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Qatar : fric contre diplomatie

Alban de Ménonville, Mardi, 12 novembre 2013

Le Qatar est un exemple unique de développement diplomatique. Pays sans autre ressource que le gaz et le pétrole, il est devenu un acteur important de la région. Un rôle qu'il doit presque entièrement à ses investissements géants en Europe.

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Quel rapport entre le rachat du PSG et la guerre du Qatar contre Khada aux côtés de la France ?

C’est Connu : les citoyens qatari sont les plus riches du monde. 200 000 habitants se partagent les immenses ressources naturelles de ce minuscule pays qui accueille 1,6 million de travailleurs étrangers : cerveaux sortis des meilleures universités ou esclaves asiatiques construisant les nouveaux gratte-ciels du pays par 50 degrés.

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Parce qu’il est riche, le pays agace. Il peut tout acheter : l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022, les plus grands tableaux de maîtres à 50 millions pièce, le PSG, des participations importantes dans Total, Shell, le Crédit suisse, Porsche, les hôtels de luxe … Juste entre les banques, le secteur énergétique et l’immobilier, ce sont 80 milliards de dollars d’investissements qui ont été déboursés en quelques années. Les dollars : telle est l’armée du Qatar. L’explication est simple et en partie résumée dans Qatar, Les secrets du coffre-fort de Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Pourquoi le Qatar, au lieu d’investir dans ses propres infrastructures et développement, comme le fait notamment Dubaï qui mise sur le tourisme, achète-t-il sans répit des participations dans les grandes sociétés internationales ? Quel est le but de sa stratégie ?

Militairement, le pays est un nain. Economiquement, il s’est placé parmi les poids lourds de la planète sans qu’aucune production — hormis gaz et pétrole — ne sorte de son territoire. Ce qui en fait un Etat particulier c’est que sa puissance provient des autres pays, majoritairement européens. « Que faire de 40 à 50 milliards de dollars ? Bon an mal an en effet, le gaz génère quelque 50 milliards de dollars d’excédents budgétaires. Ils n’alimentent pas les comptes de l’Etat couverts essentiellement par les revenus du pétrole, beaucoup plus faibles ». Investir, bien sûr, répondent les auteurs. Mais le Qatar n’est ni multinationale, ni fonds de retraite américain. C’est un Etat et il souhaite l’affirmer.

En deux ans, le Qatar est passé d’un investisseur encombrant, mais utile, à un pays en guerre. Présent en Lybie et en Syrie où il soutient sans distinction djihadistes extrémistes et rebelles plus modérés, le petit Etat a décidé de passer à l’action. En offrant à l’Europe ses milliards de dollars d’investissement, il obtient en échange une liberté d’action au Moyen-Orient. Total, Porsche et le Crédit suisse sont devenus en quelque sorte les bases arrière d’une diplomatie ambitieuse. Le poids de ses investissements à l’étranger lui a offert une place puissances militaires — notamment la France et l’Angleterre — dans leur combat d’intérêt au Moyen-Orient. Grâce à ses dollars, l’émirat a trouvé des alliés militaires lui permettant d’être en première ligne lorsqu’une intervention armée, directe ou indirecte, a lieu dans la région : Lybie et Syrie.

« A partir d’avril 2011, pas moins de 20 000 tonnes d’armes partent du Qatar à destination de la Libye, avec le consentement des Américains, des Français, des Britanniques (…) Jusqu’à la chute de Tripoli le 22 août, retransmise en direct sur Al-Jazeera, au moins 18 avions transportent des fusils d’assaut, des lance-roquettes RPG, mais aussi des véhicules militaires. 6 des 12 Mirage 2 000 qatari sont engagés aux côtés des forces de l’Otan », détaillent les deux auteurs, reporters au Figaro et à France Inter. Comment envisager que l’Otan, qui regroupe les plus puissants pays militaires de la planète, ait pu avoir besoin du Qatar dans l’invasion de la fragile Libye ? Le rachat du PSG aurait-il quelque chose à voir dans l’accord de la France à une participation de Doha ?

Mais au lieu de s’intéresser à ces liens évidents mais improuvables entre investissements et action contentent de rapporter des faits divers dignes des magazines people. L’ouvrage, loin d’un quelconque essai politique, est vide de toute analyse. On y apprend que cheikha Moza « aime faire du vélo dans sa résidence londonienne » et d’autres informations à travers des sources jamais citées : « un cadre de l’Unesco », « un spécialiste de l’éducation », « un diplomate », « un participant au sommet de la Francophonie » … Comme si, dès que l’on parlait du Qatar, tout devait rester anonyme.

Pourtant, le pays a de quoi intéresser. Il est l’unique exemple d’un Etat qui, par sa seule puissance financière, a réussi à compter dans sa région par un jeu de « retour sur investissement ». Car au final, le Qatar lui-même reste une coquille vide : il profite de l’industrie, des banques, des cerveaux d’autres pays pour bâtir sa force. Il a compris que, sans les autres, son argent ne servait à rien.

Qatar, Les secrets du coffre-fort, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, éditions Michel Lafon, 2013.

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