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Taha Hussein, si absent, si présent !

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 24 janvier 2024

A l’occasion du 50e anniversaire de la disparition de Taha Hussein, son oeuvre complète a été rééditée par le ministère de la Culture et mise en vente à la Foire du livre. Retour sur l’héritage de cet écrivain des lumières.

Taha Hussein, si absent, si présent !
Taha Hussein, le parrain de la littérature arabe.

Un buste en bronze à l’entrée du bâtiment principal de la faculté des lettres à l’Université du Caire, quelques enregistrements à la radio et télévision égyptiennes et une cinquantaine d’oeuvres qui peuvent être divisées en trois catégories : essais sur la littérature arabe et l’histoire islamique, créations littéraires cherchant à lutter contre la pauvreté et l’ignorance, et oeuvres à portée politique. Que reste-t-il aujourd’hui de la pensée de Taha Hussein (1889-1973), surnommé le parrain de la littérature arabe moderne, et compté parmi les écrivains des lumières ?

« La pensée de Taha Hussein, notamment son approche cartésienne, a influencé tant de générations et d’intellectuels tels les universitaires Gaber Asfour, Hassan Hanafy et d’autres. Mais ce n’est pas malheureusement le cas en ce qui concerne les jeunes générations », souligne Mohamed Afifi, professeur émérite d’histoire moderne et contemporaine à l’Université du Caire et ancien secrétaire général du Conseil suprême de la culture.

Afifi affirme d’ailleurs que même le renouveau tant demandé par Taha Hussein fait aujourd’hui peur, à tel point que les jeunes générations optent plutôt pour le classicisme. Cette attitude paradoxale, comment la justifier ? « La volonté de militer contre l’occupation avait donné à Taha Hussein et à sa génération une grande motivation pour s’ouvrir sur le monde et progresser intellectuellement afin d’être aptes à se défendre et à prouver leur droit à l’indépendance », souligne Afifi.

Cette explication est partagée par Salah Elserwy, professeur de littérature arabe et comparée à l’Université de Hélouan, qui affirme qu’enseigner Taha Hussein à la faculté dépend de la vision du professeur et de ses propres convictions. Car Taha Hussein demeure jusqu’à nos jours une icône de la libération de la pensée, rejetée par les fondamentalistes. « Il ne faut pas oublier que le champ culturel égyptien, au cours de sa lutte pour la libération, était divisé en deux camps. D’une part, il y avait le camp de Taha Hussein qui a appelé à la réforme de l’éducation, la consolidation des relations Orient-Occident, basées sur un partenariat entre les civilisations, et la promotion du renouveau littéraire. Et ce, sans oublier son soutien des droits des femmes à l’éducation, à l’emploi et à la participation politique. Et d’autre part, il y avait le camp de Sadeq Al-Raféï et d’Al-Aqqad pour qui il fallait absolument faire revivre la pensée des ancêtres », indique Elserwy, en faisant remarquer que même lorsque les mouvements fondamentalistes sont dissous, leurs pensées restent ancrées dans les esprits.

Le cercle des initiés

Le projet de Taha Hussein a-t-il donc échoué ? Selon Afifi, impossible de dire que le projet de Taha Hussein est raté, puisqu’on continue encore à en discuter. « Ses idées sont présentes, mais au niveau d’un cercle limité d’intellectuels qui n’a pas de poids socialement ». Les raisons ? « Sans aucun doute, le recul en matière de culture. On a des critiques, mais on n’a pas de mouvements critiques, on a des éléments de cinéma, mais pas de vrai mouvement cinématographique ». Et aussi le recul du rôle sociétal de l’Université ? « A son époque, Taha Hussein donnait des conférences plénières. L’impact du professeur, à l’époque, dépassait le campus de l’université », précise Afifi, qui est lui-même un véritable érudit.

L’intellectuel et le raïs

Elserwy approuve l’idée du recul du rôle de l’université et conçoit que « le projet de Taha Hussein a été partiellement appliqué, avec la Révolution de 1952, avec son slogan L’éducation devrait être comme l’eau et l’air. Cependant, il n’a pas été adopté dans son intégralité pour que l’on puisse juger de son échec ou de sa réussite. Taha Hussein et Nasser étaient en bons termes : le premier a été nommé rédacteur en chef du journal Al-Gomhouriya (la République, en arabe), un quotidien né après la Révolution de 1952. Nasser a profité de la pensée de Hussein pour rendre l’éducation accessible à tous. Toutefois, les situations politique et socioéconomique ont vite empêché la poursuite du projet de Taha Hussein », estime Elserwy.

Abdel Salam Al Shazly, professeur émérite de la critique et de la pensée arabe contemporaine dans plusieurs universités égyptiennes, qui a consacré un chapitre de son master à la pensée de Taha Hussein, a eu la chance de le rencontrer quelques mois avant sa disparition. Il affirme que tout ce qui demeure sérieux et ayant de la valeur dans notre vie culturelle n’est que la résultante de la pensée de Taha Hussein. « On lui doit l’usage de la raison et du libre arbitre. Il incarne le souvenir vivant de la civilisation, reliant passé, présent et futur ».

Cinquante ans après sa disparition, l’Organisme général du livre décide de republier ses oeuvres complètes. Les idées évoquées dans celles-ci lui avaient attiré beaucoup d’accusations. Car elles se caractérisaient par une audace et une ouverture extrêmes, notamment celles qui invitaient à revisiter les sources anciennes de la littérature arabe avec une plus grande attention, étant essentiellement basées sur la tradition orale.

Un débat pour aller de l’avant

Une façon de faire revivre les pensées de cette icône de la culture arabe ? « La réédition de ses oeuvres devrait avoir un impact positif, notamment si les prix sont raisonnables, en ces temps difficiles », dit Elserwy, en affirmant que nous devons absolument faire appel aux idées de Taha Hussein si nous aspirons à un avenir meilleur, basé sur la science moderne. L’une de ces valeurs est son vif désir de justice sociale et le grand intérêt qu’il accordait à la classe moyenne. Celle-ci était très présente dans ses textes littéraires, mais aussi dans sa manière de voir les choses au sens plus large.

Afifi, quant à lui, salue l’initiative de réédition, jugeant que « ce serait encore plus intéressant d’ouvrir un débat autour de ses idées, dans le but de mettre terme à l’état de stagnation intellectuelle dont on souffre actuellement ».

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