« L’Egypte m’intéresse beaucoup et c’est pour cette raison que j’ai décidé d’écrire un livre sur le pays où Dalida est née ». C’est ainsi que s’est exprimée récemment l’auteure et universitaire française Jacqueline Jondot, dans la salle Theilhard de Chardin au Collège de la Sainte Famille des pères jésuites au Caire, afin de présenter son ouvrage Dalida en Egypte, paru en 2020, aux éditions Orients.
Les premiers disques entendus par cette biographe et professeure de littérature anglaise à l’Université de Toulouse étaient de la célèbre chanteuse italienne. Mais elle a voulu connaître davantage sur l’Egypte. D’où son séjour de recherche qui lui a permis de rencontrer des personnes extraordinaires et de savoir plus sur les circonstances de la vie de Dalida au Caire jusqu’à l’âge de 21 ans. L’auteure nous fait d’ailleurs remarquer que cette star de la chanson représente le symbole d’une éternelle jeunesse. Ayant disparu au milieu de la cinquantaine, on ne l’a pas vue vieillir. On entend toujours ses chansons partout, et il y a trois ans, Mourir peut attendre a été prise pour le film de James Bond.
Née dans le quartier cairote de Choubra en 1934, Yolanda Cristina Gigliotti a été baptisée à l’église latine de Saint-Marc, au même quartier cosmopolite qui était réservé à une certaine élite issue de la classe moyenne formée d’Italiens, de Grecs, d’Arméniens et de Levantins, qui cohabitaient harmonieusement avec les Egyptiens. En ce temps, l’Egypte était un eldorado et beaucoup d’étrangers venaient y travailler. Après le départ des étrangers en 1956 et l’intensification de la population, le quartier a été modifié en profondeur.
Le père de la jeune Yolanda, Pietro, a commencé à apprendre le violon à l’âge de 4 ans, a poursuivi ses études au Conservatoire et a travaillé plus tard en tant que professeur de violon, puis premier violoniste à l’Opéra du Caire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Anglais l’ont emprisonné au camp de Fayed avec pas mal d’Italiens qui vivaient en Egypte pour les empêcher d’aider les Allemands. Après sa libération, ayant perdu son travail, il était brisé et violent. Dalida a révélé, 35 années plus tard, qu’elle le détestait « tellement elle ne reconnaissait plus en lui ce papa qu’elle avait ». Probablement, les problèmes qu’elle a eus avec ses différents amis et compagnons seraient causés par ce « traumatisme de l’enfance ». Bien qu’ayant une belle voix, sa mère Rosa s’est contentée de confectionner des barboteuses vendues dans les grands magasins, surtout Cicurel, à une clientèle assez fortunée.
Atteinte d’une infection oculaire, on a mis à la petite Dalida un bandeau noir sur les yeux pendant plus d’un mois mais « elle essayait de voir le jour par-dessus le bandeau, ce qui a fait qu’elle s’est mise à loucher » et cela l’a accompagnée pendant toute sa vie.
Elle s’est débarrassée de ses lunettes à cause de la moquerie des filles à l’école, et l’élève appliquée « a eu ce goût pour le cinéma et le théâtre assez rapidement », puisqu’elle a joué plusieurs rôles d’inspiration biblique ou pharaonique à l’école catholique Maria Ausiliatrice. Elle y a surtout joué le rôle principal dans la pièce Lumières et ténèbres, un mélodrame sur les martyrs chrétiens. Elle a incarné une mère qui se sacrifiait pour sa fille ; il est à noter que Dalida a joué un rôle similaire dans le film Le Sixième Jour de Youssef Chahine en 1986, un an avant de se suicider à Paris.
L’Egypte, un attachement continu
Yolanda n’a pas gardé son emploi de secrétaire dans une entreprise de produits pharmaceutiques connue, car elle préférait chanter et danser avec ses collègues. Ensuite, elle a appris les secrets du métier de mannequin dans la maison de couture Donna. Devenue deuxième dauphine lors d’un concours de beauté à l’Auberge des Pyramides en 1951, elle a eu droit à une correction de sa maman qui lui a coupé les cheveux après la publication de sa photo au Journal d’Egypte avec un maillot de bain. Cependant, comme une bonne mère, elle lui a permis de participer à Miss Egypt trois années plus tard.
Suite à ce concours, le réalisateur français Marco de Gastyne a choisi Yolanda pour le film Le Masque de Toutankhamon en 1955. Puis, il a convaincu la jeune star de partir en France pour faire carrière dans le cinéma. Dans les années 1940-60, l’industrie cinématographique égyptienne occupait la troisième place mondiale et beaucoup de firmes égyptiennes lui ont proposé de jouer dans leurs productions, mais elle a préféré tenter sa chance à Paris. Elle a commencé à chanter et a eu un grand succès. Les magazines égyptiens ont continué à écrire sur la jeune Italienne qui n’a pas coupé les liens avec son pays natal. D’ailleurs, elle est revenue en Egypte plusieurs années plus tard pour y chanter, et fut très bien accueillie. En quelque sorte, elle a gardé son caractère égyptien jusqu’à la fin de sa vie.
Jacqueline Jondot a présenté sur l’écran, durant sa conférence chez les pères jésuites, de nombreuses photos qui figurent dans le livre montrant la maison de Choubra où la jeune Italienne habitait et les différentes phases de sa vie, surtout celles en lien avec l’Egypte. Elle a projeté également de petits extraits de films égyptiens où la star avait pris un rôle important, dont Cigara we Kass (un verre, une cigarette, en 1955), de Niyazi Moustapha, à côté de Nabil Al-Alfi et Samia Gamal, la célèbre comédienne et danseuse. La jeune Italienne a joué sous le nom de Dalila le rôle d’une infirmière amoureuse d’un médecin marié. Dans ce long métrage, on la voit chanter pour la première fois.
L’auteure a également montré une photo de la diva, debout sur le balcon de son appartement à Choubra en 1975, lorsqu’elle est venue pour tourner le documentaire Dalida pour toujours. Elle était extrêmement émue en retrouvant son quartier et quelques anciennes connaissances, et a interprété plusieurs chansons à succès en dialecte égyptien, comme Salma ya Salama, Helwa ya Baladi (qu’il est beau mon pays), Ahsan Nass (les meilleurs gens, en allusion aux Egyptiens). En 1981, elle a chanté en hommage au président Sadate, qui a été assassiné par les islamistes, Comment l’oublier, disant : « Il était fils de lumière, comment l’oublier ? Paysan né de la terre, comment l’oublier ? Depuis ce matin d’automne, le fleuve immobile raisonne, d’un silence étrange désemparé … ».
Après la première du film Le Sixième jour, de Youssef Chahine, d’après le roman éponyme d’André Chédid, elle a traversé Le Caire dans une voiture décapotable, entourée par une véritable marée humaine infranchissable. La presse égyptienne avait écrit que son entrée à Choubra valait bien l’entrée de Cléopâtre à Rome.
Dalida en Egypte, biographie de Jacqueline Jondot, aux éditions Orients, 2020, 128 pages.
Lien court: