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Lorsque les frontières s’éclipsent

Lamiaa Alsadaty , Dimanche, 17 septembre 2023

A travers son premier roman Le temple caché de Zerzura ou l’épopée de la pierre d’Amon, Pascale Bellamy entreprend un va-et-vient continu entre le passé et l’avenir, entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient.

Lorsque les frontières s’éclipsent

De prime abord, lorsque le romancier prend l’Histoire pour matière afin de lui inspirer ses personnages et ses situations dramatiques, l’espace imaginaire s’efface, pour céder la place à la réalité. Cette cohérence entre espace et personnages investie dans une temporalité bien déterminée n’est pas sans provoquer une certaine résonnance sur le lecteur. Ce dernier se lance dans le bain des incidents chargés de représentations pré-acquises. C’est bien le cas avec le premier roman de Pascale Bellamy, Le temple caché de Zerzura ou l’épopée de la pierre d’Amon.

La cité de Zerzura, située à l’oasis de Siwa, était régnée par la reine Néfret qui y cachait une pierre envoyée par le dieu Amon. Mais le roi Cambyse II, après avoir été réfuté par Amon, a décidé de détruire son Oracle de l’oasis de Siwa. La cité de Zerzura fut succombée par une tempête violente et s’effaça à jamais.

Malgré son sujet, ce n’est pas un roman historique, mais plutôt un récit de fiction à caractère historique dans lequel la temporalité n’est ni unique ni univoque. La répartition des chapitres qui sont au nombre de 3, l’ordre du récit, les fluctuations des temps verbaux imposent un enchevêtrement touffu, mais non chaotique, d’une pluralité de temps différents. Le temps romanesque « inventé » tout au long de 365 pages témoigne de l’enjeu historique qui est en cause dans l’oeuvre.

Dans la première partie intitulée L’histoire du livre de la pierre d’Amon, le lecteur est invité à découvrir l’essence du sujet qui sera par la suite le déclencheur des incidents. En effet, l’auteure l’avait déjà initié à l’aventure dès l’avant-propos, à travers son interrogation : « Zerzura, mythe ou réalité ? Les explorateurs ont-ils rêvé à un mirage ? Je vous laisse le découvrir ».

Le chapitre s’ouvre sur la description du paysage paradisiaque de la cité de Zerzura, autour de laquelle tous les événements sont esquissés. C’est là que prend lieu une histoire d’amour entre la reine Néfret et le musicien modeste, Ahmès. Le manque de détails autour des personnages esquissés laisse le lecteur dans la perplexité et l’ambiguïté quant à l’évolution de leur amour.

A partir de la deuxième partie intitulée Voyage vers le livre de la pierre d’Amon, le lecteur est projeté dans un autre temps, à savoir l’an 2024. Et du coup, de nouveaux personnages sont au rendez-vous : Aliénor, l’astrophysicienne française qui tombe amoureuse de Léonardo, le géologue italien, passionné par le Sahara libyque, et de l’oasis de Siwa. Taziri, une jeune femme gracieuse qui a installé sa maison dans un jardin de Siwa et qui est la gardienne d’un coffre rempli de papyrus et où est caché le livre de la pierre d’Amon.

L’auteure joue sur le rapport temps-espace et réalité-fiction : le prologue de la deuxième partie en dit déjà beaucoup : « C’est ainsi que la réalité invisible est devenue une légende du désert des déserts. Mais parfois le temps est l’ennemi des secrets, même des plus grands, comme en témoigne la découverte du tombeau pourtant bien caché de Toutankhamon. Qu’en sera-t-il du temple de la pierre d’Amon ? ».

A la recherche de Zerzura

Avec le temps romanesque, les histoires ne cessent de se multiplier, partant à la recherche du tombeau de Cléopâtre, des dépouilles d’Alexandre le Grand, de la savante grecque Hypatie massacrée par les émeutes antipaïennes à Alexandrie sous le règne de Théodore II. On suit aussi les aventures du prince Kemal El-Dine qui a renoncé à la couronne d’Egypte pour parcourir le désert dans les années 1920, à la recherche de Zerzura … Autant d’histoires qui font allusion aux grands mystères qui enveloppent cette région. D’ailleurs, l’un des grands mystères sera déchiffré par le lecteur au fur et à mesure en parcourant le livre. Léonardo et Aliénor semblent être une réincarnation d’Ahmès et de Néfret. L’auteure le dit ouvertement par l’intermédiaire de la gardienne du coffre : ils sont plutôt les descendants de Néfret et d’Ahmès.

Ainsi, l’humanité est présentée comme un puzzle dont les pièces éparpillées ne sont en fin de compte que complémentaires. Et, c’est là que réside le message implicite de l’auteure, lequel a été transmis par Léonardo : « Enfin, nous avons tous des ancêtres préhistoriques sortis d’Afrique, c’est le out of Africa ». L’auteure prêche-t-elle l’antinationalisme ? Préconise-t-elle par ce va-et-vient entre les espaces et par les rapports noués entre des personnages distants l’élimination des frontières ?

Se projeter dans le futur

Un nouveau saut spatio-temporel se produit dans la troisième partie, intitulée L’appel de la pierre d’Amon, nous projetant en l’année 2046 à Téhéran. De nouveaux personnages sont introduits comme à l’habitude de l’écrivaine. A savoir : Darius, un homosexuel qui a été convoqué pour monter une centrale solaire à Alexandrie, et qui, à l’instar d’Alexandre le Grand, se rend à Siwa. Aïda, la fille de Léonardo et d’Aliénor, suit les traces de ses parents et cherche à découvrir le temple d’Amon où était cachée la pierre magique, et enfin, Mona, sa fille à qui le coffre sera confié …

La fin ouverte plonge davantage le lecteur, qui cherche à reprendre le souffle après ce long voyage assez chargé de sens, dans une réflexion approfondie sur les fragments d’histoires que parcourt le roman.

L’écrivaine parvient à choisir et à présenter certains fragments de la réalité historique tout en les développant dans un cadre fictionnel, ou à brosser le portrait de personnages de manière à laisser le lecteur penser qu’ils ont bel et bien existé. Or, Pascale Bellamy est à son premier roman. Titulaire d’un doctorat en robotique, elle s’est consacrée au monde industriel durant 30 années. Son aventure à l’oasis de Siwa, qui a débuté en 2012, lui a inculqué un désir ardent de partager la richesse qu’elle a découverte, et le mystère qu’elle a dépisté dans cet endroit où elle a aidé son compagnon à créer en 2020 la bibliothèque Des Lions Noirs.

Le temple caché de Zerzura ou l’épopée de la pierre d’Amon, de Pascale Bellamy, édition Douro, 365 pages.

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