. Le livre Nasser publié en 1971 n’était pas le seul signé par Lacouture. Parmi une soixantaine d’ouvrages variant entre essais, histoire contemporaine et entretiens, Jean Lacouture, figure du journalisme français tiers-mondiste, a relaté notamment les histoires de vie d’hommes d’Etat prestigieux comme le général de Gaulle, Hô Chi Minh, Abdel-Nasser, Léon Blum, Pierre Mendès France ou François Mitterrand.

Ahmed Youssef, lui, écrivain et journaliste au quotidien égyptien Al-Ahram, opte sans doute, dans son choix à ce moment propice de l’histoire du Moyen-Orient, mais surtout moment décisif de la presse et de la liberté d’expression dans le monde arabe, à chercher par « monts » et par « mots » la vie, l’œuvre et les positions de Lacouture. Ainsi, Youssef qui est aujourd’hui ami proche de « Jean », ayant accepté de préfacer son Cocteau l’Egyptien et cosigné avec lui un livre récent, Nos Orients, le rêve et les conflits, rappelle dans son introduction du livre le regard ébloui qu’il portrait à ce maître du journalisme. « J’avais à peine un an lorsque Jean Lacouture assistait en 1956 au discours flamboyant de Nasser nationalisant la Compagnie universelle du Canal de Suez, sur la place des Consuls à Alexandrie. Quelques années plus tard, en bon enfant de la francophonie alexandrine, j’ai découvert l’univers de l’homme dans les bibliothèques municipales de la ville et dans le journal Al-Ahram ».

Regard historique de la France

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Or, Youssef, préoccupé par le dialogue Orient/Occident, nourri non seulement de l’Egyptomanie française, mais du regard historique de la France comme passion égyptienne, trouvait en Lacouture la figure emblématique du journalisme français engagé. Celui qui, à ses 91 ans, a vécu plusieurs vies, en France où il est né à Bordeaux en 1921, mais également en Indochine, au Maroc, en Egypte et aux Etats-Unis. Il reste une conscience de son temps, un journaliste pour qui « la liberté l’emportait sur les honneurs », selon l’expression d’Ahmed Youssef, en détaillant comment avait-il boudé l’Académie lui préférant la présidence d’honneur de la Maison des journalistes ou de la Société des amis de Georges Bizet.

Dans une table ronde organisée à la sortie du livre le mois dernier au bureau culturel de l’ambassade d’Egypte en France, en présence non seulement de l’ambassadeur Mohamad Moustapha Kamel, de la conseillère culturelle et scientifique Amal Al-Sabbane, mais aussi de nombreuses figures imminentes de la francophonie, à la tête desquelles figurent l’écrivain égypto-français Robert Solé et le biographe Ahmed Youssef, qui a souligné les grands repères de la vie « de ce vieillard aux allures d’un jeune homme pressé ». Tout en soulignant ce côté contradictoire qui fait le charme du journaliste engagé qu’est Lacouture : « Cet élève des Jésuites de Saint-Joseph de Tivoli a passé sa vie à faire le contraire de ce que dictait sa situation sociale et de ce que pensait la majorité de son pays sur des questions épineuses comme la crise de Suez et l’indépendance du Maghreb ».

Ainsi, Youssef relate comment Lacouture, dans sa résidence au Caire, avait découvert l’univers de la résistance algérienne, et que sa réputation de journaliste anticolonialiste lui a permis de rencontrer des leaders de la grandeur de Ben Bella, Boumediane ou de Ait Ahmed. « A l’évidence, l’Egypte de Abdel-Nasser prêtait main-forte à la résistance algérienne, si bien que Paris prit en point de mire ce Nasser, qui était en train de nuire aux intérêts de la France dans son dernier joyau impérial ».

De plus, il reprend le souvenir du grand journaliste lors de la Guerre du Suez dans un chapitre qui lui est consacré, mettant en évidence son soutien inconditionné des politiques de Abdel-Nasser, notamment la nationalisation du Canal de Suez, qui était également contre les intérêts stratégiques de son pays. Sans priver son lecteur du ragot des journalistes, Youssef rapporte comment lorsque Jean et son épouse, Simone, étaient les seuls correspondants étrangers au Caire juste avant la Guerre tripartite de 1956, ils ont appris par un juriste « certainement émerveillé par la blondeur de Simone Lacouture » que Abdel-Nasser étudiait le dossier juridique, technique et financier du Canal de Suez. Puis que Abdel-Nasser étudiait le projet de la nationalisation du Canal de Suez. Le 26 Juillet 1956, à 14h, l’allocution de Abdel-Nasser annonçant la nationalisation du Canal de Suez, « la description de la scène par Lacouture, son évocation du rire de Abdel-Nasser et de la liesse générale sont entrées dans l’histoire de cette crise ». Ainsi, « ce qu’il écrit dans ses articles sur cette nouvelle Egypte et son héros Abdel-Nasser, pendant les semaines consécutives à cette nationalisation, va provoquer son départ du pays, en août, avec Simone ». De retour à Paris, Jean et Simone avaient déjà esquissé leur grand projet, célèbre ouvrage, L’Egypte en mouvement, qui sort en 1956 et est resté une référence de poids.

Jean Lacouture par monts et par mots, d’Ahmed Youssef, suivi de « Chateaubriand et le congrès de Vérone », texte inédit de Jean Lacouture, éditions Bayard, Paris 2012

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